« Cree en ti, pero no tanto; duda de ti, pero no tanto. Cuando sientas duda, cree; cuando creas, duda. En esto estriba la única verdadera sabiduría que puede acompañar a un escritor. »
(Augusto Monterosso)
Je n’arrive pas, quoi que je fasse, à oublier que Beatriz Viterbo, personnage de « L’Aleph » n’a JAMAIS ouvert les livres que Borges, auteur et en même temps « personnage » du même récit, lui avait offerts et, bien moins encore, qu’elle lui ait préféré Danieri.
S’affrontant (ailleurs, mais dans des circonstances équivalentes et pour leur propre compte) à cette plongée dans l’inconcevable, il est certain que d’autres (dont celui qui trace ces lignes) furent tentés de se montrer aussi altièrement naïfs qu’il le fut, ce que je trouve effrayant et rassurant, tout à la fois…
(2011)
Bioy Casares
Nous nous permettons de signaler à tout hasard aux cellules de lutte anti-terroriste que le « Journal de la guerre aux cochons » n’a pas pour auteur un membre de Al-Qaïda et ne met en aucune façon en danger la sécurité nationale!4
(2009)
Manuscrit de Hölderlin
« Un poète peut tout supporter. Ce qui équivaut à dire qu’un homme peut tout supporter. Mais ce n’est pas vrai: un homme ne peut supporter que peu de choses. Supporter vraiment. En revanche, un poète peut tout supporter. Nous avons grandi avec cette conviction. Le premier énoncé est juste, mais il mène à la folie, à la ruine, à la mort. »
(Roberto Bolaño: Appels téléphoniques)
Qu’il s’applique à tous, partout et toujours, nous n’en savons rien, à vrai dire: mais qu’importe, puisque nous avons depuis belle lurette compris (oh ça oui!) vers quoi et vers où – presque inexorablement s’agissant de « vrais » poètes, soit (à notre sens, mais cela peut se discuter) ceux pour qui le langage est outil, et non pas matériau – cela entraîne…
(2010)
« Ce que j’admire le plus chez un écrivain? [*] Qu’il n’ait pas de passé pendant la journée et qu’il soit millénaire pendant la nuit. »
(José Lezama Lima)
Avec sa dévastatrice ironie, Borges nous glissait négligemment quelque part que tout homme cultivé est un théologien, et que pour l’être, point n’est besoin d’avoir la foi.
Wittgenstein évoquait à son tour (en ironisant aussi? en l’élogiant? en la fustigeant? en constatant simplement?) « la grammaire comme théologie« .
Si l’on pouvait croire à la transitivité universelle – et non pas confinée aux sévères mathématiques – cela voudrait dire, ou bien que tout homme cultivé est un grammairien (oh, le cauchemar!) ou alors que tout grammairien est un homme cultivé (ce qui est à l’évidence monstrueusement faux, « j’ai les noms« , comme disait le regretté Coluche…)
Il n’en est heureusement rien, on peut dire qu’on l’a échappé belle…
(2012)
J’ai oublié tant de bons conseils que l’on me prodigua que j’en ai perdu jusqu’au nombre, mais jamais cette phrase, et ce qu’elle représenta pour mon existence:
« Dahlmann ferma le livre et se laissa tout bonnement vivre »
(Borges: Le Sud)
(2007)
« Le futur de mes livres ou des livres d’autrui est le cadet de mes soucis…Un véritable écrivain est quelqu’un qui tend l’arc à fond tandis qu’il écrit et qui le suspend ensuite à un clou pour aller boire un verre avec ses amis. La flèche est bien en route dans l’air, et se plantera ou non dans la cible; seuls les imbéciles pourront prétendre modifier sa trajectoire ou courir après elle… »
(Julio Cortázar)
J’ai marqué d’une pierre blanche le jour – et ce ne fut il y a si longtemps que cela – où je l’ai compris, et bien compris!
(2011)
« – Monica Maristain: Peut-on sauver le monde?
– Roberto Bolaño: Le monde est vivant et rien de vivant ne peut être sauvé, et c’est là notre destin. »
À la même question, Borges aurait éventuellement répondu: « Le monde n’étant réel que si l’on y croit, l’idée de le sauver est par là même superflue. », Cortazar peut-être: « L’on ne saurait sauver ce qui vit sans le rendre autre, ce qui est sans doute impossible – c’est pourquoi il nous faudra, sans désemparer, nous y atteler. »
L’une des réponses m’enchante, une autre m’espante, la troisième aurait été la mienne – saura-t-on laquelle?
(2011)
Dernière consolation, aussi effrayante que vraie: »Ce qu’on peut imaginer existe toujours, à une autre échelle, dans un autre temps, à la fois précis et lointain, comme dans un rêve… »
(Ricardo Piglia)
(2012)
De retour de la très belle exposition « Rayuela: el Paris de Cortazar », difficile de ne pas penser à ceux que j’appelle, avec respect et affection, mes « dieux tutélaires » du domaine hispanique.
Borges, qui toujours m’accompagne, mais que je ne sais évoquer (en dépit des apparences, trompeuses en l’occurrence) qu’en le citant, ou alors de latérale et oblique manière, réfractée par la peur de trahir ce qui, en lui et de lui, m’appartient, et à moi seul presque (probable ressenti de tous ceux qui ont eu le privilège de l’approcher physiquement)
Bolaño, le plus désespéré des trois, frère cadet qui me provoque, m’enchante et me tire vers le fond, lui pour qui « la fièvre et la nausée n’ont pas d’explication » (évinçant, par là-même, toute idée dogmatique ou simpliste de rachat, de possible réinvention des mythes, de réécriture de ces récits que l’on disait « grands »), qui toujours nous fait nous déplacer comme « en reculant, en fixant un point, mais en nous en éloignant, en ligne droite vers l’inconnu » – sans rédemption à espérer, même et surtout de ce dernier, parce qu’il « n’y aura jamais de révélation pour nous punir ou nous sauver du mystère du mal« …
Et puis Cortázar (oh Cortázar, des trois le plus proche de ce que je crois être, littérairement, humainement): fidèle et dispersé – engagé, mais savourant ce qu’il pouvait rester de douceur de vivre d’avant la Révolution (à venir, oh ça oui!) – pessimiste, mais croyant à l’avènement (ici ou là où résonne sa langue, mais sans doute ailleurs également) de ce « temps plus clair« , sans doute fragile et imparfait, mais qu’on ne devrait ni ne saurait trahir – lucide et allègre comme bien de « sans espoir » – serein comme seuls savent l’être les affranchis de l’attente – intense et précis comme un accord de Bird ou de Miles.
Comme je sais, d’un savoir précis et ancien que si souvent il m’arriva d’évoquer, que toujours me feront cortège les ménades, les fins d’étape, les bouteilles à la mer, les bestiaires, les lointaines, les portes du ciel, les hommes à l’affût, les heures indues, Anabel et Circé, les armes secrètes, les récits sur fonds d’eau, les écoles la nuit, les graffitis, les feux (tous), les histoires avec des mygales, les deuxièmes fois, les coupures de presse, les îles à midi, les apocalypses comme à Solentiname, les autres cieux, les faces de la médaille, les fils de la vierge, les axolotl, les lieux comme celui nommé Kindberg (« là mais où comment »), « le feu lent et bas dans la cheminée », la fin des jeux et le désintérêt à vivre…
(juillet 2013)
« Que meure avec moi le mystère qui est écrit sur la peau des tigres. Qui a entrevu l’univers, qui a entrevu les ardents desseins de l’univers ne peut plus penser à un homme, à ses banales félicités ou à ses bonheurs médiocres, même si c’est lui cet homme. Cet homme a été lui, mais maintenant, que lui importe? Que lui importe le sort de cet autre, que lui importe la patrie de cet autre, si lui, maintenant, n’est personne? Pour cette raison, je ne prononce pas la formule; pour cette raison, je laisse les jours m’oublier, étendu dans l’obscurité. »
(Jorge Luis Borges: L’écriture de Dieu)
« Quand je suis revenu en France après ces deux voyages, il y a deux choses que j’ai mieux comprises. D’un côté mon engagement personnel et intellectuel dans la lutte pour le socialisme [*] De l’autre que mon travail d’écrivain suivrait l’orientation que lui imprime ma manière d’être, et même s’il lui arrivait à un moment donné de refléter cet engagement, je le ferais pour les mêmes raisons de liberté esthétique qui me conduisent actuellement à écrire un roman qui se passe pratiquement hors du temps et de l’espace historique. Au risque de décevoir les catéchistes et les partisans de l’art au service des masses, je continue à être ce cronope qui écrit pour son plaisir ou sa souffrance personnelle, sans la moindre concession, sans obligations latino-américaines ou socialistes comprises comme a priori programmatiques »
(Julio Cortazar)
Rappel salubre s’il en est à l’heure où, sous des oripeaux et travestissements divers, certains ont l’air de vouloir ressusciter, pour leur autiste plaisir et notre plus grand malheur, ce faux « réalisme » dit (à tort, d’insultante manière même pour ce noble mot) « socialiste » – de triste et maudite mémoire.
(2010)
Il va sans dire que le mot « socialiste » utilisé tant par Cortazar que par nous-mêmes n’a rien à voir avec le parti français qui en usurpe et trahit le nom!
(août 2014)
« Et alors à une vitesse vertigineuse défilent les visages que j’ai admirés, les visages que j’ai aimés, haïs, enviés, méprisés. Les visages que j’ai protégés, ceux que j’ai attaqués, les visages de ceux dont je me suis défendu, les visages que j’ai cherchés vainement. »
(Roberto Bolaño: Amuleto)
Et cela n’a jamais cessé depuis, tout comme cette chose qui n’a pas plus de « sens » que de limite et qu’on appelle « littérature »…
(2011)
Galerie Vivienne, Paris
Tu te sentis soudain envahi par l’abandon, l’indéfinissable sentiment que cela aurait dû se passer autrement; abrité sous une porte cochère, tu laissas passer le temps et les gens, pour la première fois contraint de consentir lentement à ce que jadis fut tien; ce n’était qu’un sursis que tu étais en train de vivre, une ultime grâce, la guirlande était finie de tresser, tu ne nous retrouveras plus au coin de ces rues enfin avalées par le crépuscule…
(par – et avec – Cortazar)
Fan radical, inconditionnel, absolu des récits de Cortázar, rarement égalés avant, par fort peu pendant, et jamais depuis, pas même par Bolaño (Borges étant, lui, dans un tout autre registre), je rageais de ne savoir ou pouvoir détecter et mettre en mots le « secret » du maître argentin, et ce fut son compatriote Manguel qui m’y aida, en pointant du doigt « le délicat équilibre entre l’indicible et ce qui doit être dit » que ses brefs joyaux parviennent à maintenir d’incomparable manière…
(2012)
« Ceux qu’il voit, ce sont les écrivains de Paris. Pas aussi souvent qu’il l’aurait dans le fond désiré, mais il les voit, et de temps en temps parle avec eux, et eux savent (généralement de manière vague) qui il est, il y en a même qui ont lu deux ou trois de ses poèmes en prose. Sa présence, sa fragilité, son épouvantable souveraineté servent à certains d’entre eux de stimulant et de rappel. »
(Roberto Bolaño: « Henri Simon Leprince », dans le recueil « Appels téléphoniques »)
Bolaño était-il voyant? T’avait-il connu dans une autre vie? Car, en l’occurrence, toute ressemblance avec des personnes existant (pour eux qui le savent, ou subodorent – et, ô combien, pour toi!) est, bien entendu, TOUT sauf pure coïncidence…
(2009)
Tout au long de cette dialectique magique, un homme lutte pour réussir le jeu de sa vie: OUI, NON, TU CHAUFFES, TU BRÛLES. Car, à tout prendre, un jeu n’est-ce point ce qui part d’un déplacement pour parvenir à un emplacement? But, échec et mat, dix de der…N’est-ce pas l’aboutissement du rite s’acheminant vers le bouquet final qui le ratifie et l’altère?
(par, et avec, Cortazar)
« Notre destin [*] n’est pas épouvantable parce qu’il est irréel, mais parce qu’il est irrécusable et de fer. Le temps est la substance dont je suis fait. Le temps est un fleuve qui m’entraîne, mais je suis le fleuve; c’est un tigre qui me dévore, mais je suis le tigre; c’est un feu qui me consume, mais je suis le feu. Le monde, malheureusement, est réel; moi, malheureusement, je suis Borges. »
(Jorge Luis Borges)
De réel il n’y a que le Réel, pas le monde; nous, malheureusement, nous sommes ce que nous sommes…