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Archive for août 2012

 

Je me souviens d’un mec qui m’avait dit, d’un ton à la fois méprisant et accusateur qu’il faut être gay ET pédophile pour en arriver à apprécier les saloperies de photos de cette ordure de Bernard Faucon; le « pauv’crétin » que ma bouche exhala du fond de l’âme apaisa à peine le « ni gay ni pédophile » que je suis… Des comme ça, il y en a de plus en plus, et je me dis que l’irrespirable retour à « l’ordre moral » auquel nous assistons aurait certainement empêché l’exceptionnelle expo que la Maison Européenne de la Photographie lui consacra il y a de cela quelques années d’avoir lieu… J’ai, bien sûr, condamné ce qui s’était passé à Avignon il y a deux ans au nom de la liberté de création, droit inaliénable et absolu; mais il ne me viendrait pas une seconde à l’esprit de comparer l’éculée, naïve, boutonneuse blague de potache à laquelle se sont attaqué les intégristes à la vraie subversion de l’ordre symbolique, de tous les codes, de toutes les règles, de tout consensus sur « l’acceptable » et la « bienséance » que l’oeuvre de Faucon incarne…

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« Comme tous les mots abstraits, le mot métaphore est une métaphore puisqu’il veut dire en grec transposition. Une métaphore comporte en général deux termes. Momentanément, l’un devient l’autre. »
Voilà comment, en quelques lignes (extraites des « Neuf essais sur Dante ») Borges définit, littéralement et dans tous les sens, la poésie et – métaphoriquement – toute la littérature.
À mon humble, très humble avis, Deleuze, peu coutumier pourtant du fait, s’est toujours trompé sur ce point, et certaines oeuvres qu’il chérissait – généralement anglo-saxonnes – tout autant, ou davantage
(si j’avais été métaphore, le tir de missile que je me serais pris en pleine poire – c’est dans les entretiens avec Claire Parnet – m’aurait, j’en suis certain, carrément mis en rogne…)

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«Toujours est-il que la forme n’est définitivement arrêtée que lorsqu’elle entre dans le domaine de l’immobilité, où les horloges cessent leur mouvement, où la respiration et les battements du coeur ne scandent plus le temps [*] Les yeux de don Juan brillaient d’une lumière morte, en admettant que ce fût une lumière, peut-être étais-ce une obscurité pétrifiée, devenue pierre étincelante, sans souvenir derrière les paupières: un personnage sans attaches, sans réminiscence, doué de la faculté de tout troquer, et de ne souffrir en rien des transformations et des aventures. [*] Les à-côtés démasquent les mythes. Don Juan est sans à-côtés, sans racines, sans références; même plus tard, empêtré dans des situations effroyables, il ne se retournera pas…Le geste impudent, qui enracine, qui lie, il s’en décharge sur son valet: lui ne comparera jamais. Ils se trompent, ceux qui croient qu’il va vers quelque chose. A cet égard, Mozart a été mieux avisé: il a choisi la même musique pour le commencement et pour la fin, ce n’est pas une tranche de la vie de son héros qu’il a étalée sur scène, ce n’est pas une bribe de son existence qu’il nous a présenté, mais un tout exemplaire. Contient-elle davantage, cette possibilité qui porte son nom? Depuis longtemps déjà il a tout rejeté, à supposer qu’il ait surgi de n’importe où pour figurer dans le tableau de son jeu, et maintenant il intrigue, roucoule, séduit, corrompt parfois. Est-ce vrai? Ne donne-t-il pas le change? N’est-il pas immobile? [*] C’est ce que don Juan a appris par expérience et réalisé: le temps suspendu, la parfaite durée, cela vaut la peine de le prendre pour but. A un certain point de sa trajectoire, don Juan a réussi à se rejoindre, il a pris conscience de lui-même. [*] Désormais les conjonctures étaient données d’avance, immanquables et d’une intégrale uniformité, le temps glissait sur lui. [*] Nous parlons trop d’âme, l’âme se lassera de l’être humain, je vois cela venir: sur quoi bâtir, où situer l’existence? Se rendre à l’évidence du temps suspendu, ou du moins de ses effets…Que le souvenir s’évanouisse dans la similitude, qu’il fonde et se confonde, et, l’habitude aidant, ne soit pas nécessaire ou qu’il ne le quitte plus, omniprésent et dévorant, quelle mélancolique découverte; mais du même coup, s’abolit la conscience du temps.[*] Qu’en serait-il si la ligne, le courant qui cause notre angoisse s’incurvait[*], s’il se refermait sur lui-même, si nous ressentions le temps comme un geste perpétuellement répété de la nature, et de tous les êtres, de toutes les choses,de tous les événements qu’elle enferme? [*] Je suis sûr que si j’atteins le milieu de ce cercle, ce centre de repos, le souvenir, qui est notre substance même et la source à laquelle nous puisons, prendra une autre forme: celle d’une sphère où tout se trouve inclus, ce que nous fûmes, ce que nous vécûmes, illuminé par l’effet d’une grâce suprême, de cet éclair qui ne laisse rien, absolument rien dans l’obscurité… [*] Jamais la conscience de l’arrêt du temps ne s’était aussi intimement emparée de moi que pendant ces quelques instants. [*] Ce que j’étais, ce que je suis, je le tenais dans ma main, je le pressais contre ma poitrine. Tous les êtres venaient à moi, toutes les choses. Les mots se libéraient de leur sens, perdaient leur propre souvenir et attendaient d’être à nouveau conquis. [*] Je l’attend de pied ferme au lieu où la lumière vient se briser, se solidifie et frappe, là où finissent l’horreur du temps qui passe et le martyre du mouvement et du changement, là où meurt définitivement le désir de nouveaux départs, où les descriptions perdent leur apparence de réalité et de vérité, où le masque ne fait plus qu’un enfin avec le visage, où il se dissout en même temps qu’il livre son origine: toujours perdre en comprenant que les pertes n’étaient rien sinon la somme des profits, grenier de gorgones où coule grain à grain le langage, tous les mots du souvenir, écrasés, pressurés, privés d’âme. Ici s’entassait la balle vide de ces grains, témoignage de vains efforts, de ce qui s’appelle l’histoire, le lieu, les retrouvailles. L’union de ce que j’étais – paroles, gestes, souvenirs, moments d’animation et d’apathie, de contacts avec autrui et de solitude – et de ce qu’il en restait: attente de l’immobilité, sentiment de me trouver, libéré de tout lien, là où j’étais au commencement et où je serai à nouveau à la fin. [*] En de telles circonstances, le langage échappe à la cohérence qui commande à l’entendement. Ce sont là des pensées qui tendent au silence… […] Mais après, quoi? L’immobilité, la stagnation, l’accomplissement? De quoi, en face de quoi, pour qui? Don Juan n’a jamais pensé, il a séduit au lieu de raffiner, il a aimé et du même coup vécu, il n’a rien perdu, il ne s’est pas perdu, c’étaient les autres qui l’avaient perdu. Alors ce qu’il lui restait de sentiments dans le coeur s’est envolé pour faire place à la connaissance, ce sont deux choses différentes..».

Vous savez, ces questions idiotes, mais qu’on vous pose toujours, les dix livres que vous prendriez dans vos bagages sur une île déserte, ces trucs-là, quoi: je n’y réponds presque jamais, mais, de vous à moi, celui-ci en ferait sûrement partie

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Je marche, je bois, je nage, j’écris, je mange, je respire, je me coule face au soleil en ce temps sans entraves, ce silence que rumeur affranchit sans dénoncer, tout à l’immersion dans ce qui EST, mais n’effaçant (n’en déplaise à Kenneth White) ni ce qui fut et aurait pu être autre, ni à ce qui aurait pu être et n’a pas été… »Je t’ai dit avoir été heureux sous les tropiques: c’est violemment vrai », clamait Segalen; c’est l’heure de le confirmer, eh bien je le fais, et plutôt deux fois qu’une!

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« Dans une arrière-cour, il nous dit qu’au cas où il serait capable d’aller à la campagne et, là, de s’étendre à midi sur le sol, de fermer les yeux et de comprendre, se distrayant des circonstances qui nous distraient, il pourrait résoudre immédiatemment l’énigme de l’univers. J’ignore si cette félicité lui fut consentie, mais je suis sûr qu’il l’entrevit[…]
Il était capable d’être seul à ne rien faire durant de nombreuses heures. Un livre trop fameux traite de l’homme qui est seul et qui attend. Lui était seul et n’attendait rien, s’abandonnant docilement au doux écoulement du temps. Il avait accoutumé ses sens à ne pas percevoir le désagréable et à s’attarder à tout agrément[…]
Il s’abandonnait quotidiennement aux vicissitudes et aux surprises de la pensée, comme le nageur à un vaste fleuve…[…]
Autres choses furent ses mots, imprévisiblement agrégés à la réalité, l’enrichissant et la stupéfiant. »
(Borges à propos de Macedonio Fernandez)

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