« Agir sans but ni profit est la bonne attitude. »
(Dōgen Kigen )
« Si le problème a une solution il ne sert à rien de s’inquiéter, mais s’il n’y a pas de solution, s’inquiéter ne changera rien. »
(Bouddha)
À Isabelle Pariente-Butterlin
À la question « ce qui est sans but est-il vain? », j’aurais envie avant tout de répondre que l’association « but/ vanité » n’a de sens que si le temps est cru, voulu et perçu comme étant linéaire, affecté d’un commencement (« événement fondateur ») et d’une fin, impliquant donc un avant et un après, une évolution (le plus souvent conçue comme progression) et une eschatologie.
Dans l’univers des sociétés traditionnelles, où les travaux et les jours sont marqués par l’immuable ou le répétitif (qu’il s’agisse de la cosmogonie, des saisons, des éléments), rien n’est vain ni ne saurait l’être, soit parce que tout a un sens et tend vers un but (avoué ou caché, assumé ou secret), soit parce qu’un inflexible destin entraîne et prédétermine le devenir des êtres et les choses – le fait de l’accepter libérant ceux qui s’y plient du poids des choix et de l’avenir, pointant par là même la vanité de toutes visées pour ceux dont la philosophie de vie les conduit à se soustraire précisément à leur tyrannie (les lignes que Mircea Eliade a consacrées à ce sujet restent décisives)
Il en va (presque) de même de l’Orient extrême tel qu’incarné dans le bouddhisme. En effet, pour le Shakyamûni, c’est précisément l’attachement à un but (lequel implique qu’il y ait, nécessairement, attente, désir et espérance)) qui fait que l’on souffre. Qu’il y ait un but n’est en soi ni bon ni mauvais: ce qui mène à la souffrance, ce sont les agissements visant à y parvenir et le refus de s’en dessaisir.
L’illusion que tout but (quelle qu’en puisse être la nature et la structure) immanquablement enchâsse, c’est précisément celle consistant à imputer à l’objectif à atteindre (et ce, au sens le plus large du mot) la capacité de combler le manque qui y est toujours sous-jacent (ce qui implique que l’on se condamne à indéfiniment rester sur la Roue sans jamais tenter de s’en échapper)
Il est dès lors tout à fait loisible pour qui adhère à cette philosophie de se demander s’il est tout simplement envisageable d’affecter à nos actions une quelconque « valeur » dans la mesure où ce qu’elles tendent à accomplir, produire ou modifier est de toute façon condamné à éternellement disparaître et réapparaître…
Les Grecs étant ensuite passés par là (dans le plein et meilleur sens du terme, qu’il s’agisse des présocratiques, des épicuriens ou des stoïciens), mon idée de la plénitude s’est radicalement détachée tant de celle prônée par les trois religions monothéistes que de celle liée à la « circularité » (qu’on l’accepte ou que l’on veille s’y soustraire) à laquelle nous revoient les pensées « premières » ou orientales (avec lesquelles, il me faut le souligner avec la plus grande force, « l’Éternel Retour du Même » n’a, en dépit des apparences, que de lointains rapports – qu’il nous suffise d’écouter avec l’attention requise le Nietzsche des « Fragments posthumes »: « Voilà mon monde dionysiaque qui se crée et se détruit éternellement lui-même, ce monde mystérieux des voluptés doubles, [*] sans but, à moins que la joie d’avoir accompli le cercle n’en renferme un sans le vouloir. »)
Il en vient qu’en ce qui me concerne, la plénitude n’est en rien une disposition ou un état, et pas davantage (encore moins, dirais-je!) une chose qui se peut simplement rencontrer, atteindre ou posséder – puisqu’elle ne tient pas de l' »avoir », qu’il ne s’agit ni d’une situation, ni d’une ontologie, ni un d’objet, ni d’un concept, mais d’un ACTE qui, quel qu’en soit le résultat, ne dépend que de nous et n’est en rien détaché des buts et fins qu’il se propose – ce qui m’a rapproché, de manière décisive et, à coup sûr, définitive, de la seule eschatologie conciliant la linéarité des temps et de l’Histoire avec les fécondes tensions et contradictions dialectiques pouvant ici et là les remettre en cause, à savoir l’eschatologie marxiste…
« Une marchandise paraît au premier coup d’oeil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c’est une chose très complexe, pleine de subtilité métaphysique et d’arguties théologiques. »
(Karl Marx)
« Ce n’est pas la conscience qui détermine la vie, mais la vie qui détermine la conscience. »
(Karl Marx)
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