« Perché, luce, ti ritrai da me nelle cose guardate e più addentro ancora nelle altre non vedute? Chiusa la storia, cancellata la persona, perso o vinto l’agone? »
(Mario Luzi)
« C’était un homme qui tenait le buste ostensiblement droit, qui pratiquait le mutisme et qui buvait beaucoup. »
(Faulkner brossant de fait son autoportrait)
Pas d’autres questions, Votre Honneur, tout est dit…
« Je mets un tableau sur le mur. Ensuite, j’oublie qu’il y a un mur. je ne sais plus ce qu’il y a derrière ce mur, je ne sais plus qu’il y a un mur, je ne sais plus que ce mur est un mur, je ne sais plus ce que c’est qu’un mur. Je ne sais plus que dans mon appartement, il y a des murs, et que s’il n y avait pas de murs, il n’y aurait pas d’appartement. Le mur n’est plus ce qui délimite et définit le lieu où je vis, ce qui le sépare des autres lieus ou les autres vivent, il n’est plus qu’un support pour le tableau. Mais j’oublie aussi le tableau. Je ne le regarde plus, je ne sais plus le regarder. J’ai mis le tableau sur le mur pour oublier qu’il y avait un mur, mais en oubliant le mur, j’oublie aussi le tableau.[…] Les tableaux effacent les murs. Mais les murs tuent les tableaux … »
(Georges Perec)
Comme il nous manque, celui-là, comme il nous manque!
Après avoir à regret refermé « Providence » de Juan Francisco Ferré, et relu dans la foulée la (tout de même plus transgressive, enivrante, époustouflante) « Vitesse des choses » de Rodrigo Fresán, une seule et même réflexion: combien « profonde » puisse-t-elle être, la surface ne sait que persévérer en ce qu’elle est, fièrement, désespérément…Nul paradoxe, c’est comme s’il manquait à ces chaos brillamment maîtrisés et portés par une écriture souple, déliée, jubilatoire, un souffle, une dimension cachée qui nous ramènent à Bolaño. Lequel était, bien entendu, plus que tout autre conscient de l’éclipse des idéologies et de l’effondrement des « grands récits« , mais nourrissait, par-delà l’impitoyable lucidité que était la sienne, une sorte d’indéfinissable regret, souvent présent (en tout point pareil à celui de l’athée Beckett s’écriant à propos de Dieu: « Il n’existe pas, le salaud! ») – comme si la totale absence d’illusions ne le satisfaisait pas pleinement, le troublait même, d’où la permanence des interrogations (sur ce que vaut la quête de la connaissance en vue de possibles transformations, sur ce que seraient la nature du Mal et la place de la jouissance, sans oublier l’inlassable questionnement portant – le monde étant ce qu’il est et les hommes ce qu’ils sont – sur les notions de pacte et de pari) lesquelles hantent et irriguent d’un bout à l’autre son oeuvre.
Le moins que je puisse dire, c’est que je ne les ai pas du tout retrouvées chez les flamboyants auteurs que j’évoquais en début d’article, et que cela ne me semble pas être le fruit du hasard, et bien moins encore d’une quelconque inconsistance…
Est-ce parce que toutes les possibles réponses ont déjà été données? Ou est-ce plutôt parce que les questions seraient en elles-mêmes inutiles, car toutes les réponses se valent? Inacceptables visions – en tout cas pour moi – dans un cas comme dans l’autre…
(janvier 2012)
S’il y a un truc qui vous gratte, qui vous gêne sans que vous compreniez pourquoi, demandez à Perros, il vous expliquera:
« Je n’ai jamais entendu un pêcheur dire qu’il aimait la mer. » (Papiers collés III)
Ben, voilà pourquoi j’ai jamais trop prisé les poètes qui passent leur temps à vous expliquer ce qu’ils font, et comment, et pourquoi, et combien ils adorent ça…
« Mais le monde est rond, c’est une piste, un carrousel, une guirlande, il n’invente rien et nous oblige à tout renommer, tout oublier [*]
Vieillissons-nous? Sommes-nous sujets au vertige, aux écarts de langage, à la dégradation des idéaux? Prenons-nous des décisions que nous regrettons, des coups que nous rendons? Avons-nous peur du vent, des bêtes obscures, des rires cachés sous les pierres?
Non. »
(Claro)
Quelle que soit la réponse que l’on aura envie de donner en fonction de l’heure et des circonstances (un « oui » valant sans doute le « non » du texte), ces lignes ne sont pas seulement âprement belles, mais peut-être vraies – pour autant que ce mot ait un sens s’agissant de littérature…
« Mais j’aime le jeu qui consiste à se promener et à parler avec les morts qui sourient, silencieux et libres, libres entièrement et pour toujours. »
(Katherine Mansfield)
C’est ce qu’il m’est arrivé de faire à Buenos Aires – et ailleurs – plus d’une fois…
« Je sais maintenant que la proximité n’existe pas. Il y a toujours quelqu’un qui a les yeux fermés. On voit lorsque l’autre ne voit pas. »
(Roberto Bolaño: Un petit roman lumpen)
Il y des années durant, des gens que j’aime bien et qui me le rendent, mais à leur façon (mais je me trompe peut-être, qui sait? – si ça se trouve, pas même eux…) ont couvert, souvent dans de grands élans éthyliques, certains de mes écrits d’adjectifs et épithètes flatteurs à en faire rosir un sergent de paras, tout en ajoutant que la priorité des priorités était toutefois de « me faire connaître »…
Autant interloqué la première que la nième fois, je faisais toujours respectueusement remarquer que, de mon temps, il arrivait qu’en écrivant convenablement l’on ait quelques chances d’être, d’une manière ou d’une autre, « publié » et, avec un petit coup de pouce du hasard, du destin, voire des dieux, d’être un peu connu, alors que, les choses ayant apparemment bien changé, il fallait maintenant – chose étrange pour le Béotien que j’étais, et peut-être pas que pour lui – se faire d’abord connaître pour espérer l’être (l’éventuelle ou supposée magnificence des oeuvres n’entrant, à l’évidence, et dans bien de cas, que fort modestement en ligne de compte…)
Nous en restions le plus souvent là, quelque part entre nulle part et partout, jamais et toujours, comme souvent lorsque écrivains et littérateurs (l’ordre des facteurs important peu) se rencontrent…
Les conseils étant néanmoins des meilleurs, je mis à profit les quelques années écoulées pour réfléchir aux moyens les plus efficaces d’enfin aboutir à cette visibilité qui tant me fait défaut; pour y en avoir, il y en a, l’on n’est embarrassé que par le choix:
1) révolvériser Houellebecq en direct lors de la remise d’un des innombrables prix que son éminente contribution à l’éclat de nos belles-lettres ne manquera pas de lui faire valoir également à l’avenir, en espérant ne pas avoir à attendre le Grand Prix, comme on dit en Formule 1, que notre glorieuse Académie se fera un devoir de lui décerner pour « l’ensemble de son oeuvre »;
2) parcourir au triple galop et tout nu les Champs-Elysées, une plume tricolore plantée au derrière, au cri de « Vive la République! Vive la France! Vive Cheminade! » (ou Nathalie Arthaud, car je ne suis ni sectaire ni misogyne…);
3) aller formaliser mon adhésion au FN vêtu de l’une des quelques burqas soigneusement rangées dans mon armoire à glaces;
4) écrire l’article que tout le monde attend et dans lequel j’affirmerai, sans l’ombre d’une preuve, mais sur la base d’un lumineux faisceau de présomptions, que Mélenchon est stipendié à la fois par le Hamas, la CIA, les services secrets sionistes et le Parti du Travail de Corée du Nord, sorte de record absolu et preuve, s’il en est et, surtout, s’il en fallait, d’immenses qualités à l’égal, hélas, d’une fourberie et d’un manque de principes du même acabit, comme dirait mister F.O.G (mais pas Phileas) qui en connaît, tout le monde est au parfum, un rayon là-dessus…
Mais je sais aujourd’hui que je n’en ferai rien et que je resterai invisible, sauf de celles et ceux pour lesquels ce n’était pas tout vu, mais à qui dix lignes suffirent pour tout voir – mes tant semblables frères…
(printemps 2012)
http://www.youtube.com/watch?v=-IFPBq4-AYA
« Le monde est flou. Je ne le vois que quand j’écris. »
(Pierre Michon)
Que dire d’autre?
« Aujourd’hui tout le monde se tutoie, tu l’auras remarqué, c’est une manière hâtive et faussement confidentielle. Moi ça ne me plaît pas, car c’est irrespectueux…Je crois que quand deux personnes s’estiment elles doivent se vouvoyer, c’est une forme qui signifie civilité et respect de l’autre. Et puis cela marque cette distance nécessaire à se faire comprendre l’un de l’autre que même si nous nous connaissons bien, fût-ce de manière intime, en toute connaissance de nos secrets respectifs, nous faisons semblant du contraire, que nous ne savons pas certaines choses, et nous le faisons pour que l’autre se sente plus à l’aise, comme quand quelqu’un t’a confié une chose importante qu’il ne dirait à personne, mais toi tu avais l’air un peu distrait, ce n’est pas ça bien sûr, tu l’as écouté avec beaucoup d’attention, mais…voilà, c’est comme si tu n’y pensais déjà plus, tu as mis cette chose dans un petit coffre secret de ton coeur et tu l’as fermé à clef…Maintenant qu’est arrivé le moment de se saluer, je voudrais te vouvoyer en prenant congé. Je suis certain que tu peux le comprendre, ce n’est pas un détail sans importance…y compris pour ce que tu devras écrire sur moi. Tu es d’accord? »
( Antonio Tabucchi: Tristano meurt)