« Decirse adiós es negar la separación, es decir: Hoy jugamos a separarnos pero nos veremos mañana. Los hombres inventaron el adiós porque se saben de algún modo inmortales, aunque se juzguen contingentes y efímeros. »
« Se dire adieu, c’est nier la séparation, c’est dire: on joue à prendre congé aujourd’hui, mais nous nous retrouverons demain. Les hommes inventèrent l’adieu parce qu’ils s’éprouvent quelque part immortels, bien que se sachant incertains et éphémères. »
(Jorge Luis Borges – traduction: André Rougier)
Bonjour André,
Non que la vôtre soit incorrecte, mais puis-je me permettre de suggérer une autre traduction, plus simple et assez littérale, pour montrer la richesse du « process of translation », pour reprendre l’expression de Janet Fraser ?
« Se dire adieu, c’est nier la séparation, c’est dire : Aujourd’hui nous jouons à nous séparer mais nous nous reverrons demain. Les hommes ont inventé l’adieu parce qu’ils se considèrent d’une certaine manière immortels, même s’ils se savent aussi imprévisibles et éphémères. »
C’est question de goût et de sensibilité, sans doute. J’essaie toujours, quand je traduis un texte, de m’éloigner le moins possible de sa structure syntaxique. Sauf à n’avoir pas d’autre choix, ce qui arrive parfois.
Bien à vous.
JMU
Chaleureux salut de Montevideo où je me trouve en ce moment!
Vos remarques sont on ne plus pertinentes et j’ai opéré ce matin les modifications nécessaires afin d’en tenir compte. Mais votre réflexion va plus loin et rejoint un débat amical que j’ai eu il y a quelques mois au sujet de la traduction de deux textes du grand poète portugais Herberto Helder que j’avais envoyé (à sa demande) à Valérie Brantôme qui gère et anime, conjointement avec Lionel-Edouard Martin, un site voué exclusivement aux traductions. Ma version a été refusée (le ton de la lettre de Valérie indiquait que c’était surtout du fait de L-EM) car « s’éloignant trop du texte original ». J’ai marqué mon net désaccord, en expliquant en détail que, bien que partisan, comme d’autres, de la thèse « traduction = fidèle recréation », cela ne s’appliquait nullement à ma traduction de Helder. J’aimerais beaucoup avoir votre avis là-dessus:
SOBRE UM POEMA
Um poema cresce inseguramente
na confusão da carne,
sobe ainda sem palavras, só ferocidade e gosto,
talvez como sangue
ou sombra de sangue pelos canais do ser.
Fora existe o mundo. Fora, a esplêndida violência
ou os bagos de uva de onde nascem
as raízes minúsculas do sol.
Fora, os corpos genuínos e inalteráveis
do nosso amor,
os rios, a grande paz exterior das coisas,
as folhas dormindo o silêncio,
as sementes à beira do vento,
– a hora teatral da posse.
E o poema cresce tomando tudo em seu regaço.
E já nenhum poder destrói o poema.
Insustentável, único,
invade as órbitas, a face amorfa das paredes,
a miséria dos minutos,
a força sustida das coisas,
a redonda e livre harmonia do mundo.
– Em baixo o instrumento perplexo ignora
a espinha do mistério.
– E o poema faz-se contra o tempo e a carne.
À PROPOS D’UN POÈME
Un poème mûrit, incertain,
dans la chair en désordre,
s’élance comme en avant des mots,
féroce, goûteux, cela seul,
comme sang peut-être ou
son ombre dans les veines de l’être.
Dehors le monde existe. Dehors, la resplendissante
violence, les graines de raisin d’où giclent
les moindres rayons du soleil.
Dehors, les corps avérés, inébranlables
de notre amour,
les fleuves, la grande paix à la surface
des choses, les feuilles dormant du sommeil
du silence, les semences au bord du vent,
– l’heure théâtrale de la conquête.
Et le poème croît, tout avalant
en son giron.
Nul pouvoir, déjà, à même de l’effacer,
tel qu’indocile, unique, il emplit les orbites, envahit
l’amorphe face des parois,
la misère des minutes,
la force sans relâche des choses,
la ronde et libre harmonie du monde.
-Tout en bas, perplexe, l’instrument ignore
l’épine du mystère.
-C’est contre temps et chair que se dresse le poème.
lugar II (extrato)
Há sempre uma noite terrível para quem se despede
do esquecimento. Para quem sai,
ainda louco de sono, do meio
do silêncio. Uma noite
ingénua para quem canta.
Deslocada e abandonada noite onde o fogo se instalou
que varre as pedras da cabeça.
Que mexe na língua a cinza desprendida.
E alguém me pede: canta.
Alguém diz, tocando-me com seu livre delírio:
canta até te mudares em cão azul,
ou estrela electrocutada, ou em homem
nocturno. Eu penso
também que cantaria para além das portas até
raízes de chuva onde peixes
cor de vinho se alimentam
de raios, seixos límpidos.
Até à manhã orçando
pedúnculos e gotas ou teias que balançam
contra o hálito.
Até à noite que retumba sobre as pedreiras.
Canta – dizem em mim – até ficares
como um dia órfão contornado
por todos os estremecimentos.
E eu cantarei transformando-me em campo
de cinza transtornada.
Em dedicatória sangrenta.
Há em cada instante uma noite sacrificada
ao pavor e à alegria.
Embatente com suas morosas trevas.
Desde o princípio, uma onde que se abre
no corpo, degraus e degraus de uma onda.
E alaga as mãos que brilham e brilham.
Digo que amaria o interior da minha canção,
seus tubos de som quente e soturno.
Há uma roda de dedos no ar.
A língua flamejante.
Noite, uma inextinguível
inexprimível
noite. Uma noite máxima pelo pensamento.
Pela voz entre as águas tão verdes do sono.
Antiguidade que se transfigura, ladeada
por gestos ocupados no lume […]
lieu II (extrait)
Pour qui de l’oubli prend congé il y a toujours
une nuit féroce. Pour qui sort,
fou encore de sommeil, au coeur
du silence. Une nuit
crédule pour qui chante.
Démembrée nuit, abandonnée là-même où se blottit le feu,
celui qui des têtes balaie les pierres.
Qui à la langue mélange la cendre desserrée.
Et quelqu’un me demande: chante.
Quelqu’un dit, m’agrippant de son affranchi délire:
chante jusqu’à ce que tu te changes en chien bleu,
ou en étoile électrocutée, ou en homme
nocturne. Moi je crois
aussi qu’il me plairait de chanter au-delà
des portes jusqu’aux
racines de pluie où des poissons
lie de vin se repaissent
de rayons et de cailloux limpides.
Jusqu’au matin soupesant
pédoncules et gouttes ou toiles se balançant
tout contre l’haleine.
Jusqu’à la nuit qui tombe sur les carrières.
Chante – résonnent en moi – jusqu’à ce que tu te mues
en orpheline nuit que tous
frémissements contournent.
Et moi je chanterais changé en champ
de cendre inquiète.
En sanglante dédicace.
Chaque instant enchâsse une nuit
sacrifiée aux peurs, aux joies,
et s’affrontant à ses moroses ténèbres.
Onde, depuis le tout début, qui
dans le corps s’ouvre, marches d’une onde, encore
et encore, qui vient inonder les mains qui brillent,
et ne cessent de briller. Tout comme moi
j’aimerais les entrailles de mon chant, je le dis,
oui, les chauds et glauques canaux du son.
Il y a dans l’air une roue de doigts.
La langue flamboyante.
Nuit, une nuit qu’on ne sait dire,
que rien n’apaise, et que rien n’éteint.
Une nuit qui tout serait pour la pensée.
Pour la voix glissant sur les si vertes eaux du sommeil.
Vieillerie qui mue, flanquée
de gestes qui dans le feu s’affairent […]
D’avance, merci!
Bien à vous,
A.R
Je ne sais pourquoi, mais votre réponse m’a échappé. J’ai repensé au texte de Borges en recevant votre dernière infolettre, ce matin. Dont acte.
Mon avis sur le texte d’Helder, je n’en ai simplement pas. Je n’ai pas la prétention de pouvoir traduire des textes autres que ceux écrits dans des langues dont je maîtrise (à peu près) parfaitement le lexique et la syntaxe.
Or, ces langues se trouvent être au nombre ridiculement bas de deux, dont l’une est précisément le français. Inutile, je pense, de préciser que l’autre n’est pas le portugais. Désolé.
Bien à vous,
JMU