Lumière docilement corrompue (mais tienne, absolument), jeux de porosités, lents replis, vide du ciel en lieu et place du bastion des feuillages…
Arbre-île, libre en sa trouée, chambre des voeux, là où du « rien » montré tout est su, sauf de ceux toujours perdus là où le sens des choses s’effondre en leur image…
Car comment habiter sans absoudre, sans dénuder le sentier obscur, toujours en avance sur soi, toujours en retard sur ce qui est?
(fin mai 2011)
Début d’après-midi à la galerie Vu, dans ses nouveaux murs rue saint Lazare: bien plus qu’aux compositions de José Ramon Bas dont l’univers m’est resté fermé, j’ai été sensible aux tirages virés à l’or de Castro Prieto, fantomatiques et concis, taillés dans la chair des heures et appelant à leur effacement…
Rue La Rochefoucauld, la halte traditionnelle – et au moins mensuelle – au musée Gustave Moreau dont l’univers rare et les visions singulières et à nul autre pareilles ( pas même aux Préraphaélites, décidément non…) m’ont depuis longtemps aidé, et m’aident encore – comme il y a trente-deux ans la replongée brésilienne – non pas à trouver des réponses aux questions que je me posais, mais à ne plus me les poser, mieux encore, à m’en poser d’autres, – puis la place Saint Georges, et ce quartier que je chéris tant : non pas l’uniformité haussmannienne, mais la Nouvelle Athènes romantique, altière et discrète…
(octobre 2011)
Après-midi tranquille à la Maison Européenne de la Photographie (pas du tout sensible au travail des Blume, absorbé dans les admirables images et dessins de Aki Kuroda sur New York, lesquels ont réussi la gageure de me faire presque trouver goûteuse une ville que je n’aime guère, trouvant les deux dernières décennies de photo de la nouvelle Russie intéressantes et inégales – souvent passionnantes, parfois lamentables – traversant rapidement les vidéos de Holger Trülzsch, sommet du « conformisme dans l’anticonformisme », esbroufe et pacotille des vieilles avant-gardes, resté pendant longtemps muet dans la fascination, englouti, conquis, devant les grands formats du Cyril Porchet où, comme dans le baroque – et plus souvent qu’on le croit, ailleurs aussi – le sens des choses, défiant toute ontologie, s’effondre dans leur image…)
Juste après, pélérinage devant les grilles fermés de l’Hôtel de Sens et sa cour hors du temps, où la Galerie des Bibliothèques abrita la très belle exposition «Rimbaudmania, l’éternité d’une icône» (mais je me souviens avoir rejeté avec indignation ce dernier mot, Arthur ayant probablement été, en paraphrasant Borges, «tout à tous, comme l’Ecclésiaste», mais icône non: tout comme Bolaño, c’est tout ce qu’il aurait surtout voulu NE PAS être…)
(octobre 2011)
Me revient en mémoire l’excellente exposition visitée il y a quelque dix-huit mois à la Maison Européenne de la Photographie (les terribles images de cette guerre en péninsule indochinoise qu’on désigne par le nom réducteur de « guerre du Vietnam » et dues à Henri Huet, les fabuleux bals funk des favelas de Rio captés par l’oeil amoureusement et lucidement intelligent de Vincent Rosenblatt, les collages hors d’âge de Prévert et, surtout, une sélection des travaux de Hervé Guibert photographe et vidéaste, sobre et déchirante…)
Je me suis en particulier longtemps arrêté devant les exceptionnels portraits de femmes amies (sublimées, magnifiées, mais pas désirées), rappelant les représentations féminines de Léonard de Vinci – homosexuel assumé comme lui – et dont Kenneth Clark disait qu’elles font l’effet « d’un courant d’air froid dans une cathédrale »…
(octobre 2011)
Je me souviens qu’un gars m’avait dit, d’un ton à la fois méprisant et accusateur qu’il faut être gay ET pédophile pour en arriver à apprécier les saloperies de photos de cette ordure de Bernard Faucon; le « pauvre crétin » que ma bouche exhala du fond de l’âme apaisa à peine le « ni gay ni pédophile » que je suis… Des comme ça, il y en a de plus en plus, et je me dis que l’irrespirable retour à « l’ordre moral » auquel nous assistons aurait certainement empêché l’exceptionnelle expo que la Maison Européenne de la Photographie lui consacra il y a de cela quelques années d’avoir lieu… J’ai, bien sûr, condamné ce qui s’était passé à Avignon il y a deux ans au nom de la liberté de création, droit inaliénable et absolu; mais il ne me viendrait pas une seconde à l’esprit de comparer l’éculée, naïve, boutonneuse blague de potache à laquelle se sont attaqué les intégristes à la vraie subversion de l’ordre symbolique, de tous les codes, de toutes les règles, de tout consensus sur « l’acceptable » et la « bienséance » que l’oeuvre de Faucon incarne…
(décembre 2011)
« Une photographie est un secret sur un secret. Plus elle vous en dit, moins vous en savez. »
( Diane Arbus)
De retour le long des quais de l’extraordinaire expo Arbus (troisième visite, et ce n’est sûrement pas fini…), je me pris à réfléchir au destin semblable (et en même temps si différent) des deux femmes, et à leurs suicides respectifs. Alors que celui de Sylvia était inévitable, inscrit ontologiquement presque dans une histoire qu’il finit par éclairer, sinon « couronner » (ni le succès, ni la maternité, ni les amis, ni Ted, ni même la poésie n’y purent rien, car il découlait de ce qu’elle FUT, sans rémission envisageable), celui de Diane, bien plus inattendu, vint de ce qu’elle DEVINT, de son extrême compréhension de « l’humain » dans sa totalité, avec ses distorsions, son horreur « magnifique » (et souvent magnifiée), sa singularité, assumée ou non, toujours irrévocable. Vivre avec ce et tels que nous sommes est difficile, mais possible; vivre avec ce que parfois nous devenons en le comprenant du dedans l’est beaucoup moins pour certains, souvent les meilleurs…
(novembre 2011)
« Ce sont des personnages singuliers qui apparaissent comme des métaphores bien au-delà de nous, attirés, non contraints, auteurs et héros d’un rêve réel… »
(Diane Arbus: Le cercle complet)
Au-delà de nous, oui, comme toutes celles qui du nom qu’on leur donne savent se montrer dignes…
« Nothing is ever the same they said it was. It’s what I never seen before that I recognize. »
(Diane Arbus)
« Quand je photographie un objet, c’est pour voir à quoi il ressemble quand il est photographié. »
(Garry Winogrand)
Je n’y avais jamais pensé avant de lire ce qui précède, mais il me semble qu’il suffit de remplacer « photographier » par « écrire » et « objet » par « Réel » pour (commencer à) comprendre pourquoi l’on s’adonne à cette coupable activité…
(avril 2012)
Je ne m’attendais guère à te retrouver juste dans cette galerie un peu bizarre (et fascinante, comme si souvent ce qui l’est…) J’y vais parfois, lorsque mes pérégrinations me font passer devant j’entre, parce que j’aime la photo, et que là je suis servi, il n’y a que ça…Je me contente d’habitude du rez-de-chaussée (réservé, lui, aux acteurs, chanteurs, écrivains, artistes, rockers, que sais-je encore?), aux images de leur jeunesse (qui est aussi la mienne) surtout (presque exclusivement, à vrai dire…)
Je ne sais pas pourquoi je suis descendu au sous-sol ce jour-là, et dans l’indescriptible fouillis embrassant tous temps et lieux, je t’ai soudainement vue. Comment ta photo a-t-elle atterri sur cette étagère, je n’en sais rien, et je n’ai pas posé la question (je sais, par contre, quand elle fut prise, et par qui, j’y étais…) Toujours est-il que tu t’y trouvais, proche cousine qui tant me ressemblait (tu me le rappelais toujours: lorsque quelqu’un en faisait la remarque: « on dirait qu’ils sont jumeaux! », je rougissais, et pas qu’un peu), implacable comme ton sourire, sereine comme ce regard qui semblait toiser mes rides, mes cheveux blancs, mes tempes cabossées, mes oreilles rougies par le froid de cet hiver-là (petites comme les tiennes, héritage de notre commune lignée maternelle), chercher de tes yeux les miens, eux qui ont peut-être trop vu, et pas toujours ce qu’il fallait, ou le pli, trop sage désormais, de mes lèvres…
En un instant sans frein, tout revint, en vrac comme en détail, « crues, roseaux, ormes, lierres, coulées, rubans, ténèbres, ponts de lune, philtres, archipels, sextants, trous noirs, limailles, nerfs, cendres, maisons, bougainvillées, nages, bracelets, glaces, coquillages, poulpes, galions, ogres, rocs, frôlements, seuils, dérobades » (comme dans ce « Dernier manège » écrit il y a si longtemps non pas « pour« , mais « avec » toi); je te regardai encore longtemps (le galeriste descendit même quelques marches pour s’assurer que j’allais bien), remontai ensuite sans un mot, la lenteur du soir me happa et je sus que bientôt tout sera comme s’il ne s’était rien passé…
C’est étrange, j’avais si peu (« peu » non – « rarement »…) pensé à toi depuis ce jour (cela fait vingt-sept ans aujourd’hui même, me semble-t-il) où tu finis par te rendre (tout comme Sylvia, ou Diane, ou Danielle) à ces ombres que tu eus si tôt eu envie de comprendre, sinon de connaître; maintenant je sais que tu es revenue, que tu ne t’en iras plus, que tu m’accompagneras, pas moins que quelques autres, lorsque viendra mon tour de les rejoindre…
(octobre 2012)
Mon tout premier voyage au Brésil (en 1972), ce fut avec toi que je le fis. Je ne sais pas pourquoi, peut-être ne le saurai-je jamais, mais celui de cette année s’annonce, quarante-deux après, comme marquant d’étranges et essentielles retrouvailles…
(2014)
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