« Je ne suis pas non plus un adepte à tout crin de la légèreté qui est devenu un mot fétiche dénué de sens. Du Nietzsche pour les ânes… »
(Pierre Michon)
Si (toutes) les routes ne mènent nulle part, comment ne pas faire fausse route?
(détenteurs de « la vérité », révélée ou non, cyniques encartés, revenus de tout mais pas du Rien, zélateurs du Dieu Un, donneurs de leçons et fanatiques à la petite semaine et de tout bord, passez votre chemin et abstenez-vous de répondre, on ne sait que trop ce que vous allez dire, et je n’ai VRAIMENT pas envie de vous entendre!)
« BLÂMER, v: Repérer chez autrui un vice auquel on est inapte. »
(Stéphane Legrand: Dictionnaire du pire)
Il fallait bien que quelqu’un ose le dire un jour, et personne ne l’aurait mieux fait…
« Il n’y a que les esprits légers pour ne pas juger sur les apparences. Le vrai mystère du monde est le visible, et non l’invisible. »
(Oscar Wilde: Le Portrait de Dorian Gray)
Allez expliquer ça aux zélateurs, thuriféraires et licteurs des trois grandes religions monothéistes, et vous m’en direz des nouvelles…
Il m’arrive de penser que « le véritable voyage se fait au retour« , selon la belle formule de Michèle Lesbre, mais je me demande si cela est vrai de tout voyage, si aucun ne nous laisse indemne, ou si cela ne vaut que pour ceux nous menant vers des lieux où (concrètement, secrètement ou symboliquement) nous étions, parfois sans même le savoir, déjà allés…
Il m’arrive parfois de me rappeler la toute première fois où j’ai vu le « Stalker » de Tarkovski, de repenser à la phrase du passeur, à la fois épaississant et dénouant l’énigme: « tout a un sens, un sens et une cause« … Je me souviens aussi d’avoir eu envie d’ajouter: « et une conséquence », liée, elle, au temps, toujours, à ce qu’il fait de nous et, surtout, à ce que nous en faisons…Je crois que nous avons tous connu ou pressenti une chambre des voeux pareille à celle du film, mais nous aide-t-elle toujours à pouvoir continuer, et regarder chaque matin sans trop rougir ce que le miroir qui fait voir le dedans nous renvoie?
Il m’arrive de me souvenir du court récit consacré par Tabucchi à l’un de ces amours où l’un des protagonistes est trop tôt et violemment arraché à l’autre (celui de Don Pedro, roi du Portugal et d’Inês de Castro), aux mots par lesquels il s’achève et qui condensent une vie qui fut et n’en fut pas une: « Il est probable que ces années eurent une dimension différente de celle éprouvée par les autres hommes. Elles furent toutes semblables ou se déroulèrent en même temps, d’un seul coup, comme si elles avaient déjà passé.« …
Il m’arrive de rêver que le temps peut lui-même être rebâti à partir de quelques gestes absolus, seuls aptes à faire sens, d’un seul trait dépouillement et réappropriation brisant l’enchaînement jamais fatal de causes et des effets, et ce, hors toute nostalgie, cette « putain du souvenir » comme l’appelait cet immense (dans tous les sens du terme!) écrivain cubain que l’on surnomma « le Proust des Caraïbes », alors qu’il fut autre chose et, surtout, bien plus que cela…
Il m’arrive de penser à la mort, aux lieux que je ne verrai pas, aux corps que je ne caresserai plus, aux sons jamais entendus, aux verres pas bus, aux livres pas lus, à l’inachevé, à l’inabouti, aux gestes à peine frayés, aux paroles non dites…
Il m’arrive de me persuader que cela n’a, désormais, plus du tout d’importance…
(2013/2014)
« Não importa ao tempo o minuto que passa, mas o minuto que vem. »
(Machado de Assis)
« Ce n’est pas de la minute écoulée que le temps se soucie, c’est celle qui vient qui lui importe. » (traduction: André Rougier)
« Ne confie jamais de secret à personne.[*] Les amis n’existent pas. Il n’y a que des gens qui feignent l’amitié. »
(Mazarin)
Je me suis, ma vie durant, efforcé de parier sur l’exact contraire de ce qu’expriment les cyniquement désabusés propos de Son Éminence. Mais dans « parier », il y a « pari ». C’est tout dire…
« Chacun a ses mystères; ses pensées secrètes, disait Hölderlin. Les mystères d’un individu singulier sont des mythes et des rites exactement comme l’étaient ceux des peuples. »
(Kerényi)
Je ne serais depuis bien longtemps plus de ce monde si, des tous les êtres (comme de « l’âme » des choses qui les accompagnèrent et les prolongent), il n’en était pas EXACTEMENT ainsi..
« La répétition et le souvenir sont un même mouvement, mais dans des directions opposées. Car ce qui est rappelé à la mémoire est du passé, est répétition dirigée vers le passé, tandis que la répétition proprement dite est un phénomène de mémoire dirigé vers l’avenir. »
(Sören Kierkegaard)
Pour ce qui est des êtres et des choses, c’est à coup sûr vrai, par contre, s’agissant de politique, je n’en suis plus du tout certain, surtout en lisant la prose de certains camarades, où l’on s’aperçoit, affligé, que la répétition peut également, hélas, être tournée vers le passé…
« Les gens se divisent en deux catégories : les uns cherchent et ne trouvent pas, les autres trouvent et ne sont pas contents. »
( Mihai Eminescu)
Il y a aussi, bien entendu, ceux qui trouvent et nagent dans le bonheur, mais ce sont de loin les moins intéressants…
« À la notion complexe d’unité qui était à penser, succède la notion de totalité à réaliser. »
(Kenneth White)
Louable effort de cet homme d’Extrême-Occident se déportant vers une manière de penser radicalement autre (sans jamais tout à fait la rejoindre, car comment ne pas voir que pour l’archer zen, tout et un sont une seule et même chose?
« Louer, c’est louer la façon dont on s’abandonne au vide »
(Rûmî)
C’est sûrement pourquoi je me tiens le plus souvent loin, bien loin des gardiens des louanges…
« A gentleman is one who never hurts anyone’s feelings unintentionally. »
(Oscar Wilde)
Absolutely accurate definition, for sure, especially considering the sad fact that I DID meet some gentlemen, ultimately…
Les adieux, on en est déjà à l’antichambre – tout ébaubi de constater (une fois de plus, et à mon âge, c’est carrément consternant!) à quel point les gens (pas tous, mais beaucoup) sont et restent désespérément humains, et, en l’occurrence, c’est loin d’être un éloge…Ahurissement du naïf que je suis devant ce que l’on est, car, à coup sûr, je ne suis moi-même pas exempt, ici ou là, des travers qui sont à l’origine de cette lucide et cioranesque constatation…Car comment «sortir de soi, échanger, s’ouvrir à l’autre» (légitimes souhaits exprimés par bien d’entre nous…) sans, précisément, lire ce que ces autres écrivent, regarder ce que ces autres exposent, écouter ce que ces autres donnent à entendre, s’intéresser à ce qu’ils aiment ou détestent, à leurs avis ou rejets, à leurs colères comme à leurs émerveillements? Comment sortir de l’autiste carapace dont, à telle heure ou à telle autre, on est TOUS affublés sans offrir, au travers de ce que l’on dit ou fait, un peu de notre intime fabrique sans, ce faisant, se faire taxer d’exhibitionnisme ou de narcissisme?
Vers la fin d’un des plus beaux récits qu’il m’a été donné de lire dans cette putain de vie, «Le Congrès» de Borges, le narrateur affirme que «les mots sont des symboles qui postulent une mémoire partagée». Peut-être… Peut-être pas…Je rêve qu’un jour l’on s’aperçoive (comme ses membres l’ont tout à la fin ressenti pour ce qui est dudit Congrès) que ce tissu d’échanges, avec ses mille renvois et défauts, est «l’univers tout entier et nous-mêmes». Je ne serai plus là, il ne restera rien de mon passage, ni trace dans les mémoires, ni sillon, rien: c’est ce qui se doit d’être, et c’est ce que je veux. Mais quelle importance? D’autres viendront, jusqu’à ce que le temps se lasse – et là nous aurons gagné, sans rémission, à jamais… Je ne sais pas combien de temps durera mon Purgatoire, mais je n’en ai cure, car c’est à «cet élégant espoir», pour reprendre les mots de l’Aveugle, que je me remets…
(2010/2011)
« L’antinomie la plus radicale et la plus profonde commence à se découvrir. Sans doute s’agit-il du conflit qui s’annonce entre le modèle et la voie. »
(Henri Lefebvre)
Qui a croisé si peu que ce soit mon chemin sait que c’est du côté de la seconde que je me tiens, et fermement!
« Qu’est-ce qu’un abstinent après tout? Un faible qui cède à la tentation de se refuser un plaisir. »
(Ambrose Bierce)
Pas un brin concerné, mais alors, pas un brin…
Je me souviens que, tout en écoutant la voix aux douces et chantantes tonalités italiennes d’Agamben raconter (avec des mots simples, presque négligemment, comme il se doit) l’indicible, j’ai, sans savoir ni pourquoi ni comment, revu Bebel dans « Pierrot le fou », accueillant, visage barbouillé de bleu, dans un cri qui semblait ne jamais devoir finir, à la fois la liberté, celle qui vaut, celle que rien n’entrave, et son impossibilité ailleurs que dans la mort…
N’en déplaise à Borges, la copulation et les miroirs me paraissent bien moins « abominables » que l’écho qui amplifie, prolonge, déforme…Mais le doute subsiste: et si c’était lui qui était dans le vrai?
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