« L’auteur n’est pas mort, mais se poser comme auteur, c’est occuper la place du mort. »
(Giorgio Agamben)
Tout livre digne de ce nom est toujours encore à venir; l’on se doit de vivre le superbe titre de Blanchot comme pléonasme, et comme c’est difficile!
Il y a quelque deux ans de cela, quelqu’un m’a demandé si je connaissais des noms d’écrivains nés la même année que moi (au moins trois…).
Je répondis que c’était facile, qu’il s’agissait de surcroît de gens que, dans des optiques, pour des raisons et de manières différentes, j’aimais beaucoup, et citai (par ordre alphabétique): Tony Duvert, Pierre Michon, Patrick Modiano et Christian Prigent (c’est, on peut le vérifier, rigoureusement exact!)
J’ajoutai que lorsque je serai grand, je voudrais être un peu comme eux. De qui avait posé la question, je n’entendis plus jamais parler…
Conclusion logique: on ne fout la paix qu’aux fous (z’avez remarqué l’homophonie, hein, tous les espoirs me restent permis…)
(automne 2009)
Ah, le « surécrit« …Si je comprenais ce que ce terme à la mode veut dire (ce qui n’est pas tout à fait le cas), je dirais qu’à ce compte-là il s’applique tout à fait à une bonne partie de l’oeuvre de Flaubert! (et de bien d’autres, pour ne pas parler QUE de noms de solide consistance – et il y en a quelques-uns, jusqu’à nos jours, Gracq, Laporte, des Forêts, Combet, Michon, et j’en passe, et pas de meilleurs…) J’ai souvent regretté qu’il n’ait pas vraiment écrit son « livre sur rien« , celui qui tiendrait debout par la seule force du style, car pour moi l’écrivain digne de ce nom vaut essentiellement par la qualité de son écriture, pas moins que le bon boulanger par la qualité de son pain, le bon potier par celle de ses vases et le bon menuisier par celle de son travail du bois (Dame, ai-je dit une bêtise???)
Prétendre que je ne m’intéresse pas du tout, ou très peu, au « sujet« , au « contenu » (oh le vilain mot dans ce contexte!) serait effrontément mentir; s’il y a de bons sentiments, des pensées profondes (et, de préférence, originales), d’intenses quêtes spirituelles, un véritable engagement dans la vie de la cité, j’y suis attentif, sensible souvent, admiratif parfois, j’en qualifierais même les auteurs, dans l’ordre des cas susnommés, de bisounours émérites, d’authentiques philosophes, de mystiques « habités », de fins politiques, en aucun cas – S’IL N’Y AVAIT QUE CELA – de « vrais » écrivains, ah ça non, jamais!
(2012)
Il y a un an et demi à peu près, un dialogue (virtuel) fécond, amical et parfois contradictoire avec Marc Zaffran (Martin Winckler) – dont sans doute beaucoup d’entre vous connaissent et apprécient les travaux – à propos d’un article de son cru au titre « provocateur » (Qui a le droit d’écrire?) m’a permis, au fur et à mesure de son déroulement, de faire un peu le point sur une espèce de mien « état des lieux » concernant certains mauvais procès faits à la littérature numérique (livres publiés par des éditions numériques, sites et blogs littéraires), mais portant aussi sur de plus légitimes interrogations (certaines dépassant d’ailleurs le cadre d’un débat sur la littérature en ligne, puisque valant pour « ce qui se publie » en général). J’en transcris aujourd’hui les passages essentiels (entre guillemets les extraits du texte de M.W, en italiques ce qui appartient au débat proprement dit), à la fois parce que ça reste d’une brûlante actualité, d’autre part parce que sur des points des plus importants mes propres conceptions ont pu évoluer, alors que sur d’autres elles se sont trouvées plutôt raffermies depuis (je préciserai lesquels et comment) :
M.W:
« L’écrivain sacralisé, autorisé (aux deux sens du terme) est un pur produit de la pensée la plus bourgeoise. C’est cette sacralisation, entretenue par une partie de la critique (mais aussi par bon nombre d’enseignants, de journalistes et d’intellectuels auto-proclamés, hélas!) qui entretiennent chez le plus grand nombre l’idée que l’écrivain est un être rare.
Or, c’est non seulement faux, mais c’est aussi profondément méprisant pour ceux qui écrivent et ne publient pas ou qui publient mais restent dans l’ombre, ou qui, tout publiés qu’ils soient, ont un autre métier (ce qui est le cas de l’immense majorité) et ne se sentent pas sacrés du tout. »
A.R:
Comment ne pas être d’accord avec ces lignes? Je le suis, pour ma part, à 1000%!
M.W:
« Depuis quelques années, la possibilité de mettre des textes en ligne, sur un blog ou un site, a changé la donne. Un nombre très important de personnes écrivent et donnent à lire ce qu’elles écrivent.
Mais il faut avoir lu et entendu ce que beaucoup (trop) de critiques et d’écrivains estampillés disent de l’écriture en ligne et des blogs. Le mépris et la méfiance à leur égard sont malheureusement très répandus en France, beaucoup plus qu’ailleurs. »
A.R:
Ah, c’est là que le malaise s’installe, car c’est, à mon sens, de la pure démagogie que d’affirmer que toute personne qui donne à lire sa production sur un blog ou sur un site est un écrivain, précisément dans la mesure où cela reviendrait de fait à dire que toute personne qui écrit (n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment) aurait nécessairement, comme par définition, le droit de s’auto-intituler « écrivain », et point à la ligne…
Ce n’est, d’ailleurs, absolument pas un problème d’écriture en ligne ou papier, cela n’a rien à voir avec ça, mais bel et bien avec une qualité d’écriture qui n’est mesurable que par le regard d’autrui, ne « vaut » que si elle passe par cet indispensable tamis qu’est l’oeil, la sensibilité, la subjectivité d’autrui, cela pouvant se passer a priori (c’est le rôle de l’éditeur) ou a posteriori (lecteurs d’oeuvres en ligne ou de blogs). Et si cet oeil, ce regard sont ceux d’un éditeur, c’est mille fois mieux – c’est bien à ça que sert, pour nous en tenir au numérique, une maison de l’importance et de la qualité de « Publie.net »…
M.W: « En ce qui me concerne, je pense qu’il y a les écrivants, qui écrivent parce que c’est leur mode de communication, et les écrivains, qui sont reconnus par une communauté de lecteurs (et pas par une élite auto-proclamée). Et les deux catégories sont respectables. »
A.R: Bien sûr que toute personne qui donne à lire est RESPECTABLE, mais depuis quand la respectabilité (notion bourgeoise par excellence, d’ailleurs) serait-elle devenue unité de mesure de la valeur d’une oeuvre? Cette personne, celle-ci ou celui-là, qui met des textes en ligne, peut-elle se dire, ou non, « écrivain(e) »? Je suis comme vous, je n’en sais rien d’entrée de jeu; j’ai, comme vous, comme tout le monde, mes critères, par définition subjectifs, et ils sont tels que je me permets d’affirmer dans l’immense majorité des cas cet effort sérieux, sincère et que je respecte n’aboutit pas à quelque chose qui soit, pour moi, de la « littérature ».
Lorsque Lautréamont disait que « la poésie doit être faite par tous. Non par un. », il ne voulait certainement pas affirmer pour autant dire que nous serions TOUS poètes…
(2010)
C’est sur ce point que j’ai le plus évolué. Non seulement j’ai moi-même maintenant un modeste blog qui, lentement, sereinement, poursuit son bonhomme de chemin, mais je ne considère plus du tout que « se faire éditer » serait « mille fois mieux », loin de là…
(mon propos avait d’ailleurs une portée générale – en ce qui me concerne j’ai toujours considéré qu’écrire et se faire éditer mobilisent des actions, des affects et des jouissances bien différentes, et ce ne sont que celles liées au premier verbe qui l’emportent, et de beaucoup, tous ceux qui me connaissent le savent!)
Le seul avantage (une plus grande visibilité par rapport aux revues, aux journalistes, aux critiques, laquelle vaut, hélas, essentiellement pour les éditions papier) n’est à mon sens en rien compensé par l’éprouvant et souvent humiliant « parcours du combattant » auquel l’on doit de se soumettre pour y arriver ( je dis bien « seul avantage », car mon type de production n’est pas de nature à me rapporter plus qu’une poignée d’euros – et c’est encore une exagération, sinon un doux euphémisme…) Je crois plus que jamais à la nécessité d’être « adoubé » par autrui pour gagner le droit de se dire « écrivain », mais il m’apparaît aujourd’hui que mes seuls lecteurs y suffisent peut-être, d’autant qu’il y a parmi eux – je le sais, j’en connais – un bon nombre qui sont eux même blogueurs, auteurs ou critiques que j’admire et respecte et qui, parfois, me le rendent bien. Et si un jour j’envisageais quand même l’édition, c’est sûrement à la numérique que je penserai prioritairement…Là-dessus je n’ai pas bougé d’un iota, car si je vomis, autant que Martin, « les élites auto-proclamées », j’affirme qu’il en est d’autres, largement respectées par ceux qui lisent et écrivent, et que c’est à celles et ceux qui en font partie que je faisais référence dans le nota de ce jour…
(février 2012)
J’ai à nouveau beaucoup réfléchi ces derniers temps à la question et j’ai à nouveau changé d’avis (il n’y a qu’aux imbéciles que cela n’arrive pas), en revenant de fait à ma conception première…
Ce qui suit ne s’appliquant naturellement à moi-même moins qu’aux autres, je le dis avec une gravité à la mesure de l’ironie qui la sous-tend: celle ou celui qui tient un blog « littéraire » est a priori tout ce qu’on veut, « littérateur », « écrivant », « web-auteur » – « écrivain(e) » pas forcément, loin s’en faut (l’auto-adoubement – dans ce domaine comme dans d’autres – me fait, dans les meilleurs des cas, sourire, dans les pires, m’éloigner), le tamis qu’est le regard d’autrui que j’évoquais dans le dialogue avec M. Winckler ne sachant se limiter à de complices clins d’œil ou même bruyantes approbations de quelques lecteurs dans les commentaires en bas des pages du blog ou sur les réseaux sociaux, mais requérant, du moins à mon sens et en ce qui me concerne, un œil qui me paraisse suffisamment aguerri pour que sa reconnaissance, sa volonté, son désir, sa joie d’adouber vaille pour de vrai, qu’il s’agisse d’un éditeur que je respecte, d’un critique à qui il arriva de me guider, d’un confrère que j’admire…
La littérature, n’en déplaise aux émules contemporains de Mr. de Coubertin pour ce qui est de l’écriture en ligne, ce ne sont pas les Jeux Olympiques, il ne suffit pas de participer, il faut EN ÊTRE, à toute heure, de toutes les façons, par toutes les fibres, et c’est pure démagogie que de dire que cela est par définition et sans autre forme de procès donné à tout un chacun – ce qui est précisément ce que je m’efforçais de dire dans ma dernière réponse à Martin…
(juin 2013)
On parle du « milieu littéraire »; tiens, c’est le même mot utilisé pour une autre profession bien connue, et je trouve de plus en plus qu’il a de franches et troublantes ressemblances, pas besoin de tractions avant 11CV pour cela…
Je ne suis pas peu fier d’avoir, tout au long d’une vie et avec l’appui de quelques « grands témoins« , su, pu et voulu éviter – passant outre le chant de quelques respectables et amicales, voire affectueuses sirènes – tout genre de pénible compromission avec celui-ci…
Et c’est plus que jamais ce que je me dois de faire: resserrer encore le tri et sereinement continuer mon bonhomme de chemin, accueillant avec joie, dans l’amitié et à bras ouverts qui le voudra bien, suivant même de bon gré – pour peu qu’il y ait accord profond et vraie complicité, – celle ou celui qui ouvrirait, à la machette s’il le fallait, une brèche dans les broussailles, un sentier, la voie, peut-être, qui sait? – mais toujours sans rien demander, et à personne…
(2011)
« Les sirènes ont une arme plus terrible que leur chant: leur silence. »
(Kafka)
Nous en sommes toujours là…
« Hörst du…hörst du? »
Les dates anniversaires du suicide de Celan défilent, dans l’indifférence générale…
Rien d’étonnant à cela, nous vivons à une époque où l’on « fabrique » beaucoup, mais où l’on crée peu, et où Celan se serait senti encore plus étranger qu’en son temps, lui qui invoquait un « langage au nord du futur » et qui avouait crûment:
« Je n’ai jamais été capable d’INVENTER. »
(2011)
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