« C’est l’artiste qui est véridique et c’est la photo qui est menteuse, car, dans la réalité, le temps ne s’arrête pas. »
(Auguste Rodin)
« La beauté et le diable sont la même chose. »
(Robert Mapplethorpe)
Extraordinaire intuition du père Auguste, compte tenu de ce qu’était la photographie en son temps et, surtout, de ce qu’elle allait devenir par la suite! Car une sculpture vit et vibre, altérée, déchue, corrompue ou magnifiée qu’elle l’est par ce temps dont elle épouse les contours, qui l’accompagne et qu’elle traverse sous les regards changeants des générations qui se succèdent (il en va de même d’une toile, d’une musique, d’un texte aussi, quel qu’il soit – qui pourrait en douter?), alors que la photo, elle, est capture absolue, figée dans la trame des instants et ne se pouvant déchiffrer qu’en tant que, tranchée et close, elle fut, là-bas, à un moment précis, et pas seulement ce à quoi mon regard aujourd’hui se mesure…
Bob, lui, a raison et tort à la fois: raison s’agissant de la sculpture (de la peinture et de la littérature également, et pour les mêmes raisons); tort (ô combien!) dès lors que c’est la photo qui est en jeu, car qu’a-t-elle à voir avec le prince des Modifications, le virevoltant Seigneur des Mouches, celui qui doute, nie, et questionne, qui toujours se tient du côté de ce « mouvement qui déplace les lignes » que Baudelaire (l’un des premiers à avoir compris ce que la photographie était et pouvait) disait tant haïr?
Mais qu’importe, car par-delà tout cela (qui n’est pas peu, loin s’en faut!), ce que j’ai respiré, perçu, de tous mes yeux vu rue Varenne, ce fut l’identité fondue et refondée de ce qui n’est plus « l’un » ou « l’autre », mais « les deux en un », tout comme chacun de nous est l’Autre, l’aveugle bienfaiteur traquant ce qu’encore il il ignore, lieu pour s’y rejoindre ou s’y noyer, faim aux aguets, nouée à ces appâts pour grands fauves et par eux soupesée, mais infiniment accessible au temps brusque et discordant, des mises à mort à la décrue des signes…
Pas drôle d’être soi, ne pas consentir au mensonge du regard, à ce futur clandestin, à cet instant qui seul compte car toute durée y est enclose, elle qui ne convertit pas , mais délivre, s’abîme dans la lumière tremblée, réel sans alibi, nocturne brutal dans l’achèvement des corps et la souffrance du devenir, oeil dévasté, sans ruses cousues dans ses plis, qui, entre métastases et trahisons, qu’il y veille ou le veuille, ajuste et tranche…
Rien pour embaumer, cautériser le règne des conjurations et des prodiges, reflets s’ajustant au temps soudoyé, là où Autrui nous ligote, mais n’accède jamais à ce qu’il révèle…
En les quittant à regret, je sus que leur fut épargné (surtout à Bob) le malheur d’être de ceux qui, déniant ce qu’ils sont, jamais n’atteindront le point où néanmoins (mais sournoisement) il leur a fallu se tenir, les reconnus tous deux dans l’image qui suscite sans à rien obéir, dans ce désir qui ne l’est que de celui d’autrui, sans loi ni nom, sans invocation ni ornement, qui, requalifiant le soupçon, abrège le saut, mine ses dettes, ne se prête, pour moi comme pour tous, qu’à la patience du guet dernier…
Il n’y a pas à établir de hiérarchie dans les arts :
la photo ne vaut pas moins que
la sculpture
ou la peinture
ou la littérature
ou l’architecture
ou la couture
ou l’aventure
ou les bas couture
ou la musique
ou le dessin
ou l’art équestre
ou les bureaux de tabac
ou la lumière des rues la nuit
ou le parfum d’une femme
Sauf que ce n’est PAS DU TOUT ce que j’ai dit (c’est même le seul art que je pratique, à ma modeste façon…); je le mets même très haut (tout comme Baudelaire)! J’ai simplement dit (avec Rodin) que c’est un art qui fige, encapsule l’instant à jamais, et que c’est le seul dans ce cas-là…
J’aurais pu dire aussi :
ou le théâtre
ou la navigation
ou l’exploration
ou la natation
ou l’art de vivre
Même commentaire que ci-dessous: que l’on puisse comprendre en me lisant l’exact contraire de ce que j’ai dit est fort inquiétant – pour moi! (rsrsrs)
La photographie capture la lumière d’un instant seulement, instant qui ne reviendra jamais plus à l’identique. Elle sublime de qu’elle touche en y apportant la notion de l’éphémère plaisir qui ne serait plus qu’un souvenir brumeux sans elle.
La sculpture trouve ici une autre dimension dans ses habits de lumière, ou la peinture, comme celle de Soulage qui devient autre à chaque instant de la journée en fonction de l’angle de la lumière. Tous les arts sont sur le même plan pour qui prend le temps de les admirer, puisqu’ils sont le reflet de l’âme de celui qui les a créés, dans lequel se mire celui qui les contemple.
Tout à fait!