À François Girard
Il faisait beau avant-hier, une vraie journée de printemps, Je me promenais paisiblement dans le Jardin des Plantes et puis tout d’un coup, sans que je sache comment ni, surtout, pourquoi, me vint à l’esprit l’épimeleia tou thanaton , cet art de penser à la mort que Platon nous laissa, comme tant d’autres concepts, en bel et sévère héritage (peut-être – qui sait? – d’avoir, un peu sans m’en apercevoir, atteint cet âge où il n’y a plus que le passé à venir, et d’avenir que ce que la mort se charge d’effacer, d’oblitérer, d’emporter, elle qui comme par mégarde se joue de ce corps qu’elle mue en chose inerte que d’autres manipuleront, dissèqueront, interrogeront sans ménagement…)
De la mort obliquement ou fièrement choisie, il n’y pour moi rien qui se puisse dire « avant », car elle tient, plus que tout, de l’événement (en forçant un peu le sens badiousien du mot), à savoir ce qui advient et ne saurait se répéter, singularité sans retour, exception sans faille, à la fois clôture absolue et source de ce qui va « perdurer » (mais comment? au nom de quoi? pour qui?), seule vérité, peut-être, à laquelle ceux qui restent pourront accéder, et qu’inlassablement ils fouilleront sans jamais en dissiper les angles d’ombre…
Je me souviens de la première fois où j’ai écouté l’enregistrement (grésillant et ô combien émouvant) de plusieurs poèmes (« Lady Lazarus » et d’autres) lus par Sylvia Plath elle-même, de cette voix claire et lisse, sans cri au secours, sans hystérie aucune, évoquant posément cette espèce de rite initiatique renouvelé, donnant droit – à qui il est donné de pouvoir continuer – d’encore plus pleinement vivre et écrire, appréhendant l’approche de la fin comme une manière de l’exorciser à peine, une activité risquée, certes, mais à laquelle l’on peut survivre. Rien à voir, non, vraiment rien, avec la plongée visant, non pas la mort, mais le « non-être », pour reprendre les termes d’Artaud – rien à voir non plus avec le désespoir de Pavese, l’ennui sans issue rendant dérisoire jusqu’au saut dans le noir dont Rigaut, dandy lucide et preux de l’inutile, affichait dès longtemps la venue qu’il promenait fièrement « à la boutonnière » ou le tourment alcoolisé d’un Lowry ou d’un Fauser – rien, surtout, avec la vaine gloriole d’un geste s’éprouvant à tort inaugural, d’un achèvement se voulant sans jamais en être ce renouveau apte à briser les barreaux que la vie érige pour protéger le côté « prison et poison » qu’il arrive au temps de revêtir, ce dépouillement se rêvant réappropriation et apaisement, lesquels ne sont, même pour les sincères, que grandiloquente illusion, et ne peuvent être que cela, jamais autre chose, tant il est vrai qu’il n’y a pas à proprement parler de « temps retrouvé » – ni pour eux, ni pour moi, ni pour personne…
Jacques Rigaut
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