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Archive for février 2015

m 2

« Il est question avant tout de partir, comme Baudelaire le savait bien. Il s’agit de voyages très incertains, de départs tellement départs qu’aucune arrivée ne pourra jamais les démentir… »
(Julien Gracq)

m 3

 

Il est des morts choisies qui ne sont ni cri (étouffé, de protestation, strident, de révolte, que sais-je?), ni refus de subir plus longtemps la souffrance physique ou psychique, ni ferme et sage adhésion à des formes de penser issues, qui de Grèce, qui de l’Orient lointain, qui les acceptent et les rendent sereines, ni fuite (en avant, mais loin, très loin!) à l’heure d’affronter perte et rejet au sens le plus terriblement plein que ces mots peuvent revêtir, mais pure impossibilité de tout recommencer, ici et maintenant, dans cette vie et sur cette Terre, puisqu’il n’y a plus d’oubli qui laisse la mémoire faire croire aux fictions du passé, plus de mémoire qui fasse l’oubli bâtir et irriguer celles du présent, puisque tout, absolument, se fit et dit tel que jamais il ne pourra mieux se dire et se faire, puisque l’horizon n’est plus qu’au répété et au semblable, puisqu’il n’y a que le geste ultime, en ce qui le parachève et l’efface, qui saura préserver ce qui fut…
L’une des raisons (il en est d’autres, à coup sûr) qui m’ont toujours tenu éloigné de Camus, c’est que je ne suis jamais arrivé à imaginer Sisyphe heureux. Certains suicidés, si. Et si les mots ont un sens (celui qu’on leur donne, pas celui des dictionnaires), de départs il y en aura d’autres, je le sais, bien d’autres…
(2015)

 

m 4

« Qui admet l’idée du commencement doit aussi admettre celle de la fin; quant à l’oubli du passé, nécessaire à tout vrai recommencement, il est exclusif de toute préfiguration du futur. Et la nécessité de cette incertitude fondamentale explique peut-être que la mort elle-même, au terme d’un renversement attesté dans toutes les cultures, puisse être conçue comme un recommencement. »
(Marc Augé)
Et cela, pour celui qui se refuse de croire aux transcendances révélées, est encore plus vrai s’agissant d’une mort (directement ou indirectement) choisie…

m 1

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jlb

« Decirse adiós es negar la separación, es decir: Hoy jugamos a separarnos pero nos veremos mañana. Los hombres inventaron el adiós porque se saben de algún modo inmortales, aunque se juzguen contingentes y efímeros. »

« Se dire adieu, c’est nier la séparation, c’est dire: on joue à prendre congé aujourd’hui, mais on se retrouvera demain. Les hommes inventèrent l’adieu parce qu’ils se sentent quelque part immortels, bien que s’éprouvant contingents et éphémères. »

(Jorge Luis Borges – traduction: André Rougier)

a r

 

 

Le simple, que l’ambition n’étouffe pas, prend tout son temps pour voir le monde, l’entendre, le toucher. Rester assis deux heures sans bouger presque ne lui fait pas peur. Si on lui demande pourquoi il gaspille sa vie comme ça, à ne rien faire, il répond: « Et comment que je suis en train d’en faire, des choses! Je suis en train de penser. »

(Clarice Lispector – traduction André Rougier)

 

 

« Un jour, peut-être, lirez-vous ce message. Ou pas. Puisque tout sera déjà consommé, cela n’aura de toute façon plus d’importance. Car si la vie pouvait être autre qu’elle ne fut, elle en viendrait à effacer le temps, la succession des causes et des effets qui sont sa trame même, et cela ne se peut. Et mes cartes ne peuvent changer ce qui, se devant d’être, a déjà eu lieu. »

(Antonio Tabucchi – traduction: André Rougier)

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LE LECTEUR DE SÃO LUIS

Il y en a qui ne lisent
qu’à la loupe
mains gantées
sous la pleine lune.

Il y en a qui ne relisent
que de droite à gauche
comme si c’était le livre des sirènes.

Il y en a qui lisent pour
la troisième fois
couchés sur le ventre
et se muent
en clefs de porte
de prison.

Il y en a qui désapprennent
à lire et cèdent:
mais les livres et les femmes ce n’est que
dans un hamac
qu’on les déchiffre.

(traduction: André Rougier)

 

 

ODE A SOMBRA

1.
Caixa preta em que estão registrados
os simbolos da morte e renascimento,
o caminho oculto da luz e da treva,
a mitologia do caos
e a biografia secreta da vida,
aqui estou cumprindo o dever
de aplacar a colera dos deuses,
deixar a minha oferenda a ti:

dou-te o meu ego
e a ilusão do mundo.

2.
Como te chamas:
inconsciente, karma, destino?
Eis, aqui,
na alfombra do jardim interno
teu procurador e mensageiro:
a propria sombra.

3.
(retrato falado da sombra)
esta em todo lugar
ceu terra rio mar

em ohio e istambul
no boulevar saint-germain
no trem bala para tokio
ou nas muralhas da china

centenas de passaportes
varios rostos / cem nomes

 

ODE A L’OMBRE

1.
Boîte noire qui renferme
les symboles de mort et renaissance
l’occulte chemin de la
lumière et des ténèbres
la mythologie du chaos et
la secrète biographie
de la vie
j’y suis et accomplis
le devoir d’apaiser
l’ire des dieux
je m’y tiens
pour t’offrir mon offrande:
mon moi je t’en fais
présent tout comme
de
l’illusion du monde.

2.
Quel est ton nom:
inconscient, karma, destin?
Le voici, ici-même, sur l’immense
tapis du jardin du dedans
ton mandataire et messager:
l’ombre même.

3.
( portrait-robot de l’ombre)
elle est partout
ciel terre mer rivière

dans l’ohio à istanbul
sur le boulevard saint-germain
dans le tgv vers tokyo
ou sur les murailles de chine

passeports par centaines
visages divers/cent noms

 

A MANCHA DE OLEO

1
Garça
Garça
Passeando altiva no cais do porto
Delicada e aérea pousa
entre
restos de peixe podre, dejetos,
latas de lixo, toneis de querosene.

O que faz ali?
Desfila?

Posa
como a um fotografo de moda
para uma revista feminina

 

LA TACHE D’HUILE

1.
Héron
Héron
Altier promeneur du port
Aérien délicat se pose
entre
restes de poisson pourri, détritus,
poubelles, barils de kérosène.

Que fait-il là?
Défile-t-il?

Il pose
comme pour le photographe de mode
d’une revue féminine

 

O ESTRANHO CAMINHO DA POESIA

Um lance de dados
não abolira o acaso

Um lance do acaso
não abolira Deus

Acaso: jogo infinito das causas
constelação dos efeitos

O poeta joga seus dados
no acaso das estrelas

 

L’ETRANGE CHEMIN DE LA POESIE

Un coup de dés
n’abolira pas le hasard

Un coup du hasard
n’abolira pas Dieu

Hasard: infini jeu des causes
constellation d’effets

Le poète lance ses dés
au hasard des étoiles

(traduction André Rougier)

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Là-bas, à deux degrés sous l’Équateur, le São Luis de Nauro, où je passai, parfois en sa compagnie, quelques-unes des années les plus pleines de ma vie…

 

RIDEAU

Accomplie soit la vie du poète qui,
dépourvu de clefs, toujours trouve
la porte close – ou ne la trouve même pas
et rentre les yeux morts par l’autre route
des choses rendues au désespoir des formes.

(« Cortina », dans « A antibiótica nomenclatura do inferno » – traduction: André Rougier)

 

 

nauro
TRAGEDIA ( du recueil « NECESSIDADE DO DIVINO » – 1967)

A grande aventura do poeta
consiste em seu tão pequeno rio
a voltar para imensa fonte dele.

TRAGÉDIE

La grande aventure du poète
est bien de faire rentrer le sien
ruisseau en son immense source.

 

JOGO DE DADOS (du recueil « AS PARREIRAS DE DEUS » – 1975)

Entre a opção e a fatalidade,
concedeste-me, o destino,
aquilo que não busquei.
Resta o designio dos deuses.

JEUX DE DÉS

Entre choix et nécessité
accorde-moi, ô destin,
ce que point ne cherchais.
Le dessein des dieux, lui,
demeure.

 

São Luis (Maranhão), Brésil

 

PENA CAPITAL ( du recueil « O CALCANHAR DO HUMANO » – 1981)

A morte dos olhos,
a morte da boca,
sem papel carbono e sem duplicata.

Só uma e minha morte
a que apagará
na água intransferível
a alma e a anatomia.

PEINE CAPITALE

Mort des yeux,
mort de la bouche
sans papier carbone,
sans duplicata:

mort à peine, une et mienne,
celle qui effacera
dans l’onde sans reflet
l’âme et l’anatomie.

(traduction: André Rougier)

 

 

CHANSON DU FRAGILE
À Antônio Gonçalves Dias

pleure ô mon fils
pleure car la vie n’est
que lutte acharnée
sanglante
vivre c’est pleurer

la vie est combat
que les forts
abat mais qui ne fait
qu’affermir les faibles
les fragiles

(da « Antologia poética » – traduction: André Rougier)

 

 

Praça Nauro Machado, São Luis (MA), Brésil

 

BISTOURI

Lorsque j’écris, quelque
chose en moi soupèse un monde
à délivrer des maux:
infirme douleur du dessous
depuis le tout début 
qui me fit naître
de l’orgasme et cicatrices du langage.

(traduction: André Rougier)

 

 

LE MONSTRE

L’alphabet ne rend personne heureux.
Les lettres ne savent rien de l’infini.
Dormir avec les chèvres c’est bien mieux,
aveugle des deux yeux,
en s’abreuvant aux seins de la rivière.

(traduction: André Rougier)

 

 

Ser poeta é duro e dura
e consome toda
uma existência.

Être poète, c’est dur, et dure,
brûle et avale toute
l’existence.

(traduction: André Rougier)

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« A terra é feita de céu.
A mentira não tem ninho.
Nunca ninguém se perdeu.
Tudo é verdade e caminho »

« Ciel ou terre, même matière.
Le mensonge n’a point de nid.
Nul ne se perdit, jamais.
Tout est chemin et vérité. »

(traduction André Rougier)

 

 

« Não sou do tamanho da minha altura, mas da estatura daquilo que posso ver »

« Ma mesure n’est pas ma taille, mais les hauteurs que ma vue peut embrasser »

(traduction André Rougier)

 

 

Leio como quem abdica. E, como a coroa e o manto régios nunca são tão grandes como quando o Rei que parte os deixa no chão, deponho sobre os mosaicos das antecâmaras todos os meus triunfais do tédio e do sonho, e subo a escadaria com a única nobreza de ver.
Leio como quem passa. E é nos clássicos, nos calmos, nos que, se sofrem, o não dizem, que me sinto sagrado transeunte, ungido peregrino, contemplador sem razão do mundo sem propósito, Príncipe do Grande Exílio, que deu, partindo-se, ao último mendigo, a esmola extrema da sua desolação.

FRAGMENT 55 (extrait)

Je lis comme qui abdique. Et, comme la couronne et cape royales ne sont jamais aussi grandes que lorsque le Roi les jette par terre en s’en allant, je dépose sur les mosaïques de toutes les antichambres mes triomphes faits d’ennui et de songe, gravis les marches fort de la seule noblesse du regard.
Je lis comme qui est de passage. Car c’est chez les classiques, les paisibles, chez ceux qui, s’ils leur arrive de souffrir, n’en parlent pas, que je m’éprouve flâneur sacré, oint pélerin contemplant sans raison le monde sans but, Prince du Grand Exil qui, se brisant, offre au dernier mendiant l’extrême aumône de sa désolation.

(du « Livro do desassossego » – traduction: André Rougier)

 

 

« Alguns têm na vida um grande sonho e faltam a esse sonho. Outros não têm na vida nenhum sonho, e faltam a esse também. »

« D’aucuns ont dans la vie un grand rêve qu’ils n’atteignent ou trahissent. D’autres n’en ont aucun, qu’ils n’accomplissent pas davantage. »
(traduction: André Rougier)

 

 

Se depois de eu morrer, quiserem escrever a minha biografia,
Não há nada mais simples
Tem só duas datas — a da minha nascença e a da minha morte.
Entre uma e outra cousa todos os dias são meus.

Si, après ma mort, l’on voulait écrire
ma biographie, rien de plus simple.
Deux dates à peine: ma naissance, mon trépas.
Entre les deux nuits et jours m’appartiennent.
(Alberto CAEIRO – traduction : André Rougier)

[Note de novembre 2013: ceux qui comprendront que c’est également vrai en ce qui concerne le traducteur auront TOUT compris…]

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