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Archive for octobre 2014

rim 1

« Chez Rimbaud, la diction précède d’un adieu la contradiction. Sa découverte, sa date incendiaire, c’est la rapidité. L’empressement de sa parole, son étendue épousent et couvrent une surface que le verbe jusqu’à lui n’avait jamais atteinte ni occupée. En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps. Mais tout ce qu’on obtient par rupture, détachement et négation, on ne l’obtient que pour autrui. »
(René Char)

rim 2

« Quiconque parle de Rimbaud est un usurpateur, puisqu’il se met à sa place, puisque écrire sur Rimbaud c’est vouloir en douce occuper le trône de la littérature en personne… »
(Pierre Michon: Le roi vient quand il veut)
« Quiconque », c’est-à-dire nous tous, alors assumons l’ombre portée par l’adolescent absolu sur nos mots comme sur nos vies!

«Tout le monde connaît cet instant précis d’octobre. C’est la vérité peut-être, dans une âme et dans un corps; on ne voit que le corps. Tout le monde connaît le cheveu mal en ordre, l’oeil peut-être bleu blanc qui ne nous regarde pas, clair comme le jour, et porté par-dessus notre épaule gauche, où Rimbaud voit une plante en pot qui monte vers octobre et brûle du carbone, mais pour nous porté, ce regard, vers la vigueur future, la démission future, la Passion future, la «Saison» et Harar, la scie sur la jambe à Marseille; et pour lui sans doute comme pour nous porté aussi vers la poésie, ce spectre conforme qui conformément se vérifie dans le cheveu mal en ordre, l’ovale angélique, le nimbe de bouderie, mais qui hors toute conformité est aussi là-bas derrière l’épaule gauche, et quand on se retourne elle est partie. On ne voit que le corps.»
( Pierre MICHON)
On a envie d’arrêter le temps, se mettre à genoux, murmurer que TOUT dire en si peu de mots, c’est presque indécent – tout en sachant qu’on n’en fera rien, sinon comprendre (« réaliser » serait plus ferme et plus précis), une fois de plus, qu’écrire, c’est ça, et ça seulement – rien d’autre!

Il n’y a d’aveu que sans retour, lui qui est entame, levée dernière, dette que le regard tient à distance et épuise, déferlante dépliant l’heure que plus rien ne divertit, qu’ébranle le malentendu, qu’habite le poids délaissé des preuves.

Poings d’autres temps, appétit qu’aucun ciel n’évide, deuil t’exhortant à rejoindre les milices du pourpre, et leurs aubaines, attrait du tain où l’on ne transperce que de plain-pied et affranchi des cadastres, brièveté qui y apprit le poison, y cisela maléfices et usures, fit croiser ceux qu’on quitte, les indociles, les épars, les amnésiques cernés par ces piétinements, ces roses hybrides, ces routes sans traînes ni brouillards, nuits obstinément calées, traces quémandant du bourreau l’aval et l’héritage…

D’Arthur, de ses foulées, ces jeux en moins, ce Réel à bâtir, plus sournois que ses plis et ses doubles: couteau entre les yeux, rumeur qui desserre, pas à pas, nœud à nœud, s’appropriant sans hâte le multiple, comme si ce deuil précoce en annonçait d’autres, comme si le sort, avec ses renvois et ses hâbleurs, s’acharnait à lui arracher le consentement qui fit s’agenouiller affûts et pesées sur son passage.

 

 

« Eh bien, chaque fibre du corps de Rimbaud, sa vie le prouve assez, portait tatoué: « Mort à l’auteur! »; son corps savait que l’écriture est une fouterie, un rond en jambe, des rinçures comme il disait; et pourtant, il ne fut que cela, auteur, en cela il fut des meilleurs, et je crois pouvoir dire que même dans ses épiceries du fin fond de la brousse éthiopienne, il le savait, il ne savait que cela… »
(Pierre Michon)
Et c’est ô combien vrai, tous les auteurs dignes de ce nom le savent, « grands » ou « petits » (les guillemets indiquent que pour moi, il s’agit là bien plus de mesures de longueurs, surfaces, poids ou volumes que d’appréciations de la valeur littéraire), connus ou inconnus, présents ou oubliés, publiés ou non (dans l’affirmative, même s’ils l’ont été – les apparences étant souvent trompeuses – presque à leur insu ou à leur corps défendant, ou à titre posthume, ou alors suivant le tracé perversement balisé, parsemé, dans bien de cas, de tant d’innommables compromissions que les énumérer ne saurait mener, dans bien de cas, qu’à la nausée, définitive, irrépressible)
Bien entendu, ce savoir ne fait nullement du détenteur, automatiquement et en toute circonstance, un « vrai » auteur, mais cela n’en a empêché aucun, du moins parmi ceux qui savent qu’on ne saurait s’auto-adouber « écrivain », de dire à quel point il n’est pas dupe de combien pèse et vaut que d’en être conscient, et pourquoi, et comment…

 

« Ce n’est pas de poésie qu’il s’agit avec le nom de Rimbaud, mais de la complicité et du conflit entre ce qu’on est au plus haut de soi-même, et ce qu’on ne saurait être sans se détester. »
(Pierre Michon)
Et s’il n’a, ce « petit voyou » prénommé Arthur, pas une seconde cessé de nous accompagner dès avant nos seize ans, c’est aussi parce que la moindre ligne par lui tracée marque à jamais dans la chair et le blanc de la page le juste déchirement, l’étrange bataille où qui perd gagne, où la vie toujours encore à changer ne se venge que de ses propres déroutes face à celui qui voulut qu’elle fût tout autant vraie que présente et en paya le prix jusqu’à l’heure de la gangrène: pour lui, et par avance, pour nous…

 

Non mais vraiment, à bien y réfléchir, impossible d’être plus « ailleurs » que ça!

 

« Mais si je savais ce qu’est Rimbaud pour moi, je saurais ce qu’est la poésie devant moi, et je n’aurais plus à écrire… »
(René Char)

Et cela vaut pour tous…

Vienne l’heure qui de toi aura raison, jouissant de ce que l’on redoute: frayeurs où tout sonne faux, lendemains qu’il faudra à tes dépens gagner, réel extirpé de son exil, ratage des feux, distance qu’assouplit l’argile semée, obéissance au bond – puisque recommencer, c’est contredire
Qu’importent alors le traquenard, le creux templier qui jamais n’en pervertit l’apprêt ou la surprise, lenteur étarquant tes voiles, pliant tes aises, lumière dévoreuse de désastres, fugues où l’on entre à reculons, jamais pliées à tes mesures: Arthur et l’aveu, œil fixe de basilic, hanté comme par l’offense l’innocent, comme par le toucher les fins et les louanges, le bras qui relève et lave du parjure.
L’adolescent de toujours marche, veille, soupèse. Il est seul. Rien qui vaille ou fasse valoir qui ne se mesure à son aune.

 

« Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah! que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent
.

Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête
Auguste retraite
. »

Le gars Arthur n’a pas de descendants (Mallarmé, si, tout comme Lautréamont. Même Jarry en eut. Même Roussel. Lui pas – Artaud non plus, vergogneusement annexé à son insu et, sachant par qui, contre son gré à coup sûr!)
Des fées et des mages, érudits, cols élimés, sorbonnards, ronds-de-cuir, têtes d’oeuf de toute sorte se sont penchés sur son départ, à défaut du berceau. On remplirait des bibliothèques avec leurs épais ouvrages, parlant, non pas vraiment de lui, mais de tout et, surtout, de rien: de la jambe amputée et des mots balbutiés avant qu’il n’entre, comme on disait dans l’Ouest lointain, « dans la légende », du silence, du Harrar, de Dieu, que sais-je encore…
Ce que les têtes d’oeuf de tout acabit n’ont pas compris – car pour comprendre il fallait avoir aussi, ne serais-ce qu’un brin, VÉCU, et ce fut le cas de bien peu – c’est pas vraiment sorcier, nul besoin d’être agrégé, ça tient en quelques mots: à une vitesse inconcevable, à une altitude qui défie les timidités du regard, le gars Arthur n’a fait qu’un tour. Mais un tour COMPLET.
Il n’y a que ça à comprendre. Et, à bien y regarder, c’est encore loin de suffire, sinon comment expliquer l’altière, mais vaine obstination, l’aveuglement de tant, l’entêtement à toujours et encore tant DIRE et si peu FAIRE, alors que tout le fut par lui « littéralement et dans tous les sens », parachevant même d’une biffure les lâchetés à venir, à commettre par d’autres qui plus est?
Nul rachat envisageable. Pas même en s’imaginant accomplir ses volontés avant de prendre la route. Pas même en les trahissant. Car s’en aller, il le faut toujours, rien n’a changé…

« Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. »

 

J’ai fait un rêve étrange il y a quelques nuits: j’aurais assisté par hasard dans un café des Boulevards à la première (et unique3) rencontre entre Rimbaud et Lautréamont, laquelle s’est très mal passée. J’ai beau savoir que cela n’eut jamais lieu ailleurs que dans l’imaginaire, je ne peux m’empêcher de penser que c’était plus que vraisemblable, que rien n’a changé, et qu’il en serait de même cent quarante-quatre ans plus tard…

 

 

Je t’aperçois, à portée de fusil du pays des nuisances, à la merci de qui, t’enroulant, se déprenant, sut affermir le gage à ton insu mis à l’abri: du silence d’autrui, de l’arrogance qui le clôt et s’y fie, des vérités de ce Dehors dont tu côtoyas l’indifférence. Je te pressens, soumis au seuls vœux qui vaillent, se rebâtir dans le deuil de soi, en anticiper les revenants, en exécrer la maîtrise, s’en affranchir dans la défaite, pas dans le reniement…
Bientôt je m’en irai, fort de ce passé sur lequel le remords n’a plus de prise, ni le fiel des faussaires, les serments muselés, les dédains du manque, l’aveuglement des rejets, les naufrages à vif ou le rebord scellé – mais ce ne sera que pour t’y rejoindre.

 

Giorgio Agamben

« IL FAUT ÊTRE ABSOLUMENT MODERNE »…
Notons d’emblée que Rimbaud emploie le mot « moderne » et non pas « contemporain »; outre que ce dernier appelle toujours un complément (on ne saurait l’être que de quelqu’un ou de quelque chose…), méfions-nous de ceux qui l’emploieraient dans le sens que critiquait à juste titre Agamben: « Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions et se définit, en ce sens, comme inactuel; mais, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à le percevoir et à le saisir [*] Ceux qui coïncident trop pleinement avec leur époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons même, ils n’arrivent pas à la voir. Ils ne peuvent pas fixer le regard qu’ils portent sur elle. »
La « table rase » – faussement audacieuse autant que rigoureusement impraticable – est, en tout sens concevable, stupide et pernicieuse à la fois; ceux qui s’imagineraient la retrouver dans les écrits de Christian Prigent – à l’endroit duquel j’éprouve, en dépit de nos incontestables différences et divergences, ou peut-être à cause d’elles, beaucoup de respect et d’admiration – l’auront à coup sûr mal lu ou n’y auraient transféré que leurs propres conceptions, opinions, voire fantasmes sur le sujet…
Écoutons encore Agamben: «Le contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir, non les lumières, mais l’obscurité, [*] qui est ponctuel à un rendez-vous qu’il ne peut que manquer (puisque c’est) notre temps qui est le plus lointain et qu’en aucun cas il ne peut nous rejoindre [*] La voie d’accès au présent a nécessairement la forme d’une archéologie [*] (Il convient) de faire de la brisure du temps le lieu [*] d’une rencontre entre les époques et les générations[*] C’est comme si cette invisible lumière qu’est l’obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par ce faisceau d’ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment.»
Je crois que nous avons tous connu ou pressenti, un jour, l’une ou l’autre de ces «chambre des voeux» que Tarkovski nous a fait, une fois pour toutes, toucher du regard, et que ce n’est qu’en nous en souvenant que l’on peut s’efforcer de continuer, y puisant chaque matin la force de regarder sans rougir ce que le miroir qui fait voir le dedans nous renvoie…

Je ne suis décidément pas mon contemporain, fier aussi ne pas l’être de certains avec lesquels je suis contraint, hélas, de partager l’époque…

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« Seul ce qui est dur rend un son: seuls les métaux durs peuvent retentir. »
Karen Blixen a raison, oh combien!
Il suffit de se livrer à un petit exercice (je l’ai plusieurs fois fait): lire en parallèle, ou à peu d’intervalle, quelques pages de « La saison en enfer », des « Illuminations », des « Chants de Maldoror » et des « Poésies », pour comprendre pourquoi, à mon sens et à l’aune des siècles à venir, l’adolescent de Charleville, inéluctablement restera, bien plus que le gamin de Montevideo (supernovae, tous deux, de mes constellations, mais pas de la même façon – et pas proches l’un de l’autre, sauf géographiquement, mais ça ils l’ignoraient: le deuxième, icône et précurseur d’une branche de la fiction poétique qui, hormis de brefs, mais intenses épisodes de l’aventure surréaliste, n’est pas et ne sera jamais mienne..)

 

 

La maison des pères, tu n’y es pas entré, tant les miracles se font rares.
À chacun son destin – le tien: défricher le jadis, rendre docile la digue, lever le dernier rideau, abattre promptement les cartes, modeler trames et flots, creuser sans rien promettre, incurver la montée en porte muette, trésor dévergondé, proie hostile, faire resurgir ces éveillés pareils à toi, repriser leurs dons et gains, puis t’en aller seul, en quartier libre, ouvert à toute chose – de tous le frère, semblable à personne.

 

(En relisant « Une saison en enfer »)

Qu’importe à celui qui eut l’altière impudence de s’éprouver « intact » le désordre buriné des choses, les pitons de derrière lesquels l’ennemi toujours finit par surgir, les hauts bocages où l’on pénètre à reculons, la respiration égarée, l’effroi des défricheurs, le consentement qui rôde en vain, l’irréparable erreur qui ouvre sur l’horizon sa pleine présence, et sa ruine?

Dans ces quelques feuillets mille fois interrogés, tomber du coup sur ceci: « Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite; je quitte l’Europe. »
Oui, tout quitter, délaisser, ensevelir, dérouter, les cachettes, les ruines, 0les trahisons, l’enclos aux fauves, les traversées échevelées, la scène piégeuse des débuts prête à tout accueillir: mains joueuses, miroitement sans gestes, voix du presque-rien, lointain qui toujours fera défaut, qu’on porte en soi sans qu’il le sache.

Ça n’en finit pas, ça crisse, ça craque, ça berce, ça émerge où le visible se tend, ça troue les clairières, séduit trêves et séjours, cerne des devins l’aveuglement, la « fameuse gorgée de poison » brouillant sans mesure le surcroît de réalité, ce qu’on défie, ce qu’on recouvre, ce qu’on efface, griffures, catins de passage…

Bien sûr qu’il est « à réinventer », l’amour, comme tout le reste, l’entaille à demeure, le refus du bâti, la parole confinée, submergée, venant buter sur le désir entêtant, indistinct, ambigu, immense et vide, oeil aveugle rampant aux pieds du grand midi…

Ni mûrir, ni meubler, ni combler « la vieillerie poétique », mais faire sien le carcan que dilate la parole, le veuvage qui la lève, la rend irréversible, la remet aux vérités à deux faces, au temps par les mêmes eaux profané, qui se déploie et sépare, s’empare des veillées, se mêle à leur dénuement, à l’icône abîmant ces « vertiges » qu’en vain l’on « fixe ».

Tout précipiter, alors, mais pas l’appel qui clôt l’attente, ronge et dissout, pas la ferme négation de tous prédicats – « opéra fabuleux »,  querelle avec l’illimité baignant « toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames », écrit furtivement2 en ces heures d’avant-soir pour nous déposséder, nous perdre en chemin, nous rendre enfin2 rugueusement vivants.

 

(En relisant « Les Illuminations »)

Lorsque la montée elle-même cesse de nous affûter, lorsque la vitesse elle-même cesse de nous saisir pour nous dévorer, lorsque les dérobades elles-mêmes entortillent le secret des leurs guetteurs, lorsque le bas et le haut font alliance avec les termes prématurés du reniement, lorsque l’inégal des haies brouille et déplace les temps qu’on simule, l’éclipse fardée, le pli où s’inscrit le refus du désastre, il y a toujours, à même soifs et faims, « quelqu’un qui vous chasse. »

Tu nous fis pleinement voir les possibles déliés et non plus mimés – le sceau d’argile asséchant les des choses – les évidences en retard sur ce qui est – le devenir reconnaissable à ses cicatrices – la parole désengourdie, ni heurt, ni éclair, ni usufruit, mais hâblerie où rien n’est dissipé, greffe indélébile sauvant le Réel des prédateurs accourus à ses trousses, « musique savante » guérissant de tous effondrements, de tous forfaits perpétrés, de tous gestes et choix de cet Autre qui à jamais « manque à notre désir. »

Nul gnomon qui serve de mesure à ce temps où, « pressé de trouver le lieu et la formule », tu te mis à tout différer, dilater, moduler, nous faire plonger vers l’envers qu’on sature, l’événement qui s’exhibe, la duplication nomade,  la violence de qui fera tourner le monde quand tu en seras sorti, qui, pour finir, ne tordra même pas le cou à ce que tu appelas les « apparences actuelles. »

Dire « Je est un autre », c’est conférer poids et noblesse au Tout-Autre, à ce qu’il nous appartient de devenir avant que réclusions, dispersions et creux ne nous enténèbrent.

Qu’adviennent la chute qui tout ordonne et régit, la « foi au poison », navire amiral sans cesse arraisonné, engendrement où le dû est sur le coup payé, corps épanoui en soubresauts, écriture sans double, débroussaillant la route menant au trépas de l’ordre, trajet véhément ne s’accommodant d’aucune faille, cartographie des ruptures où rien n’est atténué, épargné ou adouci, ni la « stupeur », ni les « atroces veillées » où les délais s’effacent, où,2 « réellement d’outre-tombe », nous faisons corps avec tes lacunes, tes éveils, tes écarts, dispersons le don d’avoir été0 comme toi hors de portée les brusques crues de la fausse parole.

 

S’il suffisait de briser la règle,
tout museler, récuser
la rouille et la rumeur,
l’instant qui les confond, que l’araignée déjoue,
l’éveil qu’épaissit la lenteur du pire,
les intervalles et les naufrages,
le noeud que nos poings  dessèchent,
des festins ce qui surnage et qu’on ignore,
l’obscur que rouvrent nos plaies,
l’odeur du café et des regrets,
le monde serait enfin sans choix ni réponses
et on n’aurait plus à l’écrire.

 

À Pierre Michon, à ce qu’il fut, à ce qu’il est, où qu’il soit

Frêle noyau, livrant ses choix aux vents, aux carrefours, aux brins d’herbe, pierres gisantes où ne demeure que ce qui devient deux, s’innocente, s’incurve, s’abaisse à ses propres poussières…
Ici le lieu n’est plus enclos ni territoire, don d’emblée saisi, lest de chance, dépouille des lois: car comment condamner, ou pardonner, lorsque l’on est comme l’eau qui va partout où aller se peut, fin sevrant ses moyens plutôt que les plier à ses offices ?
Climat de la lisière, accueillant sans peser, conviant au passage, pas au séjour…En lui, l’ombre même s’allège, dénude et sépare, en appelle aux orées du jeu qui mène, haies valant énigmes, à découvert dans le champ qui s’éloigne sans bouger, mûrit le serpent dans la soudaineté embuée où, comme à jamais, fond le regard, et ses doubles…
L’adolescent de toujours marche, veille, soupèse. Il est seul. Ce qui vaut, et vaudra, ne se mesure qu’à son aune.

rim 3

« Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud!
Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. »
(René Char)

 

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Je me souviens avoir visité il y a peu deux excellentes expositions, l’une, «Inner and outer space» de Louise Unger chez Karsten Graeve, dans le Marais, l’autre au Centre Wallonie-Bruxelles et répondant à la (un brin) pompeuse appellation de «Cris et chuchotements / 23 femmes – artistes exposent». Eh ben, voyez-vous, c’est surtout cette deuxième qui m’inspire quelques réflexions, heu, disons iconoclastes, bien qu’à mon sens pas du tout politiquement incorrectes, et plus que jamais d’actualité… Rien à dire des artistes – certaines connues (Louise Bourgeois, Sophie Calle, Annette Messager, l’extraordinaire Frédérique Loutz, entre autres, d’autres bien moins ou carrément inconnues, du moins de moi), rien à dire des oeuvres, dans leur immense majorité captivantes et d’excellente facture… Non, ce qui m’avait gêné, c’est le fait d’avoir éprouvé le besoin d’accoler au noble mot «artistes» la détermination «femmes», remarquez que ça m’aurait tout autant posé problème s’il s’était agi de «Noirs-artistes» ou de «retraités des Postes-artistes» ou d’ «unijambistes-artistes» ou de «Malais installés dans le sud-est de Londres-artistes» ou de «révolutionnaires encartés-artistes», et j’en passe, et pas des moins bonnes…Et encore, c’était écrit «femmes-artistes», c’est à dire «artistes de sexe féminin» (bien qu’à mon humble avis ce qu’il y avait de merveilleux dans l’exposition n’avait rien à voir avec cette appartenance biologique et, naturellement, les rares choses, disons, moins bonnes, non plus…), et non pas «artistes-femmes» voulant le plus souvent signifier (horribile dictu!): «exposition de femmes faite par nous pour nous entre nous», NOTRE univers contre le LEUR, NOTRE sexe, source de vie, de joie comme de tourment, de plaisir comme de souffrance contre cette abomination brutale et disgracieuse qu’est le LEUR Ne vous y trompez pas: vu mon âge avancé, j’ai été des tous premiers combats féministes dans ce pays (non pas soutien à peine intellectuel, compassionnel ou du bout des lèvres, mais on ne peut plus actif!), le sexisme est un chancre, un cancer, un virus qui doit être combattu avec vigueur et sans relâche sous quels oripeaux qu’il se présente (là aussi j’ai modestement fait ma part de boulot, et ça continue…), je rejette, fustige, vomis le macho dans toutes ses postures – mais je n’ai pas à avoir honte de mon anatomie, ni de m’excuser d’être qui je suis: pour le meilleur (parfois…), pour le pire (très, très rarement, croyez-moi sur parole…) et pour le rire (souvent), un HOMME, avec tout ce que cela comporte d’humeurs, d’hormones et de sécrétions, avec ce pénis aussi, dont je ne me glorifie pas plus que je ne le voue aux gémonies… Au nom de tout ce que, depuis longtemps déjà, je crois et défends, je déteste tout ce qui est ou se voudrait barrière, ghetto, enfermement, frontière, barricade (sauf celles où, en des temps par trop lointains déjà, je m’en suis pris plein la gueule, et rendu aussi…) érigés au nom d’une identité forgée sur l’exclusion de l’Autre («Nous sommes nous parce que c’est Nous, c’est à dire pas EUX»), mortifère au sens le plus propre du terme… Nous avons tellement d’ennemis communs, tellement de luttes «verticales» à mener qu’il nous est interdit, en ces heures de «grand bond en arrière» de nous disperser, de répondre, encore et toujours, à tout autre cri de ralliement que celui-ci: « TOUS ENSEMBLE!»
(été 2009)

pol 1

 

 Slavoj Žižek 

François Hollande, tu parles d’une machine à faire rêver… (et le pire, c’est que Slavoj Žižek avait décrit, avec sa clairvoyance habituelle et ce, dès 2001 dans  »  » Vous avez dit totalitarisme? », la mécanique bien huilée, l’imparable chantage qui va, une fois de plus, nous y conduire:  » L’exclusion des nouvelles droites populistes, leur irrecevabilité même comme partis de gouvernement, fournit la garantie négative de l’hégémonie libérale, la preuve de sa position « démocratique ». Leur existence substitue ainsi au VERITABLE centre de la lutte politique – qui est, bien sûr, l’étouffement de toute alternative radicale de gauche – la « solidarité » de tout le bloc « démocratique » contre le danger venu de l’extrême-droite.[*] Le nouveau centre libéral-démocrate joue ici un double jeu: il présente les populistes d’extrême-droite comme l’ennemi commun, et manipule en même temps la peur de l’extrême-droite pour dominer le camp « démocratique », c’est-à-dire pour vaincre et discipliner son véritable adversaire, la gauche radicale. » Et le pire, c’est que ça va encore marcher: je ne me vois pas voter au deuxième tour pour Sarko et encore moins pour Marine juste pour embêter l’autre, la bonne vieille tactique des « deux fers au feu » fonctionnera une fois de plus, et l’on aura que nous yeux pour pleurer, comme toujours…
(2011)

Le pire, c’est que ça a marché, une fois de plus; je n’avais rien d’une voyante extra-lucide, nous étions nombreux à le savoir, la suite aussi, et pourtant…En ce qui me concerne, on ne m’y reprendra plus! (janvier 2014)

 

pol 2      

« Il avait bonne conscience. Elle n’avait pas beaucoup servi. » (Stanislaw Jerzy Lec)

Et, disons-le franchement, tel le Latin, « nomen illis legio »…

 

 Gramsci

« (Chez Gramsci) on part de la distinction entre ami et ennemi comme condition de la politique, mais cette opposition est très souple et change selon la conjoncture. La notion d’ennemi en est la clé: quelles sont ses failles, comment le fragmenter et avec qui construire le consensus, quels sont les rapports de force et quelle en est la conscience possible? » (Ricardo Piglia) Et c’est d’un authentique marxiste critique qu’il s’agit, humainement, éthiquement au-dessus de tout soupçon, mais sachant comme nul autre qu’on ne fait pas de politique (et il faut en faire!) en montrant à l’auditoire ses mains immaculées et en s’exclamant: « Je ne mange pas de ce pain-là! » (ce n’est, bien entendu, pas d’affairisme et de corruption que nous parlons, mais d’alliances tactiques à bâtir ou à savoir ne pas refuser, l’objectif final restant évidemment le même…)

 

  pol 3

 

« Toute opinion est aussi nécessairement fausse qu’elle est nécessairement vraie. » (Théodore Simon Jouffroy) C’est avec de telles phrases, tout autant superbes qu’inexactes qu’est née chez nous le foi en l’universelle équivalence, l’abominable «tout est dans tout», l’aveugle «tout se vaut», ce scepticisme mélancolique, hautain, désabusé ou cynique, cette soumission à de prétendues lois économiques qui ne servent que le petit nombre sous couvert d' »universalité », cet acquiescement servile à CE QUI EST qui nous a conduit – de renoncement en renoncement, du haussement d’épaules devant l’utopie à sa haine ou à son rejet – où nous en sommes… (2012) pol 4

 

 Jacques Bouveresse

Que l’on puisse (doive même, si c’est fait de manière sereine et argumentée!) critiquer tel ou tel aspect des travaux de Deleuze, Foucault, Derrida, Badiou, Lyotard, pour nous limiter à ceux-là, quoi de plus juste, normal et naturel! Mais qu’on ne fasse qu’affirmer ce droit légitime, sans en rien traiter du fond des choses ou alors en déformant, caricaturant, travestissant même, c’est indigne! Bouveresse n’est pas personnellement en cause, enfin pas trop, du moins cette fois-ci, il y a dans sa lettre des choses justes et exactes, et je sais fort bien ce que représente et vaut aujourd’hui le « Nouvel Observateur », c’est à dire rien ou bien peu de chose (a) – par contre les éditions Agone le sont bel et bien, il est de notoriété publique que plusieurs de livres qu’ils ont pris le parti de publier « interprètent » de telle manière les présupposés, les conceptions et la pensée même des philosophes cités que certains se sont retrouvés, sinon suppôts, du moins « alliés objectifs » du capitalisme néolibéral, vieille antienne s’il en est… Si vous êtes intéressés par un tout autre son de cloche, les ouvrages des éditions Amsterdam vous le fourniront, leur catalogue est vraiment d’une exceptionnelle qualité…
(2012)

(a): http://blog.agone.org/post/2011/06/27/Poussee-de-nationalisme-philosophique-a-la-rue-d-Ulm

 

« Il existe cinq sortes d’agents: les agents indigènes, les agents intérieurs, les agents retournés, les agents sacrifiés, les agents préservés. Lorsque ce cinq sortes d’espions sont simultanément à l’oeuvre sans éveiller les soupçons, le souverain a tissé un réseau magique, lequel constitue le plus précieux de ses trésors. » ( Sun Tzu: L’art de la guerre) Toute ressemblance avec des pays, régimes, « monarques » ou réseaux sociaux réels, vivants et à l’oeuvre en Occident (et ailleurs) est tout sauf pure coïncidence…
(2012)

pol 6 Sun Tzu

 

Je ne suis pas résigné, mais pas davantage optimiste… « De plus en plus lointaine la terre des synthèses promises », comme le disait si bien Gilles Yvain dans le no.1 de « L’Internationale situationniste » ( ça ne nous rajeunit pas, hein?)
(2012)

 

pol 7

Le conservateur dit: « Hier c’était mieux! », le réactionnaire éructe:  » Aujourd’hui c’est l’horreur! », ce n’est vraiment pas la même chose…Le Grand Architecte m’en préserve, mais s’il n’y avait de choix qu’entre ces deux-là, pas besoin, je crois, de vous faire un dessin pour clarifier mes préférences…
(2012)

 

Si l’on inverse les termes du fameux aphorisme, voilà à quoi l’on aboutit: « Si rien n’est permis, tout est vrai. »… Ce qui est, très exactement, le mot d’ordre des dictateurs, apprentis-satrapes et « bienfaiteurs (trices) » en tout genre et toutes tendances confondues, y compris les « démocratiques » et celles se proposant de sauver les gens malgré, voire contre eux…
(2012)

pol 5

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pen 1

 

« Pour certains, les paroles d’autrui sont un vocabulaire de citations au moyen desquelles ils expriment leur propre pensée. Pour d’autres, ces mots étrangers sont leurs propres pensées, et le simple fait de les mettre sur papier transforme ces mots imaginés par d’autres en quelques chose de nouveau, réinventé grâce à une intonation ou à un contexte différents. »
(Alberto Manguel)

 

pen 2

 

 

 

trahir

« Nous trahissons par loyauté. Trahir, c’est comme imaginer quand la réalité n’est pas assez belle. »
(John Le Carré)
Mais qu’en est-il lorsque cela veut dire trahir ta propre mort, l’instant dilaté où il te faudra regarder sans ciller celle qui ne te fera même pas l’aumône d’un visage?

 

 

 

« Les hommes éveillés n’ont qu’un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur monde. »
(Héraclite)
Combien extraordinaire la manière dont (c’est Steiner qui nous le rappelle): « c’est l’obscurité fragmentaire chez Héraclite ou chez Anaximandre qui, paradoxalement, indique la première lumière »!

pen 5 Anaximandre

 

 

 

pen 3

« La vie est une partition musicale que nous exécutons peut-être sans connaître la musique. Nous n’avons pas la partition. La partition, on ne la comprend qu’après, quand la musique a déjà été jouée. »
(Antonio Tabucchi)

Le plus difficile étant de faire comprendre à ceux qui vous aiment que le morceau est prêt de s’achever.
Encore qu’il n’y ait que la musique qui soit antérieure à toute attitude…

 

 

 

levinas Emmanuel Levinas

« Le nomadisme n’est pas une approche de l’état sédentaire. Il est un rapport irréductible avec la terre; un séjour sans lieu. »
(Lévinas)
Superbe réflexion, et heureux, peut-être, ceux qui surent, et purent, s’éprouver nomades. Je n’en suis pas, car il me faudra toujours, au sens fort, un lieu pour séjourner, une forêt bornant l’horizon de mon imaginaire, même s’il y a de l’ Autre au-delà, et que sa promesse ne soit pas mensonge…

 

 

 

En écho à Isabelle Pariente-Butterlin, qui m’a, de superbe et si dense manière, bien souvent entraîné « aux bord des mondes »…

«Impossible de trahir une énigme, un mystère, ils se recomposent, rebondissent en d’autres possibilités d’histoire ou de sens! La pauvreté du secret, c’est de mourir de sa propre inanité, et l’éventualité d’un sens unique, déterminant, se perd avec son énonciation. Le dévoilement qui passe pour perfide n’est-il pas le seul moyen d’engendrer justement de l’énigmatique?
Par delà les mystifications et les démystifications, il y aurait donc cet acte qui, dans sa fiction même, fonderait [*] un mystère originaire, indéfinissable, dérobé aux autres, et marqué par chacun. Comme acte fictionnel d’appropriation d’un mystère, le secret appelle la fascination du dévoilement. Il participe au jeu de cache-cache, de la disparition et de l’apparition…Le mystère ne serait dès lors pas dans la chose cachée, mais dans le mouvement unique de cacher et de dévoiler…Le dicible, le manifestable se jouent de la vérité traduite en reproduisant, au coeur même du dévoilement, l’énigme…[*]
Il y a, à la fois et dans le même moment, l’assurance fantastique d’un sens ressenti et son renvoi au mystère…La chose révélée reste plus que jamais le secret, qui contient en lui l’espoir que la personne sera un jour capable d’en émerger pour être trouvée, rencontrée et devenir ainsi un être à part entière qui partagera sa vie avec les autres»
( Henri-Pierre Jeudy)

 

 

 

« Si vous détruisez les statues, préservez les socles. Ils peuvent toujours servir. »
(Stanislaw Jerzy Lec)

 

 

 

« Mon objet n’existe pas, mais c’est mon objet. Mon désir n’a pas d’objet, mais c’est mon désir. »
(Pierre Michon)
Et c’est bien qu’il en soit ainsi, il le faut même, mais sachons que cela nous sera compté à charge

 

 

 

Je me dis tout à coup que je pourrai jeter à la figure de qui me portera en terre que fut mienne la plus grande richesse qu’un homme puisse posséder: le pouvoir de dire qu’il ne lui est arrivé, le long de toute une vie, que ce qu’il a voulu – sans doute d’avoir toujours su vouloir ce qui lui arrivait…

 Borges

 

 

 

« La prochaine fois que je viendrai au monde ici, je n’oublierai pas de compter chaque seconde. »
(Pentti Holappa)

J’en ferai sûrement de même…

 

 

 

 Pierre Michon

« Quand la gloutonnerie de vivre et l’impossibilité de le faire se rejoignent, la résolution ne peut se faire que dans la violence. L’art est cette violence. »
(Pierre Michon)

 

 

 

 Cioran

« Il est rare de tomber sur un esprit libre, et quand on en rencontre un, on s’aperçoit que le meilleur de lui-même ne se révèle pas dans ses ouvrages (quand on écrit, on porte mystérieusement des chaînes) mais dans ces confidences où, dégagé de ses convictions ou de ses poses, comme de tout souci de rigueur ou d’honnorabilité, il étale ses faiblesses. Et où il fait figure d’hérétique par rapport à lui-même. »
(Cioran: De l’inconvénient d’être né)

Assertion vraie comme il n’est pas permis, en même temps, et à coup sûr, tout à fait fausse si étendue à tous…
Étrangement fuyante, de surcroît, larmoyante et louvoyante dans un contexte « ordinaire », et en l’absence d’une définition un tant soit peu cohérente de ce que serait un « esprit libre » – mais qui retrouve, peut-être, sa vraie dimension à l’aune de l’unique « faiblesse » qui vaille, celle qui peut nous saisir à l’idée qu’il faudra s’en aller un jour, seule « aliénation sérieuse » selon son demi-compatriote Ionesco…

 

 

 

« Admirer, c’est s’étonner qu’une chose soit au lieu qu’elle pourrait ne pas être… »
(Marc Bott)

L’une des plus belles définitions de l’acte d’admirer que je connaisse! (acte dont de moins en moins de gens se sentent – du moins gratuitement – capables…)

 

 

 

« Si on dit la vérité, on est sûr d’être tôt ou tard démasqué. »
Ah, Wilde, Wilde, comme on t’aime!

 

 

 

« Ce qu’on vit comme ça vient est toujours insensé, si tu ne sais pas toi-même lui donner sens »
( Antonio Tabucchi)

Facile à dire, pas si facile que ça à faire, et c’est tout le problème…

 

 

 

 Cioran

« L’inhumanité du futur permet d’en prévoir l’impossibilité. A partir d’un certain degré de sauvagerie, dont nous sommes bien proches, rien ne pourra arriver qui concerne l’homme parce celui-ci n’y sera simplement plus. Sa négation incarnée qui pourrait peut-être résister ou s’adapter à cet excès de férocité n’intéresse pas l’homme que je suis encore. »
(Cioran)

 

 

 

 Gracián

« Toutes les vérités ne se peuvent pas dire: les unes parce qu’elles m’importent à moi-même, les autres parce qu’elles importent à autrui. »
(Baltasar Gracián)

Je me le suis TOUJOURS tenu pour dit…

 

 

« Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à la chaussure alors que c’est son pied qui est malade »
(Samuel Beckett)

 

 

 

Allez savoir pourquoi, mais je me suis du coup souvenu de la phrase de Morpheus le rebelle accueillant Néo l’élu dans « Matrix »: « Bienvenue dans le désert du Réel! » et que Slavoj Žižek a choisi comme titre pour l’un de ses plus importants ouvrages – peut-être, qui sait, parce que j’ai passé un bon bout de ma vie à réfléchir (sans Lacan et loin de lui, quoique…) à la différence entre ces deux concepts si proches et si irréductiblement autres que sont la réalité et le Réel.
La réalité, tout d’abord, chose fuyante, mouvante, ambiguë, contradictoire, énigme sans autre solution que celle que chacun, de par ce qu’il est, veut et peut, va lui donner, scénario entre les mille autre possibles (au beau milieu d’un récit, Borges nous assène tranquillement: « et ces choses, qui auraient pu être autres… »), donnée point objective qui déploie voiles, masques et travestissements à foison pour justement nous éloigner du Réel, nous le cacher, nous arracher à lui pour que l’aliénante transparence enfin meure…Le Réel ensuite, en qui s’incarne ce qui EST vraiment, lui qui mord, altère et corrompt sans possible échappatoire, et que tant de gens fuient, occultent ou refusent précisément parce qu’il est diablement difficile à accepter (« Le monde, malheureusement, est réel; moi, malheureusement, je suis Borges. », susurrait à notre oreille attentive le clairvoyant Aveugle…).
Roberto Bolaño clôt l’un de ses livres essentiels par la phrase: «Qu’est-ce qu’il y a derrière la fenêtre? ». Eh bien, le Réel, justement, nous prend-il envie de dire, ce qu’il y a derrière l’apparence, au-delà du double fond, une fois bien grattée la surface, ce à quoi l’on ne saurait accéder qu’en traversant, pour le dire d’un doux, mais cruel euphémisme, les « données immédiates« …

 

 

pen 4 Héraclite

Quelqu’un que j’estime m’a demandé il y a quelque temps pourquoi faut-il toujours que je m’en aille, tôt ou tard, de partout, sans exception. L’une des raisons, la voilà ( il y en a bien d’autres…):
« N’étant pas versés dans l’écoute, ils ne savent pas non plus parler. »
(Héraclite)

 

 

 Paulo Branco

– Aurélien Ferenczy: A quoi ressemblait la cinéphilie à cette époque-là?
(décennie ’75 – ’85 – sous-entendu en fonction de propos antérieurs)
Paulo Branco: Elle était joyeuse, partageuse, jamais morbide comme aujourd’hui. On essayait de comprendre d’où venaient les références des films que l’on aimait: on ne pouvait pas avoir lu « Ulysse » de Joyce sans connaître Homère. Pareil pour le cinéma. Quelqu’un comme Serge Daney n’était pas un intellectuel, le plaisir de la découverte était plus fort que tous les dogmes.

Pour qui ne le saurait pas, Paulo Branco est le producteur d’une quantité invraisemblable de films d’auteur et de qualité sortie sur les écrans tout au long des trente-cinq dernières années. Si je souscris entièrement à ses propos, ce n’est pas seulement parce qu’ils me paraissent coller singulièrement à la réalité des choses vues et vécues à ce moment-là, mais aussi – surtout, peut-être – parce qu’il me semble évident qu’être encore vivant à une époque n’est en rien une raison suffisante pour y adhérer, la supporter et encore moins l’aimer et bien s’y sentir. C’est – vous vous en doutiez, j’en suis certain – mon cas pour ce qui est de la nôtre…

 

 

 

 

« Les hommes inventifs vivent tout autrement que les actifs: il leur faut du temps pour que se déclanche leur activité irrégulière et sans but; expériences, nouvelles voies, ils tãtonnent plutôt qu’ils ne se contentent d’emprunter les chemins frayés… »
(Nietzsche)

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Rodrigo Fresán

« C’est la raison pour laquelle l’homme invoque des fictions afin d’atténuer la douleur de savoir que la réalité ne peut être corrigée ou mise au propre, à moins qu’elle prenne la texture d’un récit à force d’être contée [*]C’est la raison pour laquelle , la plupart du temps, nous retenons mieux un long livre qu’une courte journée. »(Rodrigo Fresán)

 

« Que voulez-vous que je dise de moi? Je ne sais rien de moi! Je ne sais même pas la date de ma mort. » (Borges)

Ô inavouable, infréquentable bonheur de se sentir pour une fois sur un pied d’égalité avec le Maître!

 

Ricardo Piglia nous rappelle que dans « Tlön, Uqbar, Orbis Tertius » ce n’est, à vrai dire, « pas le réel qui fait irruption, mais l’absence, un texte qu’on n’a pas [*] Quelqu’un a ce qui manque, quelqu’un l’a effacé. Ce n’est ni une énigme, ni un mystère; c’est un secret au sens étymologique (scernere signifiant mettre à part, cacher). » Mais ne serait-ce pas le propre de toute fiction digne de ce nom (ni combinatoire stérile, ni copie servile, pour tout dire)? La réponse est dans la question, même si Borges lui-même se montre dans un autre texte ironiquement évasif et sans illusions, comme à l’accoutumée: « La certitude que tout est écrit nous annule et nous rend prétentieux. »

 

Bolaño n’a, au contraire d’un Céline, par exemple, jamais cherché des responsables ou désigné des coupables, puisqu’il « n’y aura jamais de révélation pour nous punir ou nous sauver du mystère du mal« . Certes! Mais est-ce que la conscience du sempiternel Mal métaphysique nous dispense de nous soucier, même de relative et imparfaite manière, des maux qui accablent matériellement, concrètement et au quotidien les hommes et qui nous forcent à mettre la main dans le cambouis, tout en étant, lucidement, désespérément conscients que cela ne résoudra jamais le problème dans son essence? Nous y répondons résolument pas la négative, car c’est l’exemple de Cortazar qui s’impose en contrepoint, ce même Cortazar dont bien de récits sont au moins aussi clairvoyants, noirs, cruels et lucides que ceux de Bolaño, mais qui, n’ayant pas été, lui, marxiste, trotskiste, révolutionnaire ou avant-gardiste dans sa jeunesse, a pu, su et voulu garder jusqu’au bout ce moignon d’espoir par-delà des déceptions de même nature que celles du Chilien, moindres uniquement parce que plus tôt disparu que ce dernier…Démonter, énumérer, lister les manifestations du Mal ne saurait en aucun cas l’effacer, comme s’évertuaient à le faire avec les péchés ces hérétiques de la secte qu’évoque ironiquement Borges (car leur nombre incalculable, mais pas infini, permettait d’en envisager l’extinction par épuisement). Tâchons d’aller un peu plus loin: « On ne tue personne parce qu’il écrit mal« , s’exclame Bibiano dans « Étoile distante », ce qui ne veut nullement dire, à notre sens, qu’on puisse (ou doive) tout pardonner à quelqu’un parce qu’il écrit (ou compose, ou peint, ou filme) bien… Si toute oeuvre n’était, par définition, pesée et mesurée qu’à l’aune de considérations purement esthétiques, alors l’Adrian Leverkuhn de « Doktor Faustus » tout comme le Carlos Wieder de cette même « Étoile distante » se trouveraient nécessairement absous; qu’il nous soit permis de douter que ce soit là le propos de Bolaño, lui qui affirmait que « l’art doit mettre en rapport éthique et esthétique » Bien sûr que le Mal existe, tout comme ce Réel qui en est le réceptacle; mais au jour le jour c’est aux réalités, ambigües, contradictoires, que l’on a affaire, ces réalités en qui se meuvent toutes les théologies et les maux qu’elles charrient si on les prend trop au sérieux (alors qu’elles ne sont, pour un Borges, que des « variantes de la littérature fantastique« …). Maux qu’il nous faudra pourtant sans désemparer combattre, qu’il s’agisse de ceux avec un petit « m », qui sont du ressort de la politique, et celui avec « M » majuscule, et qu’on ne saurait « expliquer »… C’est, nous semble-t-il, Philip K. Dick qui disait que « la réalité est altérable« ; cela nous donne-t-il pour autant le droit de constamment et délibérément la vouloir « labile » pour pouvoir, en toute bonne foi souvent, éviter d’envisager de la changer?

 

« Peut-être suis-je égaré par la vieillesse et la crainte, mais je soupçonne que l’espèce humaine – la seule qui soit – est près de s’éteindre, tandis que la Bibliothèque se perpétuera : éclairée, solitaire, infinie, parfaitement immobile, armée de volumes précieux, inutile, incorruptible, secrète. Je viens d’écrire infinie. Je n’ai pas intercalé cet adjectif par entraînement rhétorique ; je dis qu’il n’est pas illogique de penser que le monde est infini. Le juger limité, c’est postuler qu’en quelque endroit reculé les couloirs, les escaliers, les hexagones peuvent disparaître – ce qui est inconcevable, absurde. L’imaginer sans limite, c’est oublier que n’est point sans limite le nombre de livres possibles. Antique problème où j’insinue cette solution : la Bibliothèque est illimitée et périodique. S’il y avait un voyageur éternel pour la traverser dans un sens quelconque, les siècles finiraient par lui apprendre que les mêmes volumes se répètent toujours dans le même désordre – qui, répété, deviendrait un ordre : l’Ordre. Ma solitude se console à cet élégant espoir. » (Jorge Luis Borges: La bibliothèque de Babel)

 

 Ricardo Piglia

« Celui qui perd détient la distance qui lui permet de voir ce que les triomphateurs ne voient pas. »
(Ricardo Piglia) 

C’est ô combien vrai, mais que la lucidité peut faire mal, parfois…

 

 

 

 Silvia Baron Supervielle

 

« Une certitude: plus je m’éloigne du passé, plus je cerne la saison qui m’occupe. A l’intérieur de celle-ci, les livres me réconfortent, mais afin de ne pas les fermer au bout de quelques pages, je ne lis que ceux qui s’adressent à moi. Il suffit que je me laisse conduire par celui qui éveille mon désir. [*]
Le livre vers lequel je me tends est aimé d’avance. »
( Silvia Baron Supervielle)

 

 

 

Si Borges était, comme le prétend Eco, un « archiviste délirant », je veux bien être archiviste (oh, l’horreur…) – « délirant », c’est déjà fait…

 

 

 

 José Lezama Lima

 

« Il y avait là aussi, dans sa boîte en peluche
noire et en coton enveloppé de taffetas blanc,
la petite déesse de jade tenant un grand bouquet
qui passait d’une main à l’autre plus froide. »
(José Lezama Lima)

 

 

 Macedonio Fernandez

 

« Dans une arrière-cour, il nous dit qu’au cas où il serait capable d’aller à la campagne et, là, de s’étendre à midi sur le sol, de fermer les yeux et de comprendre, se distrayant des circonstances qui nous distraient, il pourrait résoudre immédiatement l’énigme de l’univers. J’ignore si cette félicité lui fut consentie, mais je suis sûr qu’il l’entrevit[*]
Il était capable d’être seul à ne rien faire durant de nombreuses heures. Un livre trop fameux traite de l’homme qui est seul et qui attend. Lui était seul et n’attendait rien, s’abandonnant docilement au doux écoulement du temps. Il avait accoutumé ses sens à ne pas percevoir le désagréable et à s’attarder à tout agrément[*]
Il s’abandonnait quotidiennement aux vicissitudes et aux surprises de la pensée, comme le nageur à un vaste fleuve…[*]
Autres choses furent ses mots, imprévisiblement agrégés à la réalité, l’enrichissant et la stupéfiant. »
(Borges à propos de Macedonio Fernandez)

 

 

« Une vieille histoire de Jack London me revient à l’esprit, où le héros, appuyé contre un tronc d’un arbre, s’apprête à finir dignement sa vie. »
(Ernesto « Che » Guevara)

 

 

« Guevara lit à l’intérieur de l’expérience, il fait une pause qui ressemble à un reste diurne de sa vie antérieure. Il est même interrompu par l’action, comme quelqu’un qui se réveille [*]
Pur mouvement dans l’action, mais fixité dans les conceptions politiques, absence de nuances. Seule la marche de la guérilla est fluide. Chez Guevara, il n’y a rien à transmettre, sauf son exemple, qui est intransmissible. »
(Ricardo Piglia)

 

 

« Je n’ai jamais senti comme aujourd’hui à quel point mon chemin est solitaire. »
(Le « Che » au Congo)

 

 

 

« Votre hypothèse est possible, mais sans intérêt, répondit Lönnrot. Vous répliquerez que la réalité n’a pas la moindre obligation de présenter de l’intérêt. A quoi je répliquerai que la réalité peut s’exempter de cette obligation, mais pas les hypothèses. »
( Jorge Luis Borges: La mort et la boussole)
Réplique définitive, qui ceint tout un pan de ce qui se fait de meilleur dans la littérature contemporaine ( qui peut parfois intersecter, mais N’EST SÛREMENT PAS ce que l’on se plaît à appeler son versant « postmoderne »…)

 

 

 Augusto Monterroso

 

« Poète, ne donne pas ton livre, détruis-le toi-même. »
(Eduardo Torres, écrivain et critique fictif inventé, comme il se doit, par Monterroso)

 

 

 

« Mes lecteurs sont des lecteurs de commencements – c’est-à-dire des lecteurs parfaits. »
(Macedonio Fernandez)

Comme je voudrais pouvoir en dire de même des miens! (à supposer qu’il y en ait, en espérant qu’il n’y en a – mais pas trop, quand même…)

 

 

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« Nous pouvons imaginer nous aussi – pourquoi pas? – qu’Ulysse, tel Dante au Purgatoire, fut capable de transformer, par désir amoureux, les sirènes et leur chant. Nous pouvons l’imaginer, las des prodiges, lisant l’apparition, ainsi que sa voix ou son silence, comme quelque chose d’exclusivement personnel. Nous pouvons l’imaginer traduisant le langage universel des sirènes en une langue singulière et intime, dans laquelle il compose alors une autobiographie complète – passé, présent et avenir compris -, un poème miroir dans lequel Ulysse reconnaît, en même temps qu’il découvre, celui qu’il est vraiment.
Peut-être est-ce ainsi que fonctionne toute littérature. »
(Alberto Manguel: Nouvel éloge de la folie)

 

 

r c Rafael Cadenas

 

« Si quelqu’un me touche, c’est seulement moi qu’il touche, ce moi orgueilleux, qui ne laisse pas franchir son cloître, et non cet autre quelqu’un informe, vaste, neutre, qui agit dans l’obscurité.
Tu blesseras celui que tu peux blesser, celui qu’il n’importe pas de défendre, celui qui n’est rien.
Tu ne feras de mal à personne, tu feras du mal à ce personne qui me bouche le passage.
Ne crains rien. C’est mon gardien qui souffre. Celui qui doit se détacher comme un fruit que j’ai cultivé, dont j’ai usé et que je laisse. [*] »
(Rafael CADENAS: Celui qui est, tiré du recueil « Fausses manoeuvres »)

Tout comme Bolaño avec son « Henri Simon Leprince », cette foutue impression que c’est à moi que Cardenas s’adresse…

 

 

 

« Voilà ce que j’ai appris sur la littérature chilienne. Ne demande rien, car on ne te donnera rien. Ne tombe pas malade, car personne ne t’aidera. Ne demande pas à intégrer une anthologie, car on cachera toujours ton nom. Ne tourne pas le dos au pouvoir, car le pouvoir est tout. Ne sois pas chiche en louanges envers les imbéciles, envers les médiocres, si tu ne veux pas vivre une saison en enfer. »
( Roberto Bolaño: Entre paranthèses)

Ben, pour ce qui est de la française, c’est tout pareil, je le sais, tu le sais, nous le savons, mais c’est tout sauf une raison de ne pas le répéter, encore et toujours, qu’en dites vous, les amis?

 

 

j c 1

 

Libre à qui en voudra, à qui en aura la patience, la force et l’envie (l’orgueil occulte aussi) de déifier (et sur l’heure plier, réifier, et – bien sûr, sans le vouloir – effacer) « le quotidien, c’est-à-dire ce qui est vomi, ressenti, insupportable à jamais » (Cortazar); je n’en suis pas, je n’en serai jamais…

 

j c 2

 

 

 Homère

 

« Lorsque la fin approche, il ne reste plus d’images du souvenir ; il ne reste plus que des mots. Il n’est pas étrange que le temps ait confondu ceux qui une fois me désignèrent avec ceux qui furent symboles du sort de l’homme qui m’accompagna tant de siècles. J’ai été Homère ; bientôt, je serai Personne, comme Ulysse ; bientôt, je serai tout le monde : je serai mort. »
(Borges)

 

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je fus 9

« J’ai fini, je descends la terre lentement,
Je m’enfleuve de vase au-delà de la haine,
Dans la lointaine vase se trainent mes derniers bras
Et mon regard roulant, onde morte, recrée
Un grand pays muet, sur son eau refermé.
C’est fini, je descends dans la mort sans un cri,
Couché dans le sommeil des grandes choses vraies. »
(Armand Robin)

je fus 8

Il y a bien longtemps, à la tombée de la nuit, boulevard Rochechouart, une diseuse de bonne aventure me prit la main et me dit TOUT ce qu’il y avait à dire; certaines choses s’accomplirent, d’autres non, comme dans la vie…
(2010)

je fus 10

Je ne suis sûr pour de vrai – à l’heure où la faucheuse me toise d’un peu moins loin – que de deux choses: la première (dans la mesure où la plus grande richesse qu’un être puisse posséder c’est de se dire qu’il n’a accompli, autant que faire se peut, QUE ce qu’il a voulu), c’est que je suis, et fus, riche, bien que pas (ou plus) fortuné; la deuxième, que tous les livres que je ne lirai pas et n’écrirai plus ne valent pas un seul de ces instants d’extrême pudeur où les amants se dénudent pour la première fois avant que le plaisir ne s’en empare…
(2011)

je fus 5 Leonor Fini, 1934

Je me dis parfois qu’il me plairait, lorsque je serai parti pour de bon, que quelqu’un évoque me concernant (mais qui le sait? qui LA voit?) « la Dame Blanche qui mit sa main de neige sur l’épaule du vieil adolescent qui n’a pas senti passer les années, tout à ses jeux et à ses facéties, ses recommencements » (comme le fit Angelo Rinaldi – pas encore académicien, je vous rassure – à la mort de Cocteau…)
(2011)

Les plus âgés ne s’en souviennent peut-être plus, les plus jeunes ne le savent sûrement pas, mais les années ’70 (oui, oui, celles-là mêmes, la route, les festivals, les communautés, le shit, et au-delà…) étaient aussi celles, disons, non pas d’un égoïsme, mais d’un individualisme effréné, tu arrivais, tu saluais à la ronde, tu posais ton baluchon, s’il y avait un pétard qui circulait t’avait droit à tes taffes, on te demandait rien, tu posais pas de questions non plus, s’il avait une nana ou un mec qui te bottait et si s’était réciproque ça se faisait nonchalamment, on acceptait tout, on comprenait tout, on tolérait tout, mais il fallait pas espérer qu’on s’intéresse vraiment à toi, qu’on aille plus avant dans les relations, qu’on t’aide s’il y avait des trucs qui n’allaient pas, « ça, c’est ton problème, mec » était le grand mot d’ordre, de ce côté-ci j’peux pas dire que j’en ai vraiment la nostalgie, toute la merde qui nous a tombé dessus dans les années ’80, et après, lorsque le rhizome s’est mué en tumeur, le « jouir sans entraves » en pâle (et parfois sale) obligation, tout, dis-je, jusqu’à la boue multiforme et multitâches qui nous submerge aujourd’hui, était déjà là, en oeuf, en matrice, en germe, en couveuse, ne croyez pas tout ce qu’on vous dit, c’est dans les années ’60 qu’on a pensé, dit, écrit ce qu’il fallait pour qu’un jour ce « cauchemar climatisé » s’achève, enfin…
(2012)

Qu’est-ce que vous voulez que ça me fasse, désormais?
(2013)

je fus 2

« Non, ce n’est plus le temps, rien que l’époque
et là-dedans, rien qu’un petit instant.
Mais là précisément,
à moins de risquer toute une vie
ton être serait non-être. Durement
et impitoyablement et loin de Delphes
tu es seul avec tes questions et
à toi-même réponse, que rien ne manque
au destin… »
(Vladimir Holan)

je fus 4

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