Lorsque Ricardo Piglia nous rappelle que « la plus grande leçon de Borges est peut-être la certitude que la fiction ne dépend pas seulement de celui qui la construit, mais aussi de celui qui la lit » , le lecteur par lui inventé étant « le plus créatif, le plus arbitraire, le plus imaginatif qui ait existé depuis Quichotte [*], dispersé dans la fluidité et le ratissage, qui a tous les volumes à sa disposition », poursuivant « des noms, des sources, des allusions », passant « d’une citation, d’une référence à l’autre », car « tout n’est pas fiction, mais tout peut être lu comme une fiction », le propre de Borges étant son extraordinaire capacité de lire l’Univers de la sorte et à croire au « pouvoir » de cette lecture, je me rappelle ma première rencontre avec ses écrits, en pleine période « mao », le lucide émerveillement qui fut le mien, et, surtout, combien il m’aida à préserver la jamais perdue ou démentie distance critique, l’angle mouvant d’ombre, l’indispensable marge, la nécessairement indomptable différence…
Tant d’années se sont écoulées depuis ce temps béni où tout semblait possible, tant de choses ont changé aussi, se sont modifiées, transformées, et moi avec, sans pourtant rien renier ou oublier…
Deux n’ont pourtant pas varié: mon ferme engagement à gauche (la vraie, cela s’entend…), et tout autant, bien entendu, conséquence de ce qu’on a appris et compris depuis, le rejet total, absolu, viscéral de tout mélange DIRECT de la politique avec la création littéraire et artistique, de tout asservissement de celle-ci à un parti, une idéologie, une entité, une foi, une organisation ou une classe (fût-ce « l’ouvrière »), de tout retour, même rasant les murs, masqué, latéral ou oblique au « jdanovisme » ou à ce « réalisme » tout autant scabreusement souillé que noble mot « socialiste » auquel il fut en l’occurrence accolé…(je me réfère au « vrai »socialisme, rien à voir avec le parti qui en usurpe le nom!)
Ce retour n’est pas une vaine crainte, une vue de l’esprit à peine, on voit en poindre les prémisses ici et là, parfois de par les plumes les plus inattendues. Je tiens à dire – simplement, mais publiquement – à ceux qui sont en train d’en ourdir la honteuse genèse qu’ils me trouveront sur leur route, sans d’autres armes que mes convictions et mes modestes moyens, mais bien décidé à ne pas baisser les bras, comme naguère et comme toujours…
Et – soyez-en certains – je saurai m’en souvenir en marchant à nouveau sur les traces de l’Aveugle, de celui qui est l’un de ceux (bien rares au demeurant) qui incarnent, en reprenant l’âpre et belle formulation de Michon, « la littérature en personne »…
Borges Aires……………………………………………………………………………..