« Tout, j’ai tout recueilli de toi: miettes, fragments, poussière, traces, suppositions, accents restés dans la voix d’autrui, quelques grains de sable, un coquillage, ton passé imaginé par moi, notre futur supposé, ce que j’aurais voulu de toi, ce que tu m’avais promis, mes rêves d’enfant, la passion que j’ai éprouvée pour mon père quand j’étais petite, certains refrains niais de mon enfance, un coquelicot au bord d’une route poussièreuse. [*] On ne peut pas trahir comme ça, en coupant le fil. Sans même que je sache où repose ton corps. Tu t’es remis à ton Minos, que tu croyais avoir dupé, mais qui à la fin t’a englouti. C’est comme cela que j’ai déchiffré des épitaphes dans tous les cimetières possibles, en quête de ton nom aimé, sur lequel au moins je pourrais te pleurer. Tu m’as trahie deux fois, et la seconde, c’est en me cachant ton corps. [*] Moi je t’ai fait sortir d’un labyrinthe, et toi tu m’y as fait entrer sans qu’il y ait pour moi d’issue, pas même ultime. Car ma vie est passée, et tout m’échappe sans la possibilité d’un lien qui me rattache à moi-même et au cosmos. Je suis là, la brise me caresse les cheveux et je chancelle dans la nuit, parce que j’ai perdu le fil, celui que je t’avais donné, Thésée. »
(Antonio Tabuccchi: Lettre au vent)