Tu rêvais de guetteurs, de fiacres, du bal des cendres s’abattant comme midi sur la ville déserte, du couchant exact, unanime, qui rafle, ratisse, étend ses haillons sur les lucarnes assoupies, l’alignement des joncs, les guêpes qui s’invitent aux fêtes où la gadoue achève sa besogne, efface les noms, brouille les lieux, se fourvoie dedans cette langue dont tu feignais d’en inventer l’usage…
Le temps est joueur de bonneteau âpre au gain, pivert indocile, passeur noueux qui te desserre dans le mutisme des mots, le piège des quêtes: vignes sans étais, affres de la pierre, vaine dépense des signes…
Où te mène-t-elle, cette route en lacets saccagée par l’orage, serait-ce vers la margelle qui délaça ton secret, vers l’allumeur de réverbères qu’il te semble avoir aperçu près de l’auberge Nicolas Flamel, vers la vigne en haut de butte qui ne répand qu’à la nuit tombée ses entailles, ses nattes, ses ruses, ses retrouvailles?
Cela ne te concerne plus, tu sais que tu touches au but, prélude à l’affût, au ras de tes pas, des menus fléaux, du talus qui disperse, tout à l’approche du sosie qui se vante de devenir ce qui tu aurais pu être, lui à qui rien ne sera refusé, ni la foudre, ni l’envergure, ni les fers aux genoux, ni les meules qui débordent et singent ses besognes…
Mais le saut, il faudra bien l’élargir, ne pas le payer rubis sur ongle, étouffé qu’il est par la fadeur, la suspicion, l’artifice, la dévotion pitoyable, à l’heure même où tout se tient devant, sans garanties, lieu retors, lèse-mort dont nul n’est exempt, trompant ce qu’il englobe, fugue indûment retardée, tracée dans la douleur, remise aux tricheries du lointain…
Chuchotement du rebouteux, lui qui sourd, hérisse et pue, ressasse, défèque et s’aplatit, te réduisant à cette pâleur d’exode, aux cales de la traite, à l’abrupt de l’Autre…
Ô trimardes ô limes, ivres du jour rayé comme du jour advenu, clos des montées, eaux apprises lentement, grands angles, fracas, bric-à-brac, défilé de bonimenteurs, de maquerelles faisant tinter leur quincaillerie comme pour appâter l’heure creuse, la cicatrice qui s’attarde, veillant le bouge où règnent les ogres, où s’abritent leurs joies confuses, leurs mélancolies saccadées…
L’enfance seconde s’étend à tâtons, sème ses repères dans la foule, s’élance vers l’horizon piégé, la herse que rouille éprouve, qui t’épouse, te détache de qui viendrait rompre la chaîne et couver ses deuils, t’éloigne comme à jamais de ce que, trompeuse, la Chienne entrevit sur les rebords de pierre, les mousses brunâtres, dans les celliers abandonnés – faces secrètes de ton insolence, compagnonnage qui t’entame sans te raréfier, te houspiller…
Rien ne bouge, la bise d’hiver est encore loin, à toi les prés fauchés, les balles égarées, les clefs et les guenilles, les berceuses sans fin derrière les rideaux rétrécis, les routes de sel croisant les poignets entravés, le coup de fouet dénouant les gestes tendus, irréfutables, l’éden entrevu, la rumeur des lois, le vin vieux du consentement…
Tout ici n’est que désert, rebuffade, conciliabule cotonneux, t’éloignant sans te décevoir, lui qui n’arpente que l’été inclément, l’ambigu rappel à l’ordre où rien n’eut lieu, ou presque, mais tout fut comme toujours: chasses à courre à flanc de pente, piscines délabrées, champs luisants, comme sculptés dans l’adieu, étangs jonchés de saletés, de roseaux retroussés, masures assoupies près des houblonnières, toits mis à mal par la grêle, imposture des talus pendus dans le vent, sablières coulant à leurs pieds, t’invitant à délaisser les guignols, réinventer tes fêtes réglant les comptes et les carnages, le tintamarre débordant des parois, du vif de l’ombre haute, de l’ornière refermée sur ses renforts, son refus du partage, des assauts de la mémoire, de l’effleurement du multiple…
Ne rien étreindre en vain, laisser mûrir le miroir aux moisissures nuitamment acheminées vers leur risque, durée ravagée, neuve au soir des feuillages, rivée à l’outre-souche que tu jalouses, qui te pose, te tresse, se laisse happer par le jongleur t’éblouissant dans ce qu’il est, te dévoilant dans ce qui vient…
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