À Pierre Ménard, pour être ce qu’il est…
« – Est-il vrai que pendant ce temps incommensurable que j’ai usé à attendre personne d’autre que moi n’ait voulu entrer?
– Oui, parce que cette porte t’était destinée. Je vais maintenant la fermer. »
(d’après Borges rappelant la parabole de Kafka)
« Terminamos el paseo en el Café Tortoni, famoso por sus espejos, sus doradas molduras, sus grandes tartas de chocolate y sus fantasmas literarios… »
(Octavio Paz)
« Notre promenade s’acheva au Café Tortoni, fameux pour ses miroirs, ses moulures dorées, ses amples tartes au chocolat et ses fantômes littéraires… »
(traduction: André Rougier)
À quoi étais-je en train de penser, assis à « sa » table? À rien, et à une foule de choses, certaines m’appartenant au point que les rendre publiques m’apparaît comme une espèce d’infâme trahison, de sacrilège sans nom. Car si Borges représente pour moi exactement ce qu’il peut représenter pour tant et tant de gens, il est, aussi, bien plus, et autre chose…
J’y étais déjà assis, et pas avec une ombre, il y a trente et quelques années de cela, mais ce n’est que maintenant que j’arrive à comprendre de l’intérieur à quel point le temps n’est, comme il l’affirmait, qu’illusion, l’identité de « l’apparent hier » et de « l’apparent aujourd’hui » rendant l’instant, « sans ressemblance ni répétition« , le même…
Je voulus prendre, une fois de plus, congé, mais comment faire lorsque celui qui toujours vous accompagna n’est, selon un ami qui le connut et comprit comme nul autre, « qu’une vaste et complexe littérature« ?
« Decirse adiós es negar la separación, es decir: Hoy jugamos a separarnos pero nos veremos mañana. Los hombres inventaron el adiós porque se saben de algún modo inmortales, aunque se juzguen contingentes y efímeros. »
(Jorge Luis Borges)
« Se dire au revoir c’est nier la séparation. C’est dire: aujourd’hui nous jouons à nous séparer, mais nous nous verrons demain. Les hommes inventèrent l’au revoir, parce qu’ils se savent en quelque sorte immortels, tout en s’éprouvant contingents et éphémères. »
(traduction: André Rougier)
Pirandello hanta également ces lieux…
« …avoir vieilli dans tant de miroirs,
avoir scruté en vain le marbre des statues,
avoir examiné des lithographies, des encyclopédies, des atlas,
avoir vu les choses que voient les hommes,
la mort, l’aurore malaisée, la plaine,
et les délicates étoiles,
et n’avoir rien ou presque rien vu,
que le visage d’une jeune fille de Buenos Aires,
un visage qui ne veut pas de mon souvenir… »
(Jorge Luis Borges)
(ou qui finit par le vouloir, mais sans doute pas comme Borges l’aurait souhaité au temps de leur jeunesse…)
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