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Archive for janvier 2015

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« Perché, luce, ti ritrai da me nelle cose guardate e più addentro ancora nelle altre non vedute? Chiusa la storia, cancellata la persona, perso o vinto l’agone? »
(Mario Luzi)

 

 

« C’était un homme qui tenait le buste ostensiblement droit, qui pratiquait le mutisme et qui buvait beaucoup. »
(Faulkner brossant de fait son autoportrait)
Pas d’autres questions, Votre Honneur, tout est dit…

 

 

« Je mets un tableau sur le mur. Ensuite, j’oublie qu’il y a un mur. je ne sais plus ce qu’il y a derrière ce mur, je ne sais plus qu’il y a un mur, je ne sais plus que ce mur est un mur, je ne sais plus ce que c’est qu’un mur. Je ne sais plus que dans mon appartement, il y a des murs, et que s’il n y avait pas de murs, il n’y aurait pas d’appartement. Le mur n’est plus ce qui délimite et définit le lieu où je vis, ce qui le sépare des autres lieus ou les autres vivent, il n’est plus qu’un support pour le tableau. Mais j’oublie aussi le tableau. Je ne le regarde plus, je ne sais plus le regarder. J’ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu’il y avait un mur, mais en oubliant le mur, j’oublie aussi le tableau.[…] Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux … »
(Georges Perec)
Comme il nous manque, celui-là, comme il nous manque!

 

 

Après avoir à regret refermé « Providence » de Juan Francisco Ferré, et relu dans la foulée la (tout de même plus transgressive, enivrante, époustouflante) « Vitesse des choses » de Rodrigo Fresán, une seule et même réflexion: combien « profonde » puisse-t-elle être, la surface ne sait que persévérer en ce qu’elle est, fièrement, désespérément…Nul paradoxe, c’est comme s’il manquait à ces chaos brillamment maîtrisés et portés par une écriture souple, déliée, jubilatoire, un souffle, une dimension cachée qui nous ramènent à Bolaño. Lequel était, bien entendu, plus que tout autre conscient de l’éclipse des idéologies et de l’effondrement des « grands récits« , mais nourrissait, par-delà l’impitoyable lucidité que était la sienne, une sorte d’indéfinissable regret, souvent présent (en tout point pareil à celui de l’athée Beckett s’écriant à propos de Dieu: « Il n’existe pas, le salaud! ») – comme si la totale absence d’illusions ne le satisfaisait pas pleinement, le troublait même, d’où la permanence des interrogations (sur ce que vaut la quête de la connaissance en vue de possibles transformations, sur ce que seraient la nature du Mal et la place de la jouissance, sans oublier l’inlassable questionnement portant – le monde étant ce qu’il est et les hommes ce qu’ils sont – sur les notions de pacte et de pari) lesquelles hantent et irriguent d’un bout à l’autre son oeuvre.
Le moins que je puisse dire, c’est que je ne les ai pas du tout retrouvées chez les flamboyants auteurs que j’évoquais en début d’article, et que cela ne me semble pas être le fruit du hasard, et bien moins encore d’une quelconque inconsistance…
Est-ce parce que toutes les possibles réponses ont déjà été données? Ou est-ce plutôt parce que les questions seraient en elles-mêmes inutiles, car toutes les réponses se valent? Inacceptables visions – en tout cas pour moi – dans un cas comme dans l’autre…
    (janvier 2012)

 

 

S’il y a un truc qui vous gratte, qui vous gêne sans que vous compreniez pourquoi, demandez à Perros, il vous expliquera:
« Je n’ai jamais entendu un pêcheur dire qu’il aimait la mer. » (Papiers collés III)
Ben, voilà pourquoi j’ai jamais trop prisé les poètes qui passent leur temps à vous expliquer ce qu’ils font, et comment, et pourquoi, et combien ils adorent ça…

 

« Mais le monde est rond, c’est une piste, un carrousel, une guirlande, il n’invente rien et nous oblige à tout renommer, tout oublier [*]
Vieillissons-nous? Sommes-nous sujets au vertige, aux écarts de langage, à la dégradation des idéaux? Prenons-nous des décisions que nous regrettons, des coups que nous rendons? Avons-nous peur du vent, des bêtes obscures, des rires cachés sous les pierres?
Non. »
(Claro)
Quelle que soit la réponse que l’on aura envie de donner en fonction de l’heure et des circonstances (un « oui » valant sans doute le « non » du texte), ces lignes ne sont pas seulement âprement belles, mais peut-être vraies – pour autant que ce mot ait un sens s’agissant de littérature…

 

 

« Mais j’aime le jeu qui consiste à se promener et à parler avec les morts qui sourient, silencieux et libres, libres entièrement et pour toujours. »
(Katherine Mansfield)
C’est ce qu’il m’est arrivé de faire à Buenos Aires – et ailleurs – plus d’une fois…

reco Cimetière de la Recoleta

 

 

« Je sais maintenant que la proximité n’existe pas. Il y a toujours quelqu’un qui a les yeux fermés. On voit lorsque l’autre ne voit pas. »
(Roberto Bolaño: Un petit roman lumpen)
Il y des années durant, des gens que j’aime bien et qui me le rendent, mais à leur façon (mais je me trompe peut-être, qui sait? – si ça se trouve, pas même eux…) ont couvert, souvent dans de grands élans éthyliques, certains de mes écrits d’adjectifs et épithètes flatteurs à en faire rosir un sergent de paras, tout en ajoutant que la priorité des priorités était toutefois de « me faire connaître »…
Autant interloqué la première que la nième fois, je faisais toujours respectueusement remarquer que, de mon temps, il arrivait qu’en écrivant convenablement l’on ait quelques chances d’être, d’une manière ou d’une autre, « publié » et, avec un petit coup de pouce du hasard, du destin, voire des dieux, d’être un peu connu, alors que, les choses ayant apparemment bien changé, il fallait maintenant – chose étrange pour le Béotien que j’étais, et peut-être pas que pour lui – se faire d’abord connaître pour espérer l’être (l’éventuelle ou supposée magnificence des oeuvres n’entrant, à l’évidence, et dans bien de cas, que fort modestement en ligne de compte…)
Nous en restions le plus souvent là, quelque part entre nulle part et partout, jamais et toujours, comme souvent lorsque écrivains et littérateurs (l’ordre des facteurs important peu) se rencontrent…
Les conseils étant néanmoins des meilleurs, je mis à profit les quelques années écoulées pour réfléchir aux moyens les plus efficaces d’enfin aboutir à cette visibilité qui tant me fait défaut; pour y en avoir, il y en a, l’on n’est embarrassé que par le choix:
1) révolvériser Houellebecq en direct lors de la remise d’un des innombrables prix que son éminente contribution à l’éclat de nos belles-lettres ne manquera pas de lui faire valoir également à l’avenir, en espérant ne pas avoir à attendre le Grand Prix, comme on dit en Formule 1, que notre glorieuse Académie se fera un devoir de lui décerner pour « l’ensemble de son oeuvre »;
2) parcourir au triple galop et tout nu les Champs-Elysées, une plume tricolore plantée au derrière, au cri de « Vive la République! Vive la France! Vive Cheminade! » (ou Nathalie Arthaud, car je ne suis ni sectaire ni misogyne…);
3) aller formaliser mon adhésion au FN vêtu de l’une des quelques burqas soigneusement rangées dans mon armoire à glaces;
4) écrire l’article que tout le monde attend et dans lequel j’affirmerai, sans l’ombre d’une preuve, mais sur la base d’un lumineux faisceau de présomptions, que Mélenchon est stipendié à la fois par le Hamas, la CIA, les services secrets sionistes et le Parti du Travail de Corée du Nord, sorte de record absolu et preuve, s’il en est et, surtout, s’il en fallait, d’immenses qualités à l’égal, hélas, d’une fourberie et d’un manque de principes du même acabit, comme dirait mister F.O.G (mais pas Phileas) qui en connaît, tout le monde est au parfum, un rayon là-dessus…
Mais je sais aujourd’hui que je n’en ferai rien et que je resterai invisible, sauf de celles et ceux pour lesquels ce n’était pas tout vu, mais à qui dix lignes suffirent pour tout voir – mes tant semblables frères…
(printemps 2012)

http://www.youtube.com/watch?v=-IFPBq4-AYA

 

 

« Le monde est flou. Je ne le vois que quand j’écris. »
(Pierre Michon)
Que dire d’autre?

 

 

« Aujourd’hui tout le monde se tutoie, tu l’auras remarqué, c’est une manière hâtive et faussement confidentielle. Moi ça ne me plaît pas, car c’est irrespectueux…Je crois que quand deux personnes s’estiment elles doivent se vouvoyer, c’est une forme qui signifie civilité et respect de l’autre. Et puis cela marque cette distance nécessaire à se faire comprendre l’un de l’autre que même si nous nous connaissons bien, fût-ce de manière intime, en toute connaissance de nos secrets respectifs, nous faisons semblant du contraire, que nous ne savons pas certaines choses, et nous le faisons pour que l’autre se sente plus à l’aise, comme quand quelqu’un t’a confié une chose importante qu’il ne dirait à personne, mais toi tu avais l’air un peu distrait, ce n’est pas ça bien sûr, tu l’as écouté avec beaucoup d’attention, mais…voilà, c’est comme si tu n’y pensais déjà plus, tu as mis cette chose dans un petit coffre secret de ton coeur et tu l’as fermé à clef…Maintenant qu’est arrivé le moment de se saluer, je voudrais te vouvoyer en prenant congé. Je suis certain que tu peux le comprendre, ce n’est pas un détail sans importance…y compris pour ce que tu devras écrire sur moi. Tu es d’accord? »
( Antonio Tabucchi: Tristano meurt)

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« Je ne retiens pas par cœur tous les poèmes que j’ai écrits, mais seulement les quelques motifs qui me déterminent à en écrire d’autres… »
(Nichita Stanescu)

 

 

« Il a souri, m’a-t-il semblé, mais les hommes sourient toujours quand ils ne comprennent rien. »
( Giovanni Papini: Le miroir qui fuit)

 

 

« Ferruccio disait que celui qui écrit pour commenter la vie pense toujours que son commentaire est plus important que ce qu’il commente, même s’il ne s’en rend pas compte. »
(Antonio Tabucchi: Tristano meurt)
Ah, qu’elle fait du bien l’impitoyablement amère lucidité de Tabucchi, laquelle nous aide, comme peu d’autres, à littéralement TOUCHER DU DOIGT QUI ET CE QUE par-dessus tout je déteste et n’accepte pas, en littérature comme ailleurs – car ils sont légion, ceux pour lesquels leurs actions ou alors leurs écrits « sur » la vie sont bien plus importants que la vie sur laquelle ils croient avoir agi et écrit, croyez-moi, légion…

 

 

« Tout n’est que cendre désormais tout n’est que cendre mais
De cette cendre sort un qui porte sa peau et le couteau
Pour couper soi de soi (qui sera soi tu ne le sais
Pas : la tête est encore infime et blême dans des hauts).

Dans l’épaisseur de suie de mélancolie, va, accélère — c’est
Au cinéma, les brutales nuées roulent des manches sur
Des lividités inapaisées. Sens la peau de tes joues fur
Ieusement tirer les brides, hennir dans les cuirs ou corsets :

Tu es dans le baquet des épidermes bleus, des porcelaines de genoux,
Des ventres concaves, des os de transparences. L’aigre mot
De rance te rince de vomissures. Ou c’est (plage) ta mère sous

L’œuf, l’ardeur safran, le poids de paillasson des nuées,
Les seins d’été dans un bonnet d’âne épouvantablement
Blanc que califourche minuscule dans la contre-plongée
Toi, flou de sueur ou larmes ou du blanchissement du temps. »

( Christian Prigent: Météo des plages)

 

 

L’inédit de Bukowski dont on a beaucoup parlé récemment (il s’agit de sa réponse à un jeune poète qui lui avait envoyé un manuscrit) m’a irrésistiblement fait penser, sinon au fameux adage: «Accroche-toi au pinceau, je retire l’échelle!», du moins à l’immortelle réplique de l’administration concernée dans le sketch que Coluche a consacré à son ouvrier de père et où celui-ci réclamait ce qui lui semblait revenir de droit: «Dites-nous de quoi vous avez besoin, on vous dira comment vous en passer…»
Feindre de croire que les propos de Bukowski puissent s’appliquer à la situation française en 2010, en particulier pour ce qui est de la « poésie » (les guillemets sont liés au fait patent que ce que ce mot veut dire – comme d’autres, tel le mot « oeuvre » – je n’en sais rien, alors que je sais par contre fort bien reconnaitre si de poésie ou d’oeuvre, il n’y en a point – quel que puisse être le degré d’ouverture ou d’indulgence dont je me sais capable de faire preuve) relève, dans le meilleur des cas, d’une quantité d’innocence se mesurant en centaines de tonnes, au pire, à une conception tout à fait particulière de l’honnêteté intellectuelle, tant la réalité d’un jeune poète (ou, par extension, de tout « nouveau » dans le « métier » – parole que triplement j’abhorre, mais qu’à mon corps défendant je me vois contraint d’utiliser, faute de mieux) souhaitant faire publier ses écrits a peu, très peu à voir avec les conseils que Bukowski lui prodigue…
Oh, faut pas croire, je l’aime beaucoup, lui et ce qu’il représente, mais comment ne pas mettre tout de même un sérieux bémol à l’enthousiasme général:
a) il est très facile de donner ce type de conseil alors qu’on est déjà « arrivé » (qu’il ait dû galérer comme pas possible avant, c’est incontestable, mais n’a rien à voir avec notre propos!), se faire plaisir en exhibant, hilare, un tranchant, mordant, ironique et corrosif morceau de bravoure à mettre postérieurement dans les manuels et qui fera sourire ou carrément s’esclaffer les autres « arrivés » comme lui, mais cela n’aidera en rien les jeunes écrivains en question… C’était bien plus difficile et éprouvant, j’en conviens, d’en recevoir certains, oh pas tous, un tout petit nombre, juste ceux qui lui semblaient apporter quelque chose de nouveau, de fort et de vrai, et de les aider concrètement à arriver à bon port, parce que lui aussi y croirait, et qu’il avait les moyens de le faire; apparemment Bukowski n’a pas guère foi en ce que peuvent être et apporter les « passeurs », les Paulhan et compagnie sont sans doute une invention de notre esprit enfiévré, nous commençons d’ailleurs à nous poser de sérieuses questions à ce sujet…
b) Bukowski est américain, nous ne connaissons absolument pas le fonctionnement du monde de l’édition là-bas en son temps (pas plus que maintenant d’ailleurs!), ce que nous savons, par contre, c’est qu’actuellement en France dans (soyons gentils, allons!) 60 à 75% des cas les manuscrits envoyés sont, avec un peu d’optimisme, lus par bribes ou «en diagonale», ou alors, bien plus lucidement et crûment dit encore, la proie, en direct ou en différé, des corbeilles à papier, faute de temps, de moyens, d’envie tout simplement s’agissant de « poésie » (pour ce qui est de l’édition numérique, remplaçons cela par un doigt courroucé, lascif, indifférent ou vengeur effaçant d’un trait le tout…) Il reste, bien sûr, les 25-40% autres, quelques exemples quand même chez les «grands», et une majorité, sans doute, chez les plus « petits »…
Mais je n’arrive pas à saisir les raisons pour lesquelles certains se refusent à admettre cette réalité connue de tous, et rappelons, pour ne prendre que ces deux exemples, que Jean-Pierre Duprey a envoyé ses premiers écrits à Breton et le jeune Dupin à Char et non pas à des «directeurs littéraires et éditeurs» où les manuscrits auraient probablement connu, même en ces temps à l’abri – et fort heureusement d’ailleurs – de l’inflation du nombre de « poètes », ou se considérant tels que nous connaissons aujourd’hui, le bien triste sort que je viens d’évoquer;
c) Bukowski a parfaitement le droit de penser ce qu’il veut, mais, outre qu’il peut se tromper, une opinion contraire à la sienne n’est pas, par définition, moins valable et moins légitime (j’en sais quelque chose, car correspondant, rencontrant et parlant avec pas mal de gens «du métier» au sens le plus large, eh bien, beaucoup non seulement admettent du bout des lèvres, mais affirment haut et fort que dans le monde de l’édition « traditionnelle » d’aujourd’hui et s’agissant de « poésie », aucune chance véritable au niveau d’exigence auquel l’on se doit d’aspirer ne saurait s’offrir sans «passeurs», relais et réseaux, c’est comme ça, il ne s’agit pas d’un jugement de valeur, mais de la prise en compte d’une réalité, rien de plus…(nous tenons à préciser que, pour eux, comme pour moi d’ailleurs, il ne s’agit NULLEMENT de «pistons» ou d’obscures et troubles «relations», mais de gens ne connaissant ni d’Eve ni d’Adam l’aspirant-auteur, mais qui, ayant eu l’occasion de lire ses écrits, les apprécient au point de vouloir l’aider à les rendre «visibles» et à portée d’un plus large public de lecteurs)
Les jeunes poètes n’étant, en règle générale, guère friqués, et n’ayant donc point vocation d’enrichir l’administration des Postes (ou encombrer les boîtes à messages des éditeurs numériques) l’on comprendra aisément mes sérieux doutes et mon indignation si la seule solution s’offrant à eux était celle préconisée dans ses préceptes par le grand Charles, d’autant qu’ils le feront, dans la grande majorité des cas, en pure perte…
La mise en partage « institutionnalisée » de « l’oeuvre » – pour peu qu’elle le doive ou puisse, que l’on se trouve dans des conditions à même de respecter le choix fondamental, difficile et toujours vacillant de qui l’envisage – ne saurait, à notre avis, procéder QUE d’une vraie rencontre, relever QUE d’une succession d’actes qui tiennent, si les mots ont un sens, de l’élection et de la reconnaissance , où il n’appartiendrait pas forcément à celui qui a déjà fait sa part de travail (puisque « l’oeuvre » est là, visible pour peu que l’on se dispose à la voir) de faire le premier pas…Tout autre déroulement pourrait conduire l’ensemble des acteurs (celui qui écrivit, donc produisit, celui qui, éventuellement, lut et aida à faire passer, celui, enfin, qui reçut et se résolut à donner à voir à une plus large échelle) à une frustration certaine sur le moyen et long terme, pire encore, au malaise immanquablement lié au sentiment de trahir ce que chacun, à sa place et dans son rôle, est, ou se devrait d’être. Que j’arrive à en convaincre le plus grand nombre, c’est une autre histoire. Toute l’histoire
(2010)

[Nota de juin 2014: pas une virgule à retrancher, mais le saint et noble courroux qui présida à l’époque à la rédaction de cet article ne laisse pas suffisamment voir le fait – essentiel – que je me faisais en l’occurrence l’avocat d’une cause qui ne me concerne en rien directement, puisque je peux certifier sur l’honneur ne JAMAIS, au GRAND JAMAIS avoir envoyé de manuscrit à quel éditeur que ce soit, papier ou numérique…]

 

 

« Quand il lisait, il déchirait de ses livres les feuilles qui lui déplaisaient, ayant, de la sorte, une bibliothèque à son usage, composée d’ouvrages évidés, renfermés dans des couvertures trop larges »
(Chateaubriand à propos de Joubert)
Excellente idée, ma foi, sauf qu’il me faudra dans ce cas ne montrer la bibliothèque qu’aux intimes, certaines couvertures étant destinées à devenir du coup vergogneusement amples…

 

 

« Les choses croient que nous partons et se sentent en sécurité. »
(Katherine Mansfield)
C’est sans doute pourquoi si souvent je les envie…

 

 

Oui, tout est là, dans cette « willing suspension of desbelief » dont parle Coleridge, qui rend l’accueil chose de (presque) tous, et la perte, de peu, bien peu – et comme c’est bien qu’il en soit ainsi!

 

 

« Deux jours plus tard il s’en est allé, mais je savais qu’on ne peut pardonner certaines choses qu’à ceux qu’on ne reverra jamais. Le pardon, parfois, ne supporte pas la proximité. »
(Antoni Casas Ros)
Faux, mais beau – comme tant d’autres choses…

 

 

«Il n’est pas à la beauté d’autre origine que la blessure, singulière, différente pour chacun, cachée ou visible, que tout homme garde en soi, qu’il préserve et où il se retire quand il veut quitter le monde pour une solitude temporaire mais profonde. »
(Jean Genet: L’atelier d’Alberto Giacometti)

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À celles et ceux qui furent LÀ où l’on est lorsque l’on va loin…

 »I loved, but woman fell away;
I hid me from her faded fame.
I snatched the sun’s eternal ray
And wrote till earth was but a name. »

clare John Clare

Cher Monsieur
Je suis dans un asile de fous et je ne me rappelle plus votre nom ni qui vous êtes Il faut m’excuser car je n’ai rien à communiquer ni à dire et je ne sais pas pourquoi je suis enfermé Je n’ai rien à dire c’est pourquoi je conclus
Mes respects
John Clare

folie

« The land of shadows wilt thou trace
And look nor know each other’s face
The present mixed with reasons gone
And past and present all as one »

 

 

La leçon sur le cube

On prend une pierre
on la taille avec un ciseau de sang,
on la polit avec l’oeil de Homère
on la racle avec des rayons
jusqu’à ce que le cube devienne parfait.
On embrasse ensuite plusieurs fois le cube
avec sa bouche, avec la bouche des autres
et surtout avec la bouche de l’infante.
Après quoi on prend un marteau
avec lequel on écrase vite un angle du cube.
Tous, mais absolument tous diront d’une même voix:
– Quel cube parfait aurait été ce cube
s’il n’avait pas eu ce coin brisé!
(Nichita Stănescu)

 

 

« La victoire n’est rien, mon garçon, la victoire ne laisse pas de traces, c’est un assouvissement passager. La vie, c’est la défaite. »
(Cees Nooteboom: Le chant de l’être et du paraître)
Y compris la pire, celle à laquelle l’on se résigne sans combattre…

 

 

« Je suis un instrument hors d’usage sur lequel, il y longtemps, quelqu’un a joué quelques notes que moi, dans mon inquiétude, je continue à varier. »
(Ingeborg Bachmann)
Tel moi, l’indigne – jusqu’à ce que fin s’ensuive…

 

 

pessoa

« Je ne suis rien.
Je ne serai jamais rien.
Je ne peux vouloir être rien.
À part ça, j’ai en moi tous les rêves du monde. »
(Fernando Pessoa)
J’avoue, pour ma part – le monde allant comme il va, et la littérature étant en ces heures ce qu’elle est – que parfois (de plus en plus souvent, à vrai dire), mon seul rêve est de ne plus en avoir, ou alors peu, d’humbles, de minuscules même, de ceux qui n’accroissent pas la déception et la souffrance d’être, ou alors qui aident à ne devenir que ce que l’on peut, tout bêtement…

 

 

magritte

Cela peut rendre fou que de chercher en vain la clé, vouloir forcer la serrure, alors que la solution, sans nom ni sceau comme toujours lorsqu’on cesse pour de vrai de creuser, nous signifie notre congé de la plus lisse, improbable et aveugle manière:
« …la seule réponse est l’absence de réponse, la seule réponse serait une espèce de joie secrète ou insondable, quelque chose qui confine à la cruauté et résiste à la raison mais qui n’est pas pour autant l’instinct, quelque chose qui vit là avec la même persévérance aveugle que le sang qui s’obstine dans ses veines et que la terre dans son immuable orbite et tous les êtres vivants dans leur opiniâtre condition d’êtres, quelque chose qui échappe aux mots de la même manière que le ruisseau esquive la pierre, car les mots ne sont faits que pour se dire eux-mêmes, pour dire le dicible, c’est-à-dire tout, hormis ce qui nous gouverne ou nous fait vivre ou nous touche ou ce que nous sommes… »
(Javier Cercas: Les soldats de Salamine)
Ce qui te fera sans doute renoncer pour de bon est tout entier dans ce qui précède, ce qui justifiera peut-être ce que furent tes jours et tes nuits tout autant…

salamine

 

 

« La salamandre dans le feu, interrompit Hamlet, après quoi, faisant frire la semence du Logos sur le lard fondant de sa langue, il siffla: Ce qu’un poète écrit, un ange ou un démon le FAIT… C’est ainsi que le rêve se venge de la conscience ininterrompue »
(Vladimir Holan: Une nuit avec Hamlet)
C’est bien pourquoi tant et tant (dont l’adolescent de Charleville) se sont voulus anges, et diables, et plein d’autres choses encore, TOUT pour ne plus être à peine « celui qui écrit »… Parce que (qui sait?) en inversant les termes de la superbe et à juste titre célèbre phrase proustienne, peut-être finirait-on un jour par comprendre que « la vraie littérature, c’est la vie »…

 

 

« Ma façon de tomber? Je me blesse moi-même plus fort et plus lent chaque année mais on n’a pas encore trouvé l’entaille, la flamme, l’eau qui doit m’accueillir, moi, le chasseur »
(Hugo Claus)
De temps il n’y a que le temps, et la durée qui rétrécit: fée, sorcière, ou pauvre oracle?

 

 

“La fée déguisée en feuillage, tout en elle sent la mer, lac et ressac. La mer ? d’une enjambée on la franchit. Après la lumière, l’onde est devenue verte. On ne discute pas avec les morts. Apportez la lumière ? Viennent trombes, pics, vals et chardons. Le dernier couac est celui du pendu. Hamlet, Hamlet, c’est moi (to be or not to be). Trombes, sacs, ressacs, carnages, espoirs tout nus.
La mare est rouge et sue du sel. »
(Jean-Pierre Duprey)

 

 

EMPIRE DU PARDON

Soleil du haut des toits du ciel. Toujours ici dans le dessus. Quel appel y concentre ses larmes couleur de pierre? Pas un arbre n’y touche. Où trouve-t-il accueil au plan des eaux? Je suis là de la main frappant d’exil et gravement mes pensées d’entre les oiseaux du jour. Un hiver sans fin passe comme un fleuve lent aux limites du silence. Ai-je droit à la vie et de mordre aux pains de poussière du temps?
(Non répondent les fumées ruées dans le plus bleu de la lumière non. L’étagement des linges crus jusque dans l’âme claire du vent. L’odeur poissonneuse des cours de lèpres émigrant parmi les mers en haut. Les lucarnes maigres jetées en l’air ouvertes à des parages d’herbe inaccessible. Et les morts gravissant l’escalier terrible de l’oubli. Tout m’abandonne en contrebas. Tout m’a dit non.)
Je suis ailleurs dans le dessous du monde. Une neige endormie me surplombe. Et c’est le niveau des sources de la nuit pure. On ne peut connaître pays plus sombre. Il est mieux que natal. Il est sorti de moi. J’y pose chacun de mes pas comme un jet de bouleaux. Puis les torrents et les montagnes à l’avenant du cœur. Et surtout quand le soleil a troué la surface pour descendre ici. Je l’ai vu lentement refleurir et se mettre à la voie. Cet asile conclu d’aube et commencé d’obscur. Cette glissée consolatrice dans l’empire du pardon.
 (Jean-Philippe Salabreuil)

http://www.youtube.com/watch?v=-QSuXpzNDs8&feature=related

 

 

« Si elle m’avait vu, qu’aurais-je pu lui représenter? Du sein de quel univers me distinguait-elle? »
(Swann apercevant Albertine)
Question qu’il est souvent, très souvent, trop souvent, préférable de NE PAS se poser…

 

 

celan

« Pas une
voix
– un

bruit tardif, étranger aux heures, offert
à tes pensées, ici, enfin,
ici éveillé: une
feuille-fruit, de la taille d’un oeil, profondément
entaillée; elle
suinte, ne veut pas
cicatriser. »
(Paul Celan)
Et si c’était la cicatrice le seul rachat? Et s’il n’y avait qu’elle à même de détourner glaives et prédictions? Et si c’était elle la dame du grand merci, la pourvoyeuse de rouilles, gardienne de ces lieux ébouriffés, affranchis des ornements qui égarent, nous levant (tout comme lui) vers le miel des impasses et la clairvoyance des ombres?

 

 

« Tout, j’ai tout recueilli de toi: miettes, fragments, poussière, traces, suppositions, accents restés dans la voix d’autrui, quelques grains de sable, un coquillage, ton passé imaginé par moi, notre futur supposé, ce que j’aurais voulu de toi, ce que tu m’avais promis, mes rêves d’enfant, la passion que j’ai éprouvée pour mon père quand j’étais petite, certains refrains niais de mon enfance, un coquelicot au bord d’une route poussièreuse. [*] On ne peut pas trahir comme ça, en coupant le fil. Sans même que je sache où repose ton corps. Tu t’es remis à ton Minos, que tu croyais avoir dupé, mais qui à la fin t’a englouti. C’est comme cela que j’ai déchiffré des épitaphes dans tous les cimetières possibles, en quête de ton nom aimé, sur lequel au moins je pourrais te pleurer. Tu m’as trahie deux fois, et la seconde, c’est en me cachant ton corps. [*] Moi je t’ai fait sortir d’un labyrinthe, et toi tu m’y as fait entrer sans qu’il y ait pour moi d’issue, pas même ultime. Car ma vie est passée, et tout m’échappe sans la possibilité d’un lien qui me rattache à moi-même et au cosmos. Je suis là, la brise me caresse les cheveux et je chancelle dans la nuit, parce que j’ai perdu le fil, celui que je t’avais donné, Thésée. »
(Antonio Tabuccchi: Lettre au vent)
La lettre, que j’avais cru volée, a fini par me parvenir – mais tard, beaucoup trop tard…

 

 

J’y ai pensé tout le temps, alors que je « parcourais », fasciné, les lieux, réels ou rêvés, qu’ils hantèrent, j’y ai pensé en me rappelant Duprey, Pollock, Charlie Parker, Augiéras, de Staël, Kerouac, Fauser, Arbus, Basquiat, Collobert, Keith Haring, Tarkos, Fassbinder, James Dean, Plath, Cazuza, Laure, Prevel, Pizarnik, j’ai pensé à cette espèce d’acide innocence qui fut la leur, qui ne valut même pas dette de reconnaissance, mais qui finit par les joindre en ce temps qui jamais ne se relèvera de ses défaites :
« Les criminels dégoûtent comme les châtrés : moi, je suis intact, et ça m’est égal. »

 

 

Sylvia Plath & Ted Hughes

« What happens in the heart simply happens. »
( Ted Hughes)
Et nul n’a à s’en mêler, ni même à en dire quoi que ce soit…

 

 

« Femme rebelle, c’est-à-dire deux fois belle. Dans ce qu’elle permet et dans ce qu’elle refuse. »
(Albert Brie)
Pour des raisons que ceux qui l’ont lue comprendront aisément, ces mots m’ont toujours renvoyé à Cristina Campo, qui depuis longtemps déjà m’accompagne, me hante, m’enchante, m’espante…

 

 

« Now I want / Spirits to enforce, art to enchant; / And my ending is despair… »
(Shakespeare: The Tempest, V, 1)

 

 

« Entre deux chaises entre deux feux
entre deux guerres entre deux paix
entre deux choix entre deux maux [*]
entre deux piqûres entre deux filles [*]
entre mort et mort [*]
entre vieux et sombre [*]
entre espoir et nouveau
entre départ et peur
entre clair et arrivée
entre les lignes
entre les pages
entre les jambes
l’intervalle l’entretemps »
(Gerrit Kouwenaar)

 

 

witkin

« La mort, dans l’horizon humain, n’est pas ce qui est donné, elle est ce qui est à faire: une tâche, ce dont nous nous emparons activement, ce qui devient la source de notre inspiration et de notre maîtrise. L’homme meurt, cela n’est rien, mais l’homme est à partir de sa mort, il se lie fortement à sa mort, par un lien dont il est juge, il fait sa mort, il se fait mortel et, par là, se donne le pouvoir de faire et donne à ce qu’il fait son sens et sa vérité. »
(Maurice Blanchot)
Du peu que j’ai à ce jour accompli, pas un dixième – et encore, à coup sûr en plus pauvre, en plus faible, en moins lié que je ne l’aurait voulu à l’appel qui vient du dedans – ne l’aurait été si je ne croyais de toutes mes fibres à ces lignes, et ce depuis longtemps, bien longtemps…

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« L’avenir est rare, et chaque jour qui vient n’est pas un jour qui commence ».
(Maurice Blanchot)
Un avenir sans commencements, c’est proprement insupportable, et c’est pourtant celui que la jeune génération voit se dresser devant elle. Qu’on en soit arrivé là, certains de la mienne s’en croient (et on les en rend, oh ça oui!), à tort ou à raison, au moins en partie responsables, sinon coupables. Mais, vrai ou faux (sans doute un peu les deux, comme toujours), cela n’exonère en rien nos cadets des responsabilités dont ils croient parfois pouvoir s’affranchir au nom de la supposée « mort des grands récits et des idéologies » (et comme je ne suis pas du genre à pas nommer un chat un chat et les fripons des fripons, je précise que je me réfère, bien entendu, en premier lieu au marxisme, mais aussi à l’anarchisme, héritiers tous deux des Lumières, universalistes et libérateurs sans puants tris préalables – mais bon, ça va un peu mieux depuis quelque temps, je vous l’accorde…), mortifère ineptie, car, plus on la martèle, plus on les enterre, au profit et pour la plus grande joie de la seule qui ne dit pas son nom (encore que cela soit de moins en moins vrai depuis quelque temps), qui n’admet même pas en être une (car « il n’y a pas d’autre alternative ») et qui, pour notre malheur à tous, tient le haut du pavé depuis les années ’80…Et si vous pouviez moins nous bassiner avec les religions – toutes, sans exception -, vieilles, mais vraies « maladies infantiles » de toute émancipation véritable, laquelle ne saurait s’appuyer que sur cet intérêt du plus grand nombre dont l’exacerbation du « particulier » est l’ennemi juré, les opprimés vous remercieront, TOUS les opprimés, sans distinction de genre, de couleur, de croyance, d’origine, d’orientation sexuelle, et j’en passe, ceux dont la seule identité qui vaille est justement de l’être, OPPRIMÉS. En leur nom, et au mien, merci d’avance!

 

 

Ô Séféris, plus que jamais indispensable à l’heure où « ils » mettaient ton cher pays en coupe réglée, le détruisaient, l’humiliaient, affamaient ses habitants, et plus encore alors que sonne peut-être l’heure de l’en affranchir:

Où que me porte mon voyage la Grèce me blesse
À Pilion parmi les oliviers
la tunique du Centaure
glissant parmi les feuilles
a entouré mon corps
et la mer me suivait pendant que je marchais

Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse

À Santorin en frôlant
Les îles englouties
En écoutant jouer une flûte parmi les pierres ponces
Ma main fut clouée à la crête d’une vague
Par une flèche subitement jaillie
Des confins d’une jeunesse disparue

Où que me porte mon voyage la Grèce me blesse

À Mycènes
j’ai soulevé les grandes pierres
et les trésors des Atrides
j’ai dormi à leurs côtés à l’hôtel de « La Belle Hélène »
ils ne disparurent qu’à l’aube lorsque chanta Cassandre
un coq suspendu à sa gorge noire
Où que me porte mon voyage la Grèce me blesse

À Spetsai, à Poros et à Mykonos
les barcaroles m’ont soulevé le coeur

Où que me porte mon voyage la Grèce me blesse
Que veulent donc ceux qui se croient à Athènes
ou au Pirée
l’un vient de Salamine
et demande à l’autre
s’il « ne viendrait pas de la place Omonia »
« non, je viens de la place Syndagma »
répond-il satisfait
« j’ai rencontré Yannis
et il m’a payé une glace
Pendant ce temps la Grèce voyage
et nous n’en savons rien
nous ne savons pas que tous nous sommes marins sans emploi
et nous ne savons pas combien le port est amer
quand tous les bateaux sont partis
Où que me porte mon voyage la Grèce me blesse

Drôles de gens
ils se croient en Attique
et ne sont nulle part
ils achètent des dragées pour se marier
et il se font photographier
l’homme que j’ai vu aujourd’hui
assis devant un fond de pigeons et de fleurs
laissait la main du vieux photographe
lui lisser les rides creusées
de son visage
par les oiseaux du ciel
Où que me porte mon voyage la Grèce me blesse

Pendant ce temps la Grèce voyage
voyage toujours
et si la mer Egée se fleurit de cadavres
ce sont les corps de ceux qui voulurent rattraper à la nage
le grand navire
Où que me porte mon voyage la Grèce me blesse

Le Pirée s’obscurcit
les bateaux sifflent ils sifflent sans arrêt
mais sur le quai nul cabestan ne bouge
nulle chaîne mouillée n’a scintillé dans l’ultime éclat
du soleil qui décline
Où que me porte mon voyage, la Grèce me blesse

Rideaux de montagnes archipels
granites dénudés
le bateau qui s’avance s’appelle
Agonie…

(Georges Séféris)

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« I hold a beast, an angel and a madman in me, and my enquiry is as to their working, and my problem is their subjugation and victory, downthrow and upheaval, and my effort is their self-expression. »
( Dylan Thomas)

 

 

« I like prefaces. I read them. Sometimes I do not read any further. »

« J’aime les préfaces. Je les lis. Il m’arrive de m’en contenter. »

(Malcolm Lowry – traduction: André Rougier)

 

 

Artaud disait: « Il y a un couteau que je n’oublie pas. »
Moi non plus…

 

 

« Tuer parce qu’on ne sait pas prononcer tu es »
(Mathieu Bénezet)

Comment ne pas y souscrire, pleinement? Mais – plus souvent encore, et de bien pire façon – on tue, à cette époque que j’ai du mal à appeler « nôtre », surtout parce que l’on ne consent plus à dire « je suis » , ou même (l’éclipse, le reflux voire l’effacement du sacré – sans Dieu en ce qui me concerne, – ne l’autorisant plus) « je suis celui qui est »: « homme parmi les hommes », cependant (cela valant bien entendu pour tous!), irréductiblement singulier et différent – non pas, de pauvrement sartrienne manière, quelqu’un qui “les vaut tous, et que vaut n’importe qui”, mais (pleinement vrai également, sans exception aucune), quelqu’un “qui vaut ce qu’il vaut” (peut-être rien…), mais que ne vaut nul autre…

 

 

Il a plu à certains ( qu’ils en soient dans un même mouvement remerciés, et blâmés pour leur absence de sens critique – j’ai envie d’en rire, tiens…) d’entrevoir dans mes élucubrations quelque densité, un chouïa d’intensité (pourquoi pas, hein, faut pas s’inquiéter, c’est pas contagieux!), de la beauté même, par ci, par là (eh oui, tout comme à Michon, le mot ne me fait guère peur!); d’autres (parfois les mêmes) se sont plaints de n’y point voir mon coeur, ou mes tripes, ou les deux. Je réponds toujours humblement que pour moi l’écrit ne relève ni de la table de dissection ni de l’étal du boucher, voire qu’ils y regardent à nouveau, et mieux, et alors, peut-être…(je l’ai déjà dit, je sais, je le redis parce parce que c’est important – du moins pour moi…)
Mais l’on n’y verra pas, ou presque (j’assume, quel qu’en soit le prix, et il m’arrive de le payer plus qu’à mon tour, croyez-moi!) ni bouliers, ni jeux d’aucune sorte, ni ficelles d’un quelconque « métier », ni expériences ne valant que dans la clôture du laboratoire, ni l’évidence de contraintes (au sens oulipien, et même un peu au-delà, peut-être), ni forges, fussent-elles rougeoyantes…
« Sur quel intime foutoir l’oeuvre jette-t-elle son masque ravissant? De quelle noirceur fondatrice l’oeuvre doit-elle payer le prix? » Ces questions, Michon les a et se les est posées, et quiconque lit et écrit ne saurait qu’en faire autant…
Mais on n’a pas à y répondre, ni lui, ni moi, ni humain aucun, juché, comme nous tous, sur son « misérable petit tas de secrets », ni, surtout (je l’ai déjà dit, je sais, et le redirai autant de fois qu’il faudra!), ce « je« , qui « métamorphose le sujet en pure littérature et le délivre miraculeusement de l’individu qui le porte » (Le roi vient quand il veut)

 

 

La marque des très grands livres? Voilà ce qu’en pensent de la chose, et à propos de quelqu’un qui en a écrit quelques-uns, deux gars qui là-dessus en connaissent un rayon:
« Nous ne savons pas ce qui se passe dans ses livres, mais ce qui s’y passe est terrible. »
(Borges en parlant de Faulkner, cité par Michon dans « Le roi vient quand il veut »)
Cela ne vaut-il pas mieux, d’ailleurs?

 

 

Mathieu Brosseau

« Sottises, sottises! Cela ne m’intéresse plus! »
(phrase attribuée à Rimbaud par Germain Nouveau)

Dans un superbe et terrible texte paru sur son blog fin janvier 2012 (Cher ami…), Mathieu Brosseau ne dit pas vraiment autre chose – sur d’autres bases, bien sûr, avec d’autres présupposés et dans un tout autre contexte. Texte extraordinaire de lucidité, fouillant, éviscérant à l’Opinel les mensonges, illusions, fantasmes et hypocrisies du milieu, du « métier » et de l’époque, et Dieu sait s’il y en a…
Mais il y a des lieux, des territoires, des recoins où je ne le suivrai pas: certains, parce qu’à mon âge c’est trop loin et trop dur, d’autant que le risque est grand de finir par conforter, dans le meilleur des cas d’oblique manière, certaines des illusions auxquelles l’on voudrait par ailleurs tordre le cou – d’autres, parce qu’on ne peut pas, que l’on n’a nul besoin d’aller là où l’on se tient déjà, depuis toujours…

 

 

« Il ressemblait à tous les hommes, sauf en ceci qu’il ressemblait à tous les hommes »
(Carlyle à propos de Shakespeare)
En parlant du même, Borges disait qu’il était « tous les hommes et personne », ce qui n’est qu’une autre manière de l’énoncer…
De qui, dites-moi, aurait-on envie de dire la même chose, aujourd’hui?

 

 

« Je ne peux plus dire mon nom. Et je dois me défendre. Contre tout. Je m’agglomère aux gens du matin. Je ne sais que faire, quel chemin prendre. Chaque jour, je prends la forme d’un départ, il n’y a pas de préparatifs à faire. Je décide seulement. Je me lève de l’endroit où je me trouve, je traverse la ville dans toute sa largeur. J’arrive aux faubourgs. Je dois aller encore plus loin, le long des murs gris, des eaux glauques, des palissades noircies. J’ai pris l’habitude de vivre la nuit. Le début de la nuit m’apporte toujours une sorte d’étrange sérénité. J’ai l’impression de vivre une mort. Je dis fin, je dis que c’est fini, bien fini cette fois. Je ne dirai plus rien, je ne répèterai plus sans cesse. Je suis dans la pièce toute noire, toute sombre de cette nuit épaisse ; parce que je souhaite toujours cette épaisseur là mais rarement le monde. Elle pousse une porte. Il y a une lumière très faible quelque part. Elle monte. Je suis en bas. J’attends. C’est convenu. Puis je monte aussi. Je suis essoufflée, je crois. La porte est ouverte. Elle est sur le lit, en imperméable, les yeux fixes. Je la regarde. Il faut que je parte. Elle est morte. »
( Danielle Collobert)

 

 

Rien de plus beau que ces refus contradictoires et symbiotiques: celui (pour reprendre les termes de Steiner) de la création de se justifier ou s’expliquer, celui du potier de rendre des comptes à l’argile…

 

 

Rejoindre, par l’écriture, « l’instant où l’on s’appartient », jouissance à nulle autre pareille…

Mais, de toute façon, pour mille raisons et déraisons, celui qui a choisi le sentier escarpé, « qu’il soit loué d’avoir marché sans l’atteindre… » ( ou chevauché, qu’importe!)

 

 

Dans ses admirables dialogues avec Claire Parnet, Deleuze dit de la littérature américaine: « Tout y est départ, devenir, passage, saut, démon, rapport avec le dehors… »

https://www.youtube.com/watch?v=ZGGSTiDOjKU

Certes! Mais, à y regarder de plus près (et valant plus d’une fois):

départ: oui, mais vers où?;
devenir: oui, mais de qui et de quoi? ou alors immobile? (lui que le philosophe qualifie, somptueusement, de « géographique »…);
passage: oui, mais à travers quoi? et pourquoi? (alors que le « comment », lui, déborde, toujours en excès);
saut: oui, mais souvent de l’ange…;
rapport avec le dehors: oui, mais presque toujours oubli ou biffure du dedans…
Seul le démon nous convainc tout à fait – confirmation, mais nullement surprise..

https://www.youtube.com/watch?v=qVaEPx_VyXs

 

 

grisel Laurent Grisel

Il y a, s’agissant de littérature, des choses que l’on sait, ou que l’on croit savoir, depuis longtemps (depuis toujours peut-être…) Puis on les oublie, elles s’ensablent, se rident, se perdent dans la sereine grisaille des jours et des travaux, jusqu’à ce que, sans crier gare, sans que l’on sache ni pourquoi ni comment, au gré d’une lecture qui arrive à la « bonne heure », sienne et pas autre (mais pourquoi là? pourquoi ainsi?), elles reprennent vigueur et aisance, s’installent comme chez elles, tout autant aveuglantes que le nœud en vain serré, la saccade, le levier, la prouesse sans mesure qui leur furent (mais par qui?) une fois pour toutes confiés… Je n’en parle point par hasard et sans raison, cela m’arriva ce matin même, j’étais plongé dans la lecture de quelques admirables textes de Laurent Grisel (quelques-uns engagés dans le meilleurs sens du terme), il y eut un instant comme dilaté, sans bornes, et je sus à nouveau que la seule mesure de toute littérature digne de ce nom, ce n’est rien d’autre que sa capacité, comme le disait somptueusement Tabucchi, à « nous faire faire un voyage circulaire au terme duquel nous arrivons peut-être à être vraiment face à nous-mêmes. Sans savoir qui nous sommes. »

tabucchi Antonio Tabucchi

 

 

Puis l’éclair vint. Il vit la fleur comme l’aïeul au jardin primordial et pressentit que c’est dans sa durée qu’elle persévérait, non dans ses mots, qu’il était peut-être permis d’évoquer et de nommer, jamais d’exprimer et que les tomes hautains qui formaient dans la bibliothèque une lente pénombre dorée n’étaient pas (comme il plut parfois à l’orgueil de qui lit et écrit de l’imaginer) reflet du monde, mais à peine rajout, excroissance, surplus rivé à l’étrave tarie, mais qui toujours devine
(par – et avec – Borges)

 

 

« …je finirai seul, sur une île, une villa blanche devant la mer, attendant la mort. La seule solution serait de voir mes poèmes publiés, et de connaïtre un succès modeste.
[*] Les poètes ne sont plus des héros lus par des centaines de lecteurs passionnés. Une autre solution serait d’écrire des romans, mais les vrais poètes n’en écrivent guère. »
( Antoni Casas Ros: Enigma)
Je précise bien que je laisse à Casas Ros l’entière responsabilité de propos qui ne m’engagent que par l’écho qu’ils éveillent en moi, lointain, transhumant, sans poids ni adhérence (sauf pour ce qui est de la toute dernière phrase, que je fais entièrement mienne…)

 

 

« Je crois que je comprendrais cela mieux, dit Alice très poliment, si je le voyais écrit. »
(Lewis Carroll: Les aventures d’Alice au pays des merveilles)
Ainsi en fut-il pour moi, toujours, depuis le tout début: à la fois un « don » – mais de qui? pourquoi? – et une malédiction, une terrible malédiction…

 

 

« Bientôt je pus montrer quelques esquisses. Personne n’y comprit rien. Même ceux qui furent favorables à ma perception des vérités [*] me félicitèrent de les avoir découvertes au microscope, quand je m’étais au contraire servi d’un télescope pour apercevoir des choses, très petites en effet, mais parce qu’elles étaient situées à une grande distance, et qui étaient chacune un monde. Là où je cherchais de grandes lois, on m’appelait fouilleur de détails »
(Marcel Proust)

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