« Ferruccio disait que celui qui écrit pour commenter la vie pense toujours que son commentaire est plus important que ce qu’il commente, même s’il ne s’en rend pas compte. »
(Antonio Tabucchi: Tristano meurt)
Ah, qu’elle fait du bien l’impitoyablement amère lucidité de Tabucchi, laquelle fait, comme peu d’autres, littéralement TOUCHER DU DOIGT QUI et CE QUE je déteste et n’accepte pas, en littérature comme ailleurs – car ils sont légion, ceux pour lesquels leurs actions ou alors leurs écrits « sur » la vie sont bien plus importants que la vie sur laquelle ils croient avoir agi et écrit, croyez-moi,légion…
« You say I am repeating
Something I have said before
I shall say it again
Shall I say it again? »
(T.S.Eliot)
Oui, sans désemparer, car inlassable se doit d’être le murmure (inépuisable, je ne sais pas, ne sais plus) tant qu’il y aurait ne serait-ce qu’une voix qui l’éraille: écho donné de surcroît, effraction qui ressasse, efface, comme ses pesants gardiens: signes recrus, bourgeons caducs, errante mesure, jours rétrécis, vœux en vain accourus au chevet de la Chute…
Lorsqu’on évoque « l’hypothèse communiste« , c’est, bien sûr, à Alain Badiou (dont certaines choses me séparent, mais auquel tant d’autres me lient) qu’avec raison l’on pense, au sens où l’on postule que toutes les formes nouvelles d’organisation, les expérimentations les plus diverses au niveau local, les conséquences, au sens fort, de ce qui mérite que l’on nomme « événement » (à savoir ce qui « advient », mais ne peut être reconnu « qu’après coup, dans la figure de la construction de la vérité à l’origine de laquelle il se trouve »), les luttes dites « minoritaires » (femmes, Noirs, gays, habitants des « quartiers », sans-papiers, chômeurs, intermittents, sans-logis, etc) n’ont de sens QUE si elles sont compatibles avec l’idée que la société pourrait un jour ne pas être organiséesur des bases autoritaires, hiérarchiques et communautaristes (au sens « essentialiste » du mot, bien entendu), ce qui est, à tout le moins, très difficile à envisager en se cantonnant dans l’espace de la « démocratie » telle qu’elle fonctionne aujourd’hui (rappelons aussi que, dans « La comparution », Jean-Christophe Bailly et Jean-Luc Nancy soulignent avec force que l’hypothèse communiste n’est nullement assignée à une norme ou à un contenu pré-établis, mais à la pensée d’un « être ensemble » que « rien de défini ou d’indéfini, advenu ou à venir, ne saurait épuiser.« )
S’il est exact que « la construction de la procédure de vérité, quelle qu’en soit l’échelle, n’est pas pacifique », il n’en est pas moins vrai que celle-ci est « toujours subjectivement réactualisable dans un contexte entièrement différent et que ce n’est que cette résurrection qui la valide comme vérité universelle. » (Badiou: Logique des mondes)
Toute universalité « neuve » n’est pas forcément destruction, celle-ci peut n’apparaître qu’à un niveau restreint, et non pas comme une pétition de principe, ou même (à partir de « L’être et l’événement ») le neuf peut se trouver conçu comme pouvant venir se rajouter, s’agréger à ce qui le précédait, sans nullement le détruire.
La pleine et entière affirmation de l’universalité de la vérité peut désormais aller de pair avec la conception selon laquelle il faut « accepter qu’il y ait de l’indifférence au vrai et qu’il n’y ait aucune raison qu’elle se traduise par l’anéantissement, par la négation ou par l’exclusion », la définition de l’authentique tolérance résidant non pas dans le flou et fuyant « à chacun son opinion, il n’y a pas d’universel du tout », mais bien dans l’idée que « l’universel dans son essence véritable est capable de supporter qu’on lui soit indifférent. » (Badiou)
Impossible – et c’est tant mieux! – de séparer de nos jours (à l’inverse de ce que postule une forme dévoyée de marxisme, dogmatique, mécaniste, sclérosée et réductrice, dans la ligne d’un Clouscard ou d’un Monville, ou alors, à l’opposé, la vision de ceux pour lesquels combattre les différentes discriminations serait prioritaire par rapport à la propre – et plus que jamais essentielle – lutte des classes, divisant ainsi les exploités au plus grand profit des exploiteurs et menant inexorablement à cette « guerre de tous contre tous » dont parle avec raison Žižek) les combats à contenu économique et social des « culturels » ou « sociétaux », pas même de concevoir une éventuelle frontière étanche les séparant et qu’il conviendrait de démolir, alors qu’au contraire, ces mêmes luttes ne cessent d’aller à la rencontre l’une de l’autre, de se mêler, se confronter parfois, se renforcer le plus souvent. « Exploitation » et « aliénation » sont, il est vrai, des procédures de vérité différentes, mais pour en finir une fois pour toutes avec l’abomination qu’elles incarnent, le mot d’ordre est, en ce qui me concerne, bien le même qu’il y a quarante-six ans, et comme toujours: « Une seule solution, la révolution! » (en y intégrant, bien entendu, tout ce qui a changé, évolué, tout ce qu’on a compris et appris, sans toutefois rien renier, rien oublier)…
« Tuer parce qu’on ne sait pas prononcer tu es »
(Mathieu Bénézet)
Comment ne pas y souscrire, pleinement? Mais – plus souvent encore, et de bien pire façon – on tue, à cette époque que j’ai du mal à appeler « nôtre », surtout parce que l’on ne consent plus à dire « je suis » , ou même (l’éclipse, le reflux voire l’effacement du sacré – sans Dieu en ce qui me concerne, – ne l’autorisant plus) « je suis celui qui est »: « homme parmi les hommes », cependant (cela valant bien entendu pour tous!), irréductiblement singulier et différent – non pas, de pauvrement sartrienne manière, quelqu’un qui “les vaut tous, et que vaut n’importe qui”, mais (pleinement vrai également, sans exception aucune), quelqu’un “qui vaut ce qu’il vaut” (peut-être rien…), mais que ne vaut nul autre…
« Seraph: You do not truly know someone until you fight him »
(Matrix)
« Il y a une différence entre connaître le chemin et cheminer. »
(Farîd Uddîn’Attar)
« Le symbole est un maelström, il nous fait tournoyer jusqu’à produire cet état intense d’où la solution, la décision surgit. Le symbole est un processus d’action et de décision; c’est en ce sens qu’il est lié à l’oracle qui fournissait des images tourbillonnantes. Car c’est ainsi que nous prenons une véritable décision: lorsque nous tournons en nous-mêmes, sur nous-mêmes, de plus en plus vite, <jusqu’à ce qu’un centre se forme et que nous sachions que faire>. C’est le contraire de notre pensée allégorique: celle-ci n’est plus une pensée active, mais une pensée qui ne cesse de remettre et de différer. Elle a remplacé la puissance de décision par le pouvoir du jugement. »
(Gilles Deleuze)
» – Morpheus: Tout commence par un choix.
– Le Mérovingien: Non. Faux. Le choix est une illusion créée pour distinguer ceux qui ont le pouvoir et ceux qui ne l’ont pas. »
(Matrix)
[l’ensemble des citations est tiré de l’un des livres les plus impressionnants que j’ai lu ces derniers temps, de ceux qui m’ont le plus aidé à apprivoiser le labyrinthe, à défaut de m’aider – du moins pour l’heure – à en sortir: « MATRIX machine philosophique (Alain Badiou / Thomas Benatouil / Elie During / Patrice Maniglier / David Rabouin / Jean-Pierre Zarader) », chez « Ellipses« ]