« Aujourd’hui tout le monde se tutoie, tu l’auras remarqué, c’est une manière hâtive et faussement confidentielle. Moi ça ne me plaît pas, car c’est irrespectueux…Je crois que quand deux personnes s’estiment elles doivent se vouvoyer, c’est une forme qui signifie civilité et respect de l’autre. Et puis cela marque cette distance nécessaire à se faire comprendre l’un de l’autre que même si nous nous connaissons bien, fût-ce de manière intime, en toute connaissance de nos secrets respectifs, nous faisons semblant du contraire, que nous ne savons pas certaines choses, et nous le faisons pour que l’autre se sente plus à l’aise, comme quand quelqu’un t’a confié une chose importante qu’il ne dirait à personne, mais toi tu avais l’air un peu distrait, ce n’est pas ça bien sûr, tu l’as écouté avec beaucoup d’attention, mais…voilà, c’est comme si tu n’y pensais déjà plus, tu as mis cette chose dans un petit coffre secret de ton coeur et tu l’as fermé à clef…Maintenant qu’est arrivé le moment de se saluer, je voudrais te vouvoyer en prenant congé. Je suis certain que tu peux le comprendre, ce n’est pas un détail sans importance…y compris pour ce que tu devras écrire sur moi. Tu es d’accord? »
( Antonio Tabucchi: Tristano meurt)
je me souviens avoir remarqué un jour le dialogue étrange entre deux amants qui se vouvoyaient, comme s’il était tellement incommode, malgré l’intimité, de pénétrer en ce territoire-là de proximité. au lieu de refroidir leur relation, cela semblait lui donner quelque chose de pas joué encore, dessinant peut-être, en un arrière-plan inaccessible pour la spectatrice extérieure que j’étais, des espaces de retrait, des zones inexplorées. merci pour ce texte qui m’a rafraîchit la mémoire !
Merci à vous, chère Carine, et à très bientôt!