« J’ai peur d’être dans une maison de sages et que les fous soient au dehors. »
(Gérard de Nerval, Lettre à Mme Emile de Girardin, 27 avril 1841)
Nous n’en voulons pour preuve du caractère dérangeant, réellement subversif de l’oeuvre de Bellmer que la coalition – contre-nature, certes, mais que l’on voit de plus en plus présente contre ceci, celui-ci ou celle-là – entre certaines féministes (certaines seulement, insistons lourdement là-dessus!) et les tenants les plus rétrogrades de ce qu’il convient de continuer d’appeler, avec autant de force et de dégoût que naguère, « l’ordre moral »…
Hans Bellmer, l’aventure surréaliste
« Rien qui ne parvienne vraiment à se dresser. Rien qui ne tienne tant soit peu en l’air. Plus aucune capacité de torsion. Se tordre ce serait encore encourir le risque de la blessure.[*] Le crépuscule, lentement, descend sur l’espèce, laquelle, pourtant, serait presque portée à croire que partout la parole se libère. Mais la parole, ça fait longtemps qu’elle s’est brisée sur l’écueil de la communication. Plus les gens communiquent, moins ils se disent les choses. Les choses, le désir et le manque, ça ne se détaille plus à l’infini. Non. Ça se délimite. Les choses, le désir et le manque, on les classe au cas par cas. Le crépuscule descend, lentement, sur l’espèce. Il n’a pas fini de descendre. »
Merci, Benoit Jeantet, de l’avoir dit à ma place, et bien mieux que je n’aurais su le faire…Je ne veux désormais avoir affaire qu’à des humains, humainement. Que les « communicants » sachent qu’ils n’y ont pas leur place…
(fin 2011)
Une phrase toute « lacanienne » sous la plume où on l’attendrait le moins:
« Les enfants savent ce que la plupart des adultes ont oublié: que la réalité, c’est tout ce qui nous paraît réel… »
(Alberto Manguel)
Alors que le Réel, lui, EST (surtout et avant tout) ce qu’il ne « paraît » pas…
« La réalité est comme cette image de nous-mêmes qui surgit dans tous les miroirs, simulacre qui existe grâce à nous, qui suit nos mouvements, gesticule et s’en va, mais à la recherche duquel il suffit d’aller pour aussitôt le retrouver. »
(Borges)
Le voici, le vrai discours sur « le peu de réalité »…
« Si je n’avais pas existé, quelqu’un d’autre aurait écrit mes livres. »
Oui, un géant comme toi peut le dire, William Faulkner, moi non, nain parmi les nains, mendiant de la chose écrite ne serait-ce que quelques bribes, copeaux, résidus soustraits à la contingence, ou alors le droit de me baigner autant de fois que j’en aurais envie dans ce même fleuve (« retour », pour certains, « roue », pour d’autres, qu’importe!), que, pauvre de moi, parce que je n’ai, pour maintenir la tête à flot, que ce maudit, éperdu besoin de mots, j’appelle « permanence ».
Oui, permanence…
De ce que j’ai été, et fait, je ne suis fier au sens plein que d’une chose: d’avoir tôt compris (avec Cristina Campo) que « vraiment c’est la beauté qui compte, sur elle que tout tourne et se joue. »
« Ne reconnaissez-vous pas le schéma du labyrinthe? Celui-ci n’était pas tel, il l’est devenu. Le mien, et le sien à elle. Celui de la mémoire, que je maudis. Je suis résolu à me jouer d’elle. Je la désarme, je lui arrache images, formes et mots. Il ne lui restera rien. Il lui restera moi, certes, mais elle n’en voudra pas. »
(Peter Härtling: Niembsch ou l’immobilité)
C’est ce que je fais également, j’avais commencé bien avant l’entrée dans l’antichambre des solitudes – jour après jour, page après page. Et plus rien ne m’arrêtera désormais, jusqu’à la fin…
« – Est-il possible que pendant tout ce temps que j’ai usé à attendre personne d’autre que moi n’ait voulu entrer?
– Non, parce que cette porte t’était destinée. Je vais maintenant la fermer. »
(d’après Borges rappelant la parabole de Kafka)
« On écrit parce qu’on a des comptes à régler (sans pour autant être rancunier). »
( Olivier Rolin: Bric et broc)
Peut-être, mais je n’en suis pas sûr, et puis, comment savoir? Mais dans la décision de s’assumer comme histrion, c’est à dire de se faire éditer (du moins dans les formes convenues du terme), il y a sans doute de cela…
« In dürftiger Zeit », « au temps de la détresse » qu’évoquait Hölderlin (« de l’ABSOLUE détresse » serait, selon Blanchot, peut-être plus exact), à l’heure du devoir « remis », qui n’est déjà plus et pourtant pas encore, qu’on ne peut effacer et auquel l’on ne saurait survivre…
« Tous les écrivains et artistes, si longue que soit leur vie, ne disent qu’une seule et même chose. »
(Dino Buzzati)
Et comment pourrait-il en être autrement, puisqu’elle renferme ce qui les situe, en même temps dans ce qu’ils SONT et dans ce qui les FAIT être…
Je crois, oui, au déplacement, à la modification, au changement (pour peu qu’ils maintiennent inaltérée dans le mouvant la distance à l’invisible centre), mais uniquement en ce qu’ils nous aident, selon la superbe formule deleuzienne, À DEVENIR CE QUE L’ON EST, « l’infracassable noyau » qui vaut ce qu’il vaut (peut-être pas grand chose), mais que ne vaut nul autre…
There is something about sea that is timeless. You think about a lot, some thoughts not so pleasant. You think about mutability and mortality, your own. Being on sea steadies, soothes. You feel connected with something larger, have to put your hours in, have to be quiet. You have to look, be very keen, just respond and react, look inward and be sure NOT to find who and what you previously believed you were.
(2009)
« La tendance principale dans les modes de représentation de notre temps est d’être à même de rencontrer quelque chose et savoir y correspondre, car c’est la vacance du partage notre faible. »
(Hölderlin: Remarques)
C’est peut-être cela, la vraie, la seule folie: approcher l’impossible sans le travestir, maculer, effriter ou tromper, et, surtout, sans rechigner à en payer le prix , car si c’est en écrivant qu’on en vient à le frôler, l’on sait, d’un inébranlablement « gai savoir », que l’on y gagne (presque) toujours au change…
«Et s’il a gagné de son plein gré le dur repos, il nous a dotés, nous, de l’inespéré, qui ne doit rien à l’espoir.»
(Char en parlant de Nicolas de Staël)
Je la prendrais bien comme épitaphe, moi, tiens…
« Toute oeuvre d’art digne de ce nom parle de la genèse de sa propre création. »
(Roman Jakobson)
Entre autres – mais toujours, il est vrai…Mais gare à celles qui ne parlent QUE de cela!
« Tout artiste a une patrie strictement illimitée: lui-même. Un artiste qui trahit cette patrie se suicide; et même un bon avocat est incapable de tuer un mort. Mais un être humain qui se reste fidèle – quel qu’il soit – est immortel. »
(E.E.Cummings)
J’ose à peine imaginer le haro que l’on aurait crié sur l’auteur de ses lignes, n’eût-il pas été celui qui les traça pour de vrai…
« De toute manière, le temps passera. Lentement, très lentement: mais tout passe. Les hommes, les souffrances, les désastres. Toi aussi, tu seras près d’avoir passé, et tu en éprouveras un léger et secret réconfort […]
Bien d’autres années t’attendront ensuite, mais elles seront toutes semblables [*], tu pourras te regarder dans le miroir [*], il n’y aura aucun changement. »
(Antonio Tabucchi: Lettre de mademoiselle Lenormand, cartomancienne, à Dolores Ibarruri, révolutionnaire, dans « Les oiseaux de Fra Angelico »)
Rien à ajouter, rien, vraiment…
« Nous suivons tous un chemin excentrique, et il n’y a pas d’autre voie pour aller de l’enfance à la complétude. »
(Hölderlin)
Mais (et c’est tout autant vrai): « Qu’il soit loué d’avoir marché sans l’atteindre… », comme l’avait dit (à propos de Bacot qui par deux fois tenta de rejoindre le Poyul au Tibet, en vain ) un autre vrai poète, et vrai nomade, mort dans une forêt au nom celte, un exemplaire de « Hamlet » à la main…
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