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Archive for septembre 2014

 

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« Il y a ce qui dépend de nous, il y a ce qui ne dépend pas de nous. Dépendent de nous l’opinion, la tendance, le désir, l’aversion. »
(Épictète)

 

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Sans doute Paris est toujours là, et Boulogne, et Caux, et Senlis, et Belle-Île, peut-on toujours mettre les pas dans les traces des pas, ce sont les LEURS qui ne sont plus, et c’est comme s’ils n’avaient jamais été, et le jardin non plus, les chats, l’avenue sous la pluie, les éclats de rire, les ripailles sur la terrasse, les ombres paisibles s’allongeant sans détour sur le silence épaissi, sur tout ce qui est si incommensurablement lointain, oblique, ultérieur, latéral que l’on a envie d’écarter d’un revers de la main ce sphinx inconvenant qui s’obstine à inlassablement poser les questions auxquelles nous n’avons plus envie de répondre…
Car du plus profond, et depuis toujours, tu sus que ce n’est qu’un passage, même si tu ne peux te l’expliquer, même si à toi aussi les mots se dérobent…
Ce n’est pas l’immortalité, l’improbable Paradis, ou les Houris dansant, ou la Réincarnation, ou la poursuite du Rien sous couvert de Tout que le sage à la fleur de lotus jadis convoqua pour abolir avec l’espoir son lancinant contraire…
C’est la conviction, l’absolue certitude, ni justifiée, ni confirmée, simplement là, inébranlable, sans l’appui de subtiles théologies, sans doucereuses consolations susurrées, que rien n’est jamais achevé, ni définitif, que tout est expérience, et recommence, suscitant et accueillant d’autres rives et d’autres départs, les atomes se recomposant inlassablement jusqu’à ce que le maître des infinies routes du temps s’en lasse, ce que tu ne sais ni concevoir, ni accepter…
C’est en sachant que bientôt tu te rejoindras, c’est en entrevoyant ta place sur la roue qu’un jour tous nous parcourrons que pleinement tu es,  autant et comme tu l’as toujours été, loin des lignes de fuite et des mirages du devenir…
Il n’y a pas de dernière demeure parce qu’il n’y eut jamais de première: cela au moins, tous ceux qui  croisèrent ton chemin le savent…
De ces ondes, de ces intimes vibrations, de cette musique, qu’ils fassent ce que tu fis, à LEUR manière, illumination entre toutes la plus humble, la plus ardue…
QU’ILS SOIENT…
Parting with friends is sadness. The only one.
(São Luis, MA, Brésil, 2000)

 

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« Voilà pourquoi je t’envoie un salut impossible, comme quelqu’un qui fait de vains signes d’une rive à l’autre du fleuve tout en sachant qu’il n’y a pas de rives, vraiment, crois-moi, il n’y a pas de rives, il n’y a que le fleuve, je voudrais te le crier: attention, sache qu’il n’y a que le fleuve!, maintenant je le sais, quels idiots nous étions, à nous préoccuper tellement des rives quand il n’y avait en fait que le fleuve. Mais il est trop tard, à quoi sert-il de te le dire? »
(Antonio Tabucchi)

 

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« La matière ne se perd jamais. Nous naissons, nous disparaissons en apparence. Le chagrin est une position d’équilibre. »
(Pentti Holappa)



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Il est des froissements qui gèrent de l’indicible et du sournois, du souverain, du dévoyé, de l’excès, de l’intangible ou du magique… La pensée ne soulage pas l’oubli, ne le contient qu’en s’en écartant, ne l’approche qu’en s’en défaisant, aveu non pas de ce qu’il est, mais de ce qu’il fuit – là où se dresse le décor de toujours  entrevu, espace de nulle part et qui est pourtant ICI, heure d’aucun instant et qui est pourtant MAINTENANT, là où sans heurt ni enjeu, il nous libère de son oeuvre même, nous soustrait à l’histoire de nos actes, nous confie la parole insensée, celle qui ne dit rien de sa fin ni de ses sources…

 

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« Le texte s’interrompt, et les réponses continuent en paix à pourrir. »
(Hans Magnus Enzensberger)

 

Anonymous imperative silence dawn 2

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« Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente ». (Camille Claudel)

 

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Je ne suis passé une seule fois devant son atelier et demeure, quai Bourbon, sans être frappé, de plein fouet, par ce à quoi renvoie cette terrible phrase…
Les fous, les vrais, ceux qui détruisent plutôt les autres pour tenter, le plus souvent en vain, de préserver leur intégrité, ceux-là seule la présence obsède; hantés, jusqu’à la folie, jusqu’à la mort, on ne l’est, on ne peut l’être que par l’absence – et les absents…
Telle – et pas autrement – fut la « folie » de Camille, lorsque la matière modelée qu’ébranle la lumière et la limite qu’elle scelle finit par ne plus suffire, alors qu’inexorablement s’avancent l’indifférence lui coupant chaque jour, à petits pas, l’herbe sous les pieds, puis le tourment qui enroule et déprend, la promesse du seuil à franchir pour que plus rien ne vienne divertir de soi-même, le faux répit qui envahit et accroît la traîne des choses, l’opéra crépusculaire auquel l’on vient à se confondre pour parvenir à survivre à sa vigilance, se retailler dans l’oubli, décaler le passé jusqu’à le rendre expiation qui contamine, écho sans élus, nuit sans émules…
Un peu plus loin, au coude juste après la pointe de l’île, le lieu exact – appel? semonce? réminiscence? – où furent pris les clichés dont les protagonistes et les effets sont la trame de l’un des plus énigmatiquement beaux et paisiblement désespérés récits de Cortazar, « Les fils de la vierge », souvent imité, jamais égalé…
Voir ce qui n’aurait pas dû l’être, alors qu’on était à l’affût du seul hasard et qu’on restitua – sans le savoir ou vouloir, invasion élue par l’imprévisible – la capture d’un instant qui s’avéra être entaille dans l’ordre du monde, manoeuvre dont on surprit, tapie derrière la plus banale des apparences, les phases perverses, dette du regard inapte à sevrer, à spolier ce « vrai » auquel Roberto Michel, le photographe, ne saurait consentir, dont il ne saura que se souvenir, s’interdisant l’encombrante réconciliation avec l’image qui cesse d’être célébration du paraître, mais fait sécession, là où il n’y a du secret entrevu que l’annonce et le déchaînement, appropriation ultime, survie maquillée, effroi du regard qui s’y inscrit pour se dépeupler du mal, déferlement implosant sous la poussée de ce qui n’est pas à partager, mais apaise le temps, s’en laisse toiser, le clôt, l’oublie…


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« Une façon, entre mille, d’affronter le néant, c’est de prendre des photos. »
(Julio Cortázar: Les fils de la Vierge)

 

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« Les mots sont des symboles qui postulent une mémoire partagée. Celle que je cherche ici à enjoliver n’est que mienne; ceux qui partagent mes souvenirs sont morts. Les mystiques évoquent une rose, un baiser, un oiseau qui est tous les oiseaux, un soleil qui est à la fois toutes les étoiles et le soleil, une cruche de vin, un jardin ou l’acte sexuel. Aucune de ces métaphores ne peut m’aider à évoquer cette longue nuit de jubilation qui nous mena, épuisés et heureux, jusqu’aux abords de l’aube [*] Certains détails subsistent de ce que nous entrevîmes – le mur rougeâtre de la Recoleta, le mur jaune de la prison, deux hommes dansant ensemble à un coin des rues, une cour au dallage noir et blanc fermée par une grille, ma maison, un marché, la nuit insondable et humide – mais aucune de ces impressions fugitives, qui peut-être furent autres, n’a d’importance. Ce qui importe c’est d’avoir senti que notre plan, dont nous avons souri plus d’une fois, existait réellement et secrètement, et que c’était l’univers entier et nous-mêmes. »
(Jorge Luis Borges)

À nos pas, jamais perdus

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Alors qu’approche l’heure de les rejoindre, comment oublier que le « Baires » de Gardel fut celui de la jeunesse de Borges, tout comme celui des dernières années portègnes de l’Aveugle fut celui de la mienne – tout autant peuplés de fantômes, simulacres et vraies rencontres, présences rêvées ou imaginées, ayant vécu ou fait semblant, et que les heures insondables finirent par confondre en une seule et même ombre.
Je sais maintenant que tout périple est sans but, que les lieux et figures qui en parsèment les étapes, ressemblent à (mieux encore, reproduisent) la promenade nocturne qui clôt ce Congrès du monde qui, le plus souvent à notre insu, est « l’univers et nous-mêmes« . Je sais aussi qu’il est, ce périple, sans partage sinon sans fin, et je m’y résigne.
Si Artaud nous enjoignit « d’en finir avec le jugement de Dieu« , son être (ou qui en tint lieu , cri tranchant à vif)  savait que c’est de celui des hommes qu’il convient de se délivrer.
Je m’en approche à une inconcevable vitesse, mots chassant qui les précéda, bris, loques, miettes en vrac jetées en pâture à qui en fera l’usage qui lui sied – je n’en ai cure désormais.
Nos misérables temps détournent même de ce que Dahlmann parvint à accomplir, en oblitèrent jusqu’à l’espoir. Mais si le Sud où il se perdit pour se retrouver n’est pas mien, je retourne pourtant inlassablement dans la grande ville, à la recherche, non pas du poignard de Muraña, mais de Juan en personne, l’empoignant fermement au coin d’une ruelle « avalée par le crépuscule« , compadrito par moi offensé à dessein pour qu’il fasse ce qui se doit, et vite…

(mars 2012)

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« Juan Muraña fut un homme qui déambula dans des rues qui me sont familières, qui sut ce que savent les hommes, qui connut le goût de la mort, qui fut ensuite un couteau, puis le souvenir d’un couteau et qui demain ne sera plus qu’oubli, l’habituel oubli. »
(Jorge Luis Borges)

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mor 3

 

« Il passe maintenant un grand nuage blanc, comme il est passé hier, comme il en passera tout au long de ce temps incomptable. Ce qui me reste encore à dire, c’est un nuage, encore un nuage, ou de longues heures de ciel parfaitement limpide, rectangle d’une pureté parfaite, fixé par des épingles sur le mur de ma chambre »
(Julio Cortázar)

 

mor 4

 

« Nous savons maintenant que tout était inutile, la fuite, le voyage, l’espoir de rencontrer encore quelque recoin obscur et sans témoin, un refuge propice au recommencement [*] C’est comme si soudain la longue expérience du passé cessait d’opérer, nous abandonnait comme les dieux abandonnent Antoine dans le poème de Cavafis. »
(Julio Cortázar)

 

mor 6

 

« Elle pouvait s’en aller quand elle le voudrait, évidemment, mais aussi rester; il serait beau peut-être d’attendre pour voir si la lumière allait remonter sur le mur, allongeant de plus en plus l’ombre de son corps, de la table et de la chaise, ou bien si elle allait demeurer ainsi sans du tout changer, la lumière immobile comme tout le reste, comme elle et comme la fumée immobile. »
(Julio Cortázar)

 

mor 5

 

On n’apprend que de ceux dont on fuit la trace des pas, ainsi en fut-il pour nous, Julio…Tu me pris par la main et m’entraînas, par des trajets dérobés, vers la perte insoumise et appâtée, jamais dupe de cette traversée qui n’est ni lien ni jouissance, me fis voir l’émiettement du monde, les archipels de soi, le regain des apparences, les ravages de la hâte, le lointain éperdu en sa douteuse maîtrise, la survivance de la roue, de la laine, des coulées, l’éveil des masques, la maturation des voix qui sont déjà voyage, et lui seul…
Je sais, grâce à toi, qu’on ne revient sur ses pas qu’en baissant la voix, en ramassant les contre-jours, les passages minés, les pentes dévalées à reculons, en veillant ce que l’Autre, rien qu’en étant, donne à voir, tend et délie, martèle et cisèle…Ce savoir, qui me fait aujourd’hui peser le souci, mais délaisser la source qui bégaie, c’est de toi que je le tiens, tout comme ce Temps qui ne s’édifie pas dans ce qui dure, dans la répétition ou l’équivalence, mais dans le refus du Retour, la profanation des usages, l’aveugle ressemblance sur qui regard bute…
C’est un étrange jour d’août, je regarde par la fenêtre la bruine effaçant les tiédeurs, la lumière séparée, les semailles vides. L’ombre des dieux rôdeurs claque et crisse sur l’ardoise indécise, s’accroissant à chaque trace des jeux poreux, des pièges du surgissement; ce n’est que maintenant que j’ai compris qu’ils me feront faire le trajet jusqu’au bout, il le faut, de le savoir c’est à toi que je le dois, à quelques autres aussi, que je n’oublie pas… Et ce n’est qu’une fois mon devoir rendu que je répondrai à celle qui me toise et m’appelle – tout comme tu le fis il y a trente ans de cela –  » c’est l’heure de s’en aller,  oui, viens! »

 

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« Il avait déjà la peau brûlée de soleil et de vent quand il se déshabilla pour plonger du haut d’un rocher; l’eau était froide et cela lui fit du bien, il se laissa entraîner par des courants insidieux jusqu’à l’entrée d’une grotte, repartit vers la haute mer, s’abandonna sur le dos, accepta tout en un seul acte de conciliation qui était aussi un nom pour le futur. Il sut alors sans la moindre hésitation qu’il ne quitterait plus l’île, que d’une certaine façon il allait rester dans l’île pour toujours. »
(Julio Cortázar)

 

mor 7

 

« Ne (me) reste presque rien: ni la chose, ni son existence, ni la mienne, ni le pur objet ni le pur sujet, aucun intérêt de rien qui soit à rien qui soit. Aucun intérêt, vraiment, car chercher Anabel loin dans le temps c’est tomber encore une fois au fond de moi, et c’est si triste d’écrire sur soi, quand bien même je voudrais continuer à me figurer que j’écris sur Anabel. »
(Julio Cortázar)

 

mor 8

 

« Il fallait bien que je trouve le moyen de te dire adieu et de te demander de continuer. Il fallait bien que je te laisse quelque chose avant de regagner mon refuge où il n’y a plus de miroir, rien qu’un trou où me cacher jusqu’à la fin dans l’obscurité… »
(Julio Cortázar)

 

mor 9

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