« Chez Rimbaud, la diction précède d’un adieu la contradiction. Sa découverte, sa date incendiaire, c’est la rapidité. L’empressement de sa parole, son étendue épousent et couvrent une surface que le verbe jusqu’à lui n’avait jamais atteinte ni occupée. En poésie, on n’habite que le lieu que l’on quitte, on ne crée que l’œuvre dont on se détache, on n’obtient la durée qu’en détruisant le temps. Mais tout ce qu’on obtient par rupture, détachement et négation, on ne l’obtient que pour autrui. »
(René Char)
« Quiconque parle de Rimbaud est un usurpateur, puisqu’il se met à sa place, puisque écrire sur Rimbaud c’est vouloir en douce occuper le trône de la littérature en personne… »
(Pierre Michon: Le roi vient quand il veut)
« Quiconque », c’est-à-dire nous tous, alors assumons l’ombre portée par l’adolescent absolu sur nos mots comme sur nos vies!
«Tout le monde connaît cet instant précis d’octobre. C’est la vérité peut-être, dans une âme et dans un corps; on ne voit que le corps. Tout le monde connaît le cheveu mal en ordre, l’oeil peut-être bleu blanc qui ne nous regarde pas, clair comme le jour, et porté par-dessus notre épaule gauche, où Rimbaud voit une plante en pot qui monte vers octobre et brûle du carbone, mais pour nous porté, ce regard, vers la vigueur future, la démission future, la Passion future, la «Saison» et Harar, la scie sur la jambe à Marseille; et pour lui sans doute comme pour nous porté aussi vers la poésie, ce spectre conforme qui conformément se vérifie dans le cheveu mal en ordre, l’ovale angélique, le nimbe de bouderie, mais qui hors toute conformité est aussi là-bas derrière l’épaule gauche, et quand on se retourne elle est partie. On ne voit que le corps.»
( Pierre MICHON)
On a envie d’arrêter le temps, se mettre à genoux, murmurer que TOUT dire en si peu de mots, c’est presque indécent – tout en sachant qu’on n’en fera rien, sinon comprendre (« réaliser » serait plus ferme et plus précis), une fois de plus, qu’écrire, c’est ça, et ça seulement – rien d’autre!
Il n’y a d’aveu que sans retour, lui qui est entame, levée dernière, dette que le regard tient à distance et épuise, déferlante dépliant l’heure que plus rien ne divertit, qu’ébranle le malentendu, qu’habite le poids délaissé des preuves.
Poings d’autres temps, appétit qu’aucun ciel n’évide, deuil t’exhortant à rejoindre les milices du pourpre, et leurs aubaines, attrait du tain où l’on ne transperce que de plain-pied et affranchi des cadastres, brièveté qui y apprit le poison, y cisela maléfices et usures, fit croiser ceux qu’on quitte, les indociles, les épars, les amnésiques cernés par ces piétinements, ces roses hybrides, ces routes sans traînes ni brouillards, nuits obstinément calées, traces quémandant du bourreau l’aval et l’héritage…
D’Arthur, de ses foulées, ces jeux en moins, ce Réel à bâtir, plus sournois que ses plis et ses doubles: couteau entre les yeux, rumeur qui desserre, pas à pas, nœud à nœud, s’appropriant sans hâte le multiple, comme si ce deuil précoce en annonçait d’autres, comme si le sort, avec ses renvois et ses hâbleurs, s’acharnait à lui arracher le consentement qui fit s’agenouiller affûts et pesées sur son passage.
« Eh bien, chaque fibre du corps de Rimbaud, sa vie le prouve assez, portait tatoué: « Mort à l’auteur! »; son corps savait que l’écriture est une fouterie, un rond en jambe, des rinçures comme il disait; et pourtant, il ne fut que cela, auteur, en cela il fut des meilleurs, et je crois pouvoir dire que même dans ses épiceries du fin fond de la brousse éthiopienne, il le savait, il ne savait que cela… »
(Pierre Michon)
Et c’est ô combien vrai, tous les auteurs dignes de ce nom le savent, « grands » ou « petits » (les guillemets indiquent que pour moi, il s’agit là bien plus de mesures de longueurs, surfaces, poids ou volumes que d’appréciations de la valeur littéraire), connus ou inconnus, présents ou oubliés, publiés ou non (dans l’affirmative, même s’ils l’ont été – les apparences étant souvent trompeuses – presque à leur insu ou à leur corps défendant, ou à titre posthume, ou alors suivant le tracé perversement balisé, parsemé, dans bien de cas, de tant d’innommables compromissions que les énumérer ne saurait mener, dans bien de cas, qu’à la nausée, définitive, irrépressible)
Bien entendu, ce savoir ne fait nullement du détenteur, automatiquement et en toute circonstance, un « vrai » auteur, mais cela n’en a empêché aucun, du moins parmi ceux qui savent qu’on ne saurait s’auto-adouber « écrivain », de dire à quel point il n’est pas dupe de combien pèse et vaut que d’en être conscient, et pourquoi, et comment…
« Ce n’est pas de poésie qu’il s’agit avec le nom de Rimbaud, mais de la complicité et du conflit entre ce qu’on est au plus haut de soi-même, et ce qu’on ne saurait être sans se détester. »
(Pierre Michon)
Et s’il n’a, ce « petit voyou » prénommé Arthur, pas une seconde cessé de nous accompagner dès avant nos seize ans, c’est aussi parce que la moindre ligne par lui tracée marque à jamais dans la chair et le blanc de la page le juste déchirement, l’étrange bataille où qui perd gagne, où la vie toujours encore à changer ne se venge que de ses propres déroutes face à celui qui voulut qu’elle fût tout autant vraie que présente et en paya le prix jusqu’à l’heure de la gangrène: pour lui, et par avance, pour nous…
Non mais vraiment, à bien y réfléchir, impossible d’être plus « ailleurs » que ça!
« Mais si je savais ce qu’est Rimbaud pour moi, je saurais ce qu’est la poésie devant moi, et je n’aurais plus à écrire… »
(René Char)
Et cela vaut pour tous…
Vienne l’heure qui de toi aura raison, jouissant de ce que l’on redoute: frayeurs où tout sonne faux, lendemains qu’il faudra à tes dépens gagner, réel extirpé de son exil, ratage des feux, distance qu’assouplit l’argile semée, obéissance au bond – puisque recommencer, c’est contredire…
Qu’importent alors le traquenard, le creux templier qui jamais n’en pervertit l’apprêt ou la surprise, lenteur étarquant tes voiles, pliant tes aises, lumière dévoreuse de désastres, fugues où l’on entre à reculons, jamais pliées à tes mesures: Arthur et l’aveu, œil fixe de basilic, hanté comme par l’offense l’innocent, comme par le toucher les fins et les louanges, le bras qui relève et lave du parjure.
L’adolescent de toujours marche, veille, soupèse. Il est seul. Rien qui vaille ou fasse valoir qui ne se mesure à son aune.
« Oisive jeunesse
À tout asservie,
Par délicatesse
J’ai perdu ma vie.
Ah! que le temps vienne
Où les cœurs s’éprennent.
Je me suis dit : laisse,
Et qu’on ne te voie :
Et sans la promesse
De plus hautes joies.
Que rien ne t’arrête
Auguste retraite. »
Le gars Arthur n’a pas de descendants (Mallarmé, si, tout comme Lautréamont. Même Jarry en eut. Même Roussel. Lui pas – Artaud non plus, vergogneusement annexé à son insu et, sachant par qui, contre son gré à coup sûr!)
Des fées et des mages, érudits, cols élimés, sorbonnards, ronds-de-cuir, têtes d’oeuf de toute sorte se sont penchés sur son départ, à défaut du berceau. On remplirait des bibliothèques avec leurs épais ouvrages, parlant, non pas vraiment de lui, mais de tout et, surtout, de rien: de la jambe amputée et des mots balbutiés avant qu’il n’entre, comme on disait dans l’Ouest lointain, « dans la légende », du silence, du Harrar, de Dieu, que sais-je encore…
Ce que les têtes d’oeuf de tout acabit n’ont pas compris – car pour comprendre il fallait avoir aussi, ne serais-ce qu’un brin, VÉCU, et ce fut le cas de bien peu – c’est pas vraiment sorcier, nul besoin d’être agrégé, ça tient en quelques mots: à une vitesse inconcevable, à une altitude qui défie les timidités du regard, le gars Arthur n’a fait qu’un tour. Mais un tour COMPLET.
Il n’y a que ça à comprendre. Et, à bien y regarder, c’est encore loin de suffire, sinon comment expliquer l’altière, mais vaine obstination, l’aveuglement de tant, l’entêtement à toujours et encore tant DIRE et si peu FAIRE, alors que tout le fut par lui « littéralement et dans tous les sens », parachevant même d’une biffure les lâchetés à venir, à commettre par d’autres qui plus est?
Nul rachat envisageable. Pas même en s’imaginant accomplir ses volontés avant de prendre la route. Pas même en les trahissant. Car s’en aller, il le faut toujours, rien n’a changé…
« Il nous a connus tous et nous a tous aimés. Sachons, cette nuit d’hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, ses souffles, son corps, son jour. »
J’ai fait un rêve étrange il y a quelques nuits: j’aurais assisté par hasard dans un café des Boulevards à la première (et unique3) rencontre entre Rimbaud et Lautréamont, laquelle s’est très mal passée. J’ai beau savoir que cela n’eut jamais lieu ailleurs que dans l’imaginaire, je ne peux m’empêcher de penser que c’était plus que vraisemblable, que rien n’a changé, et qu’il en serait de même cent quarante-quatre ans plus tard…
Je t’aperçois, à portée de fusil du pays des nuisances, à la merci de qui, t’enroulant, se déprenant, sut affermir le gage à ton insu mis à l’abri: du silence d’autrui, de l’arrogance qui le clôt et s’y fie, des vérités de ce Dehors dont tu côtoyas l’indifférence. Je te pressens, soumis au seuls vœux qui vaillent, se rebâtir dans le deuil de soi, en anticiper les revenants, en exécrer la maîtrise, s’en affranchir dans la défaite, pas dans le reniement…
Bientôt je m’en irai, fort de ce passé sur lequel le remords n’a plus de prise, ni le fiel des faussaires, les serments muselés, les dédains du manque, l’aveuglement des rejets, les naufrages à vif ou le rebord scellé – mais ce ne sera que pour t’y rejoindre.
« IL FAUT ÊTRE ABSOLUMENT MODERNE »…
Notons d’emblée que Rimbaud emploie le mot « moderne » et non pas « contemporain »; outre que ce dernier appelle toujours un complément (on ne saurait l’être que de quelqu’un ou de quelque chose…), méfions-nous de ceux qui l’emploieraient dans le sens que critiquait à juste titre Agamben: « Celui qui appartient véritablement à son temps, le vrai contemporain, est celui qui ne coïncide pas parfaitement avec lui ni n’adhère à ses prétentions et se définit, en ce sens, comme inactuel; mais, précisément par cet écart et cet anachronisme, il est plus apte que les autres à le percevoir et à le saisir [*] Ceux qui coïncident trop pleinement avec leur époque, qui conviennent parfaitement avec elle sur tous les points, ne sont pas des contemporains parce que, pour ces raisons même, ils n’arrivent pas à la voir. Ils ne peuvent pas fixer le regard qu’ils portent sur elle. »
La « table rase » – faussement audacieuse autant que rigoureusement impraticable – est, en tout sens concevable, stupide et pernicieuse à la fois; ceux qui s’imagineraient la retrouver dans les écrits de Christian Prigent – à l’endroit duquel j’éprouve, en dépit de nos incontestables différences et divergences, ou peut-être à cause d’elles, beaucoup de respect et d’admiration – l’auront à coup sûr mal lu ou n’y auraient transféré que leurs propres conceptions, opinions, voire fantasmes sur le sujet…
Écoutons encore Agamben: «Le contemporain est celui qui fixe le regard sur son temps pour en percevoir, non les lumières, mais l’obscurité, [*] qui est ponctuel à un rendez-vous qu’il ne peut que manquer (puisque c’est) notre temps qui est le plus lointain et qu’en aucun cas il ne peut nous rejoindre [*] La voie d’accès au présent a nécessairement la forme d’une archéologie [*] (Il convient) de faire de la brisure du temps le lieu [*] d’une rencontre entre les époques et les générations[*] C’est comme si cette invisible lumière qu’est l’obscurité du présent projetait son ombre sur le passé tandis que celui-ci, frappé par ce faisceau d’ombre, acquérait la capacité de répondre aux ténèbres du moment.»
Je crois que nous avons tous connu ou pressenti, un jour, l’une ou l’autre de ces «chambre des voeux» que Tarkovski nous a fait, une fois pour toutes, toucher du regard, et que ce n’est qu’en nous en souvenant que l’on peut s’efforcer de continuer, y puisant chaque matin la force de regarder sans rougir ce que le miroir qui fait voir le dedans nous renvoie…
Je ne suis décidément pas mon contemporain, fier aussi ne pas l’être de certains avec lesquels je suis contraint, hélas, de partager l’époque…
6
« Seul ce qui est dur rend un son: seuls les métaux durs peuvent retentir. »
Karen Blixen a raison, oh combien!
Il suffit de se livrer à un petit exercice (je l’ai plusieurs fois fait): lire en parallèle, ou à peu d’intervalle, quelques pages de « La saison en enfer », des « Illuminations », des « Chants de Maldoror » et des « Poésies », pour comprendre pourquoi, à mon sens et à l’aune des siècles à venir, l’adolescent de Charleville, inéluctablement restera, bien plus que le gamin de Montevideo (supernovae, tous deux, de mes constellations, mais pas de la même façon – et pas proches l’un de l’autre, sauf géographiquement, mais ça ils l’ignoraient: le deuxième, icône et précurseur d’une branche de la fiction poétique qui, hormis de brefs, mais intenses épisodes de l’aventure surréaliste, n’est pas et ne sera jamais mienne..)
La maison des pères, tu n’y es pas entré, tant les miracles se font rares.
À chacun son destin – le tien: défricher le jadis, rendre docile la digue, lever le dernier rideau, abattre promptement les cartes, modeler trames et flots, creuser sans rien promettre, incurver la montée en porte muette, trésor dévergondé, proie hostile, faire resurgir ces éveillés pareils à toi, repriser leurs dons et gains, puis t’en aller seul, en quartier libre, ouvert à toute chose – de tous le frère, semblable à personne.
(En relisant « Une saison en enfer »)
Qu’importe à celui qui eut l’altière impudence de s’éprouver « intact » le désordre buriné des choses, les pitons de derrière lesquels l’ennemi toujours finit par surgir, les hauts bocages où l’on pénètre à reculons, la respiration égarée, l’effroi des défricheurs, le consentement qui rôde en vain, l’irréparable erreur qui ouvre sur l’horizon sa pleine présence, et sa ruine?
Dans ces quelques feuillets mille fois interrogés, tomber du coup sur ceci: « Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite; je quitte l’Europe. »
Oui, tout quitter, délaisser, ensevelir, dérouter, les cachettes, les ruines, 0les trahisons, l’enclos aux fauves, les traversées échevelées, la scène piégeuse des débuts prête à tout accueillir: mains joueuses, miroitement sans gestes, voix du presque-rien, lointain qui toujours fera défaut, qu’on porte en soi sans qu’il le sache.
Ça n’en finit pas, ça crisse, ça craque, ça berce, ça émerge où le visible se tend, ça troue les clairières, séduit trêves et séjours, cerne des devins l’aveuglement, la « fameuse gorgée de poison » brouillant sans mesure le surcroît de réalité, ce qu’on défie, ce qu’on recouvre, ce qu’on efface, griffures, catins de passage…
Bien sûr qu’il est « à réinventer », l’amour, comme tout le reste, l’entaille à demeure, le refus du bâti, la parole confinée, submergée, venant buter sur le désir entêtant, indistinct, ambigu, immense et vide, oeil aveugle rampant aux pieds du grand midi…
Ni mûrir, ni meubler, ni combler « la vieillerie poétique », mais faire sien le carcan que dilate la parole, le veuvage qui la lève, la rend irréversible, la remet aux vérités à deux faces, au temps par les mêmes eaux profané, qui se déploie et sépare, s’empare des veillées, se mêle à leur dénuement, à l’icône abîmant ces « vertiges » qu’en vain l’on « fixe ».
Tout précipiter, alors, mais pas l’appel qui clôt l’attente, ronge et dissout, pas la ferme négation de tous prédicats – « opéra fabuleux », querelle avec l’illimité baignant « toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames », écrit furtivement2 en ces heures d’avant-soir pour nous déposséder, nous perdre en chemin, nous rendre enfin2 rugueusement vivants.
(En relisant « Les Illuminations »)
Lorsque la montée elle-même cesse de nous affûter, lorsque la vitesse elle-même cesse de nous saisir pour nous dévorer, lorsque les dérobades elles-mêmes entortillent le secret des leurs guetteurs, lorsque le bas et le haut font alliance avec les termes prématurés du reniement, lorsque l’inégal des haies brouille et déplace les temps qu’on simule, l’éclipse fardée, le pli où s’inscrit le refus du désastre, il y a toujours, à même soifs et faims, « quelqu’un qui vous chasse. »
Tu nous fis pleinement voir les possibles déliés et non plus mimés – le sceau d’argile asséchant les des choses – les évidences en retard sur ce qui est – le devenir reconnaissable à ses cicatrices – la parole désengourdie, ni heurt, ni éclair, ni usufruit, mais hâblerie où rien n’est dissipé, greffe indélébile sauvant le Réel des prédateurs accourus à ses trousses, « musique savante » guérissant de tous effondrements, de tous forfaits perpétrés, de tous gestes et choix de cet Autre qui à jamais « manque à notre désir. »
Nul gnomon qui serve de mesure à ce temps où, « pressé de trouver le lieu et la formule », tu te mis à tout différer, dilater, moduler, nous faire plonger vers l’envers qu’on sature, l’événement qui s’exhibe, la duplication nomade, la violence de qui fera tourner le monde quand tu en seras sorti, qui, pour finir, ne tordra même pas le cou à ce que tu appelas les « apparences actuelles. »
Dire « Je est un autre », c’est conférer poids et noblesse au Tout-Autre, à ce qu’il nous appartient de devenir avant que réclusions, dispersions et creux ne nous enténèbrent.
Qu’adviennent la chute qui tout ordonne et régit, la « foi au poison », navire amiral sans cesse arraisonné, engendrement où le dû est sur le coup payé, corps épanoui en soubresauts, écriture sans double, débroussaillant la route menant au trépas de l’ordre, trajet véhément ne s’accommodant d’aucune faille, cartographie des ruptures où rien n’est atténué, épargné ou adouci, ni la « stupeur », ni les « atroces veillées » où les délais s’effacent, où,2 « réellement d’outre-tombe », nous faisons corps avec tes lacunes, tes éveils, tes écarts, dispersons le don d’avoir été0 comme toi hors de portée les brusques crues de la fausse parole.
S’il suffisait de briser la règle,
tout museler, récuser
la rouille et la rumeur,
l’instant qui les confond, que l’araignée déjoue,
l’éveil qu’épaissit la lenteur du pire,
les intervalles et les naufrages,
le noeud que nos poings dessèchent,
des festins ce qui surnage et qu’on ignore,
l’obscur que rouvrent nos plaies,
l’odeur du café et des regrets,
le monde serait enfin sans choix ni réponses
et on n’aurait plus à l’écrire.
À Pierre Michon, à ce qu’il fut, à ce qu’il est, où qu’il soit
Frêle noyau, livrant ses choix aux vents, aux carrefours, aux brins d’herbe, pierres gisantes où ne demeure que ce qui devient deux, s’innocente, s’incurve, s’abaisse à ses propres poussières…
Ici le lieu n’est plus enclos ni territoire, don d’emblée saisi, lest de chance, dépouille des lois: car comment condamner, ou pardonner, lorsque l’on est comme l’eau qui va partout où aller se peut, fin sevrant ses moyens plutôt que les plier à ses offices ?
Climat de la lisière, accueillant sans peser, conviant au passage, pas au séjour…En lui, l’ombre même s’allège, dénude et sépare, en appelle aux orées du jeu qui mène, haies valant énigmes, à découvert dans le champ qui s’éloigne sans bouger, mûrit le serpent dans la soudaineté embuée où, comme à jamais, fond le regard, et ses doubles…
L’adolescent de toujours marche, veille, soupèse. Il est seul. Ce qui vaut, et vaudra, ne se mesure qu’à son aune.
« Tu as bien fait de partir, Arthur Rimbaud!
Nous sommes quelques-uns à croire sans preuve le bonheur possible avec toi. »
(René Char)
« Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.
Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine,
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit. »
Rimbaud
[…] de Notes sur la littérature et ses alentours, sur, avec et par ceux qui la font, 4 […]