« Pour certains, les paroles d’autrui sont un vocabulaire de citations au moyen desquelles ils expriment leur propre pensée. Pour d’autres, ces mots étrangers sont leurs propres pensées, et le simple fait de les mettre sur papier transforme ces mots imaginés par d’autres en quelques chose de nouveau, réinventé grâce à une intonation ou à un contexte différents. »
(Alberto Manguel)
« Nous trahissons par loyauté. Trahir, c’est comme imaginer quand la réalité n’est pas assez belle. »
(John Le Carré)
Mais qu’en est-il lorsque cela veut dire trahir ta propre mort, l’instant dilaté où il te faudra regarder sans ciller celle qui ne te fera même pas l’aumône d’un visage?
« Les hommes éveillés n’ont qu’un monde, mais les hommes endormis ont chacun leur monde. »
(Héraclite)
Combien extraordinaire la manière dont (c’est Steiner qui nous le rappelle): « c’est l’obscurité fragmentaire chez Héraclite ou chez Anaximandre qui, paradoxalement, indique la première lumière »!
« La vie est une partition musicale que nous exécutons peut-être sans connaître la musique. Nous n’avons pas la partition. La partition, on ne la comprend qu’après, quand la musique a déjà été jouée. »
(Antonio Tabucchi)
Le plus difficile étant de faire comprendre à ceux qui vous aiment que le morceau est prêt de s’achever.
Encore qu’il n’y ait que la musique qui soit antérieure à toute attitude…
« Le nomadisme n’est pas une approche de l’état sédentaire. Il est un rapport irréductible avec la terre; un séjour sans lieu. »
(Lévinas)
Superbe réflexion, et heureux, peut-être, ceux qui surent, et purent, s’éprouver nomades. Je n’en suis pas, car il me faudra toujours, au sens fort, un lieu pour séjourner, une forêt bornant l’horizon de mon imaginaire, même s’il y a de l’ Autre au-delà, et que sa promesse ne soit pas mensonge…
En écho à Isabelle Pariente-Butterlin, qui m’a, de superbe et si dense manière, bien souvent entraîné « aux bord des mondes »…
«Impossible de trahir une énigme, un mystère, ils se recomposent, rebondissent en d’autres possibilités d’histoire ou de sens! La pauvreté du secret, c’est de mourir de sa propre inanité, et l’éventualité d’un sens unique, déterminant, se perd avec son énonciation. Le dévoilement qui passe pour perfide n’est-il pas le seul moyen d’engendrer justement de l’énigmatique?
Par delà les mystifications et les démystifications, il y aurait donc cet acte qui, dans sa fiction même, fonderait [*] un mystère originaire, indéfinissable, dérobé aux autres, et marqué par chacun. Comme acte fictionnel d’appropriation d’un mystère, le secret appelle la fascination du dévoilement. Il participe au jeu de cache-cache, de la disparition et de l’apparition…Le mystère ne serait dès lors pas dans la chose cachée, mais dans le mouvement unique de cacher et de dévoiler…Le dicible, le manifestable se jouent de la vérité traduite en reproduisant, au coeur même du dévoilement, l’énigme…[*]
Il y a, à la fois et dans le même moment, l’assurance fantastique d’un sens ressenti et son renvoi au mystère…La chose révélée reste plus que jamais le secret, qui contient en lui l’espoir que la personne sera un jour capable d’en émerger pour être trouvée, rencontrée et devenir ainsi un être à part entière qui partagera sa vie avec les autres»
( Henri-Pierre Jeudy)
« Si vous détruisez les statues, préservez les socles. Ils peuvent toujours servir. »
(Stanislaw Jerzy Lec)
« Mon objet n’existe pas, mais c’est mon objet. Mon désir n’a pas d’objet, mais c’est mon désir. »
(Pierre Michon)
Et c’est bien qu’il en soit ainsi, il le faut même, mais sachons que cela nous sera compté à charge…
Je me dis tout à coup que je pourrai jeter à la figure de qui me portera en terre que fut mienne la plus grande richesse qu’un homme puisse posséder: le pouvoir de dire qu’il ne lui est arrivé, le long de toute une vie, que ce qu’il a voulu – sans doute d’avoir toujours su vouloir ce qui lui arrivait…
« La prochaine fois que je viendrai au monde ici, je n’oublierai pas de compter chaque seconde. »
(Pentti Holappa)
J’en ferai sûrement de même…
« Quand la gloutonnerie de vivre et l’impossibilité de le faire se rejoignent, la résolution ne peut se faire que dans la violence. L’art est cette violence. »
(Pierre Michon)
« Il est rare de tomber sur un esprit libre, et quand on en rencontre un, on s’aperçoit que le meilleur de lui-même ne se révèle pas dans ses ouvrages (quand on écrit, on porte mystérieusement des chaînes) mais dans ces confidences où, dégagé de ses convictions ou de ses poses, comme de tout souci de rigueur ou d’honnorabilité, il étale ses faiblesses. Et où il fait figure d’hérétique par rapport à lui-même. »
(Cioran: De l’inconvénient d’être né)
Assertion vraie comme il n’est pas permis, en même temps, et à coup sûr, tout à fait fausse si étendue à tous…
Étrangement fuyante, de surcroît, larmoyante et louvoyante dans un contexte « ordinaire », et en l’absence d’une définition un tant soit peu cohérente de ce que serait un « esprit libre » – mais qui retrouve, peut-être, sa vraie dimension à l’aune de l’unique « faiblesse » qui vaille, celle qui peut nous saisir à l’idée qu’il faudra s’en aller un jour, seule « aliénation sérieuse » selon son demi-compatriote Ionesco…
« Admirer, c’est s’étonner qu’une chose soit au lieu qu’elle pourrait ne pas être… »
(Marc Bott)
L’une des plus belles définitions de l’acte d’admirer que je connaisse! (acte dont de moins en moins de gens se sentent – du moins gratuitement – capables…)
« Si on dit la vérité, on est sûr d’être tôt ou tard démasqué. »
Ah, Wilde, Wilde, comme on t’aime!
« Ce qu’on vit comme ça vient est toujours insensé, si tu ne sais pas toi-même lui donner sens »
( Antonio Tabucchi)
Facile à dire, pas si facile que ça à faire, et c’est tout le problème…
« L’inhumanité du futur permet d’en prévoir l’impossibilité. A partir d’un certain degré de sauvagerie, dont nous sommes bien proches, rien ne pourra arriver qui concerne l’homme parce celui-ci n’y sera simplement plus. Sa négation incarnée qui pourrait peut-être résister ou s’adapter à cet excès de férocité n’intéresse pas l’homme que je suis encore. »
(Cioran)
« Toutes les vérités ne se peuvent pas dire: les unes parce qu’elles m’importent à moi-même, les autres parce qu’elles importent à autrui. »
(Baltasar Gracián)
Je me le suis TOUJOURS tenu pour dit…
« Voilà l’homme tout entier, s’en prenant à la chaussure alors que c’est son pied qui est malade »
(Samuel Beckett)
Allez savoir pourquoi, mais je me suis du coup souvenu de la phrase de Morpheus le rebelle accueillant Néo l’élu dans « Matrix »: « Bienvenue dans le désert du Réel! » et que Slavoj Žižek a choisi comme titre pour l’un de ses plus importants ouvrages – peut-être, qui sait, parce que j’ai passé un bon bout de ma vie à réfléchir (sans Lacan et loin de lui, quoique…) à la différence entre ces deux concepts si proches et si irréductiblement autres que sont la réalité et le Réel.
La réalité, tout d’abord, chose fuyante, mouvante, ambiguë, contradictoire, énigme sans autre solution que celle que chacun, de par ce qu’il est, veut et peut, va lui donner, scénario entre les mille autre possibles (au beau milieu d’un récit, Borges nous assène tranquillement: « et ces choses, qui auraient pu être autres… »), donnée point objective qui déploie voiles, masques et travestissements à foison pour justement nous éloigner du Réel, nous le cacher, nous arracher à lui pour que l’aliénante transparence enfin meure…Le Réel ensuite, en qui s’incarne ce qui EST vraiment, lui qui mord, altère et corrompt sans possible échappatoire, et que tant de gens fuient, occultent ou refusent précisément parce qu’il est diablement difficile à accepter (« Le monde, malheureusement, est réel; moi, malheureusement, je suis Borges. », susurrait à notre oreille attentive le clairvoyant Aveugle…).
Roberto Bolaño clôt l’un de ses livres essentiels par la phrase: «Qu’est-ce qu’il y a derrière la fenêtre? ». Eh bien, le Réel, justement, nous prend-il envie de dire, ce qu’il y a derrière l’apparence, au-delà du double fond, une fois bien grattée la surface, ce à quoi l’on ne saurait accéder qu’en traversant, pour le dire d’un doux, mais cruel euphémisme, les « données immédiates« …
Quelqu’un que j’estime m’a demandé il y a quelque temps pourquoi faut-il toujours que je m’en aille, tôt ou tard, de partout, sans exception. L’une des raisons, la voilà ( il y en a bien d’autres…):
« N’étant pas versés dans l’écoute, ils ne savent pas non plus parler. »
(Héraclite)
– Aurélien Ferenczy: A quoi ressemblait la cinéphilie à cette époque-là?
(décennie ’75 – ’85 – sous-entendu en fonction de propos antérieurs)
– Paulo Branco: Elle était joyeuse, partageuse, jamais morbide comme aujourd’hui. On essayait de comprendre d’où venaient les références des films que l’on aimait: on ne pouvait pas avoir lu « Ulysse » de Joyce sans connaître Homère. Pareil pour le cinéma. Quelqu’un comme Serge Daney n’était pas un intellectuel, le plaisir de la découverte était plus fort que tous les dogmes.
Pour qui ne le saurait pas, Paulo Branco est le producteur d’une quantité invraisemblable de films d’auteur et de qualité sortie sur les écrans tout au long des trente-cinq dernières années. Si je souscris entièrement à ses propos, ce n’est pas seulement parce qu’ils me paraissent coller singulièrement à la réalité des choses vues et vécues à ce moment-là, mais aussi – surtout, peut-être – parce qu’il me semble évident qu’être encore vivant à une époque n’est en rien une raison suffisante pour y adhérer, la supporter et encore moins l’aimer et bien s’y sentir. C’est – vous vous en doutiez, j’en suis certain – mon cas pour ce qui est de la nôtre…
« Les hommes inventifs vivent tout autrement que les actifs: il leur faut du temps pour que se déclanche leur activité irrégulière et sans but; expériences, nouvelles voies, ils tãtonnent plutôt qu’ils ne se contentent d’emprunter les chemins frayés… »
(Nietzsche)
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