« Nous sommes trop semblables à nous-mêmes; nous courrons le risque de trop nous ressembler. Quand j’étais petit, j’avais bon espoir – contrairement aux apparences – d’être plusieurs personnes à la fois. »
(Bioy Casares)
Je sais qu’il faudra me perdre dans le déclin des routes, m’effriter hors du rite allégé, clouer la flamme que tu retends, écharde replantée au coeur, à même les terres fébriles, dans cette dernière clairière.
(1968)
La loi se disperse, nulle migration n’attise ta paume, l’aveuglante. Les cicatrices s’épuisent en clairières, le dehors est sans fissure, la force seulement pressentie. Inhabité s’avance l’incendie, à l’aube étroite que dissout le sillage que nul n’a saisi ni guéri, pas même celui de loin surgi qui te sauva des veilleurs de l’imposture, des dépeupleurs chassés sur la même grève, oublieux du dédoublement qui fut.
Je t’imagine, aux nuques intactes du sommeil, reniant un à un tes visages. Je revois tes doigts effleurant les digues, la front des bâtisseurs, le flux déferlant aux embrasures, aux hivers durables.
Puis d’autres aborderont le mouillage, le déclin des remous et des rives, l’écueil qui nous rassemble, qui t’entrevoit dans le reversement des gorges en friche.
Quand repartons-nous ?
Il crut au sommeil, au jour sans contours, aux choses sans nom. Il crut à la dispersion en son centre. Il rêva du silence comme défi.
Fin de partie perdue, échange insaisi, mais que sûrs comme jamais ils appelèrent chance, au-delà du balbutiement appesanti sur elle.
Non pas le jour distant, le jour compté, mais celui à l’aune des morts desquels ils mesurèrent la feinte.
(1969)
L’entassement me perpétue. J’ordonne les surfaces. Je renverse les noyaux. L’impatience croît, déjoue les noeuds, étouffe les voies, file vers ces mers sans clôture, que je sais vraies…
(1969)
Ils t’ont repris, mains écarquillées fouillant le souterrain qui t’éloigne.
Là, inlassablement, ils tendent les répits, t’offrent l’air pour revers, figent l’herbe chaque jour plus vaste.
Celle qui cessera, et celle qui t’invente.
(1969)
Rejoints les rejets, brunies les vêpres, veillés les regrets. Choisir. Que tes sillons s’accomplissent, ici et maintenant, même barbouillés de mousses, de feux sans bannières. Mais vite. Car tu ne recommenceras pas.
Dans la maison des débuts il y a de lèpre à lèpre la fêlure délivrée des preuves, la riveraine.
Dans la hutte aux parois de lierre il y a la moiteur dissipée, voyante aux plis opaques dont s’écarte toute voilure.
Dans la tour vrillée il y a un goût de gaudes dévorées, de graines inquiètes.
Dague et hôtesse enfin confondues.
Embuscades, arc de l’absence mêlant à ton visage ce masque de pharaon à l’heure du plaisir, des alcools incurvés, des rixes de minuit.
Icône se tenant sur le seuil, dans l’ombre de l’ombre, vers l’oubli de l’oubli – qui t’enlève les choses sans que tu les perdes ou que tu puisse les garder de par l’illusion de les avoir perdues.
Faux-pas du désir qui, d’un bond sans pourtour, franchit la ligne, toujours trahie, déjà repue…
Nous sommes des variantes d’une même ombre, de ses déguisements: alliance du vol et du renvoi, du plomb et du vide, de ce qui, en cette heure, n’a ni visière, ni visage, ni orgueil, ni droit à faire valoir, ni ténèbres à expier.
Nuits sur le promontoire, fêtes recrues.
L’accueil, l’essor séparé, les racines à revendre, à qui sans bris marcha vers l’automne. De les avoir vues, soeurs brumeuses, dès l’aube enlacées, et leur cri élargi, pressenti le silence du blé dans la noire.
Tu n’aurais pas dû, mais tu es resté, comme avant, quand le monde était encore. Pour tout dire.
Les portes s’ouvrant, lentes sous la paume, les archipels, aux réveils, par les mers rabrouées.
Entame aux rives soupesées pour que rien, jamais, n’y soit en leurs souches blessé, désemparé, affamé ou éteint, pour qu’on ne monte plus au temps par autrui, par le bond ou l’énigme, ces feintes qui le dévêtent, l’accroissent, l’accompagnent, parfois ressaisi, dépris, repeint, jamais en vain…
Don de chevaucher les creux, les brumes qui affluent sur les contrées des morts, les murs couverts de graffitis, affûtés par l’instant, délavés par la succession, sourdes parcelles de l’enfer où gît la réalité, féroce, insubornable.
(1969)
tu surgiras,
lisse,
moule renversé,
dérivation parfaite d’arbre.
tu t’en iras vite.
n’assouviras pas les villes,
ne dormiras pas dans la lumière béante,
n’enlaceras pas les fondations impensables.
je te connais.
plutôt que d’habiter
ta vie, tu te tairas,
même à l’écart
– dans la sobre exigence de l’envers.
(1970)
Les foudres blondes te coucheront en plein essor. Ainsi iras-tu, couvert de fardeaux paisibles, vers la plaine ouverte et la rade attentive, la blancheur prisonnière des sentiers divergents. L’heure renversée à dessein ne repoussera pas. Tu auras tout conquis – en pure perte.
(1970)
Il dormait impérieusement, houle aux flancs, apparence lacérée. Sa paume, dans l’intimité du sable, semblait attendre.
Tu enviais son achèvement, l’intransigeance qui le mettait loin, le dehors où tu te cognais à ses plaies, à l’heure close, à tout…
Car s’il souriait, c’était à la solitude de son rite, à rien d’autre, pas même aux sévices du voyage, à celle qui le traverse, et qu’il rachète presque, d’être seul en elle.
Combien de fois a-t-il respiré la fissure, entrevu la dérive, lumière de cuivre brûlé, accrue obstinément, et pauvre, où nulle demeure n’oserait le rejoindre ?
Combien de fois t’es-tu couché là aussi, sans partage ni dégoût, à espérer l’arrêt des simulacres, du mouvement mutilé, des dispersions sans lieu ?
Mais aujourd’hui, trop tard venu, ou trop tôt – à tant te perdre dans d’autres inexorables fêtes – tu t’en veux d’être là, où indéfiniment tu le regardes, et l’envies.
Tu ne sais toujours pas qui a frôlé la loi, s’est joué de la nuit, s’est reconnu dans sa morsure…
Car sans détours est l’inondation à l’orée de toi, insensée, qui te lie au risque de l’aborder de face, où le bris sans fin se remplit, où tu lui ressembles, oui, et le rassembles.
Ton heure de vol
Par-delà la chaleur béante
Des villes
Cette guerre que tu arraches
arcade de doigts noyés
Pour voir la moitié sûre
(1971)
En pensant à Claire P. et à Alain C., en mémoire de ce que furent pour nous ces temps reculés (2014)
« Maintenant tu sais que je t’ai vraiment pardonné, parce qu’oublier c’est pardonner et non effacer. Essaie d’oublier toi aussi: tant que dure le remords dure la faute. » (Borges)
Je ne t’ai jamais connu de pourtour. Juste un jardin manqué, à la poussière mauve – maigre, désuni, avec dedans l’appel de ta pénombre.
Puis je t’ai suivie, reconnue, au couchant, sur l’épaule: toujours étendue du côté du vert, avec, tout près du coeur, le grand large.
(1971)
Les écrans sont éteints, ça y est, tous à la fois. Ce n’est pas l’heure de dire qu’il est trop tard: tu n’as jamais été précoce. Mais de te regarder enfin, dans l’innombrable miroir, quand le fard dégouline sur le visage.
Cela pourrait s’appeler: de la volonté d’absence d’amour comme condition, comme condition indispensable. Peut-être depuis le début, le premier état constaté.
Les écrans sont noirs, presque tous, plus de figures aux murs, plus de sentiments, des sensations seulement, plus de pensées, des idées: manière très XVIIIème de voltiger parmi les rencontres inaccomplies, et d’en rire. Il y a ceux qui bâtissent ou détruisent , clament ou pourfendent, ceux dont le projet est de n’en point avoir, toi non. Aucune catégorie connue.
Espace aux baleines de toutes couleurs, aux injonctions desquelles il est convenu de ne plus répondre. Espace de désertions et d’enclaves, où dormir dans ce lit prohibé est TOUT, peut-être. Espace de bannissements et d’écarts, de glaciations et d’oubli, espace du regard qui, inlassablement, revient.
De voeux et de connivences, soudain, que l’épaule amie perpétuera, bien au-delà de toi, et d’elle…
(1975)
I did’n call her, even destroyed that sheet of paper, so as not to be tempted, ever. It wasn’t sadness I felt, not at all, just a strange bliss. That can’t have been, thus never was, I erased it because that’s all they call « reality » deserves. It was up to me to build something out of what happened, up to me to choose, and I did. As always for us, the ones born to remember, I only kept the shadows, the undertones, longing for the long frangrance to stay, pouring forth the words no one is to read, not about, but « around » her spilt shadows, opening, envelopping and, finally, killing.
(1980)
« Nothing, like something, happens anywhere »
(Philip Larkin)
Tu as des réserves… (Oeuvres complètes de A.R., tome XXVI) :-))
T’as pas idée…rsrsrs