« Il passe maintenant un grand nuage blanc, comme il est passé hier, comme il en passera tout au long de ce temps incomptable. Ce qui me reste encore à dire, c’est un nuage, encore un nuage, ou de longues heures de ciel parfaitement limpide, rectangle d’une pureté parfaite, fixé par des épingles sur le mur de ma chambre »
(Julio Cortázar)
« Nous savons maintenant que tout était inutile, la fuite, le voyage, l’espoir de rencontrer encore quelque recoin obscur et sans témoin, un refuge propice au recommencement [*] C’est comme si soudain la longue expérience du passé cessait d’opérer, nous abandonnait comme les dieux abandonnent Antoine dans le poème de Cavafis. »
(Julio Cortázar)
« Elle pouvait s’en aller quand elle le voudrait, évidemment, mais aussi rester; il serait beau peut-être d’attendre pour voir si la lumière allait remonter sur le mur, allongeant de plus en plus l’ombre de son corps, de la table et de la chaise, ou bien si elle allait demeurer ainsi sans du tout changer, la lumière immobile comme tout le reste, comme elle et comme la fumée immobile. »
(Julio Cortázar)
On n’apprend que de ceux dont on fuit la trace des pas, ainsi en fut-il pour nous, Julio…Tu me pris par la main et m’entraînas, par des trajets dérobés, vers la perte insoumise et appâtée, jamais dupe de cette traversée qui n’est ni lien ni jouissance, me fis voir l’émiettement du monde, les archipels de soi, le regain des apparences, les ravages de la hâte, le lointain éperdu en sa douteuse maîtrise, la survivance de la roue, de la laine, des coulées, l’éveil des masques, la maturation des voix qui sont déjà voyage, et lui seul…
Je sais, grâce à toi, qu’on ne revient sur ses pas qu’en baissant la voix, en ramassant les contre-jours, les passages minés, les pentes dévalées à reculons, en veillant ce que l’Autre, rien qu’en étant, donne à voir, tend et délie, martèle et cisèle…Ce savoir, qui me fait aujourd’hui peser le souci, mais délaisser la source qui bégaie, c’est de toi que je le tiens, tout comme ce Temps qui ne s’édifie pas dans ce qui dure, dans la répétition ou l’équivalence, mais dans le refus du Retour, la profanation des usages, l’aveugle ressemblance sur qui regard bute…
C’est un étrange jour d’août, je regarde par la fenêtre la bruine effaçant les tiédeurs, la lumière séparée, les semailles vides. L’ombre des dieux rôdeurs claque et crisse sur l’ardoise indécise, s’accroissant à chaque trace des jeux poreux, des pièges du surgissement; ce n’est que maintenant que j’ai compris qu’ils me feront faire le trajet jusqu’au bout, il le faut, de le savoir c’est à toi que je le dois, à quelques autres aussi, que je n’oublie pas… Et ce n’est qu’une fois mon devoir rendu que je répondrai à celle qui me toise et m’appelle – tout comme tu le fis il y a trente ans de cela – » c’est l’heure de s’en aller, oui, viens! »
« Il avait déjà la peau brûlée de soleil et de vent quand il se déshabilla pour plonger du haut d’un rocher; l’eau était froide et cela lui fit du bien, il se laissa entraîner par des courants insidieux jusqu’à l’entrée d’une grotte, repartit vers la haute mer, s’abandonna sur le dos, accepta tout en un seul acte de conciliation qui était aussi un nom pour le futur. Il sut alors sans la moindre hésitation qu’il ne quitterait plus l’île, que d’une certaine façon il allait rester dans l’île pour toujours. »
(Julio Cortázar)
« Ne (me) reste presque rien: ni la chose, ni son existence, ni la mienne, ni le pur objet ni le pur sujet, aucun intérêt de rien qui soit à rien qui soit. Aucun intérêt, vraiment, car chercher Anabel loin dans le temps c’est tomber encore une fois au fond de moi, et c’est si triste d’écrire sur soi, quand bien même je voudrais continuer à me figurer que j’écris sur Anabel. »
(Julio Cortázar)
« Il fallait bien que je trouve le moyen de te dire adieu et de te demander de continuer. Il fallait bien que je te laisse quelque chose avant de regagner mon refuge où il n’y a plus de miroir, rien qu’un trou où me cacher jusqu’à la fin dans l’obscurité… »
(Julio Cortázar)
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