Déambuler le long de ces quais qui n’en finissent plus, outrepasser le visible, l’équivoque immanence du réel, étendues closes, lisses filons d’enfance…
Rien d’autre à y voir, sinon la vigie qui se dérobe, émerge et cache, se dévoile, disparaît, glisse et renverse leurs escouades ciblées, leurs bêtes de somme, leurs histoires fuyantes forçant en vain l’énigme, les pavés hérissés tournant autour de ses griffes à elle – tes ancres…
Voir, c’est dévorer, jouer avec le feu qui tranche, enchaine, défait la syntaxe des temps, bâtit le théâtre des détails têtus et des mauvais augures: heurt d’outils, de legs, de contrebandes, silence indu des choses, survie à soi-même, mesure de cet Autre fatigué de tant savoir et ne rien détourner, absence qui t’appelle, te soutient, tourne autour de tes seules retraites, ne t’engloutit qu’à son insu, efface tes futures dettes…
Nul ne sut mieux que le Cortázar des « Fils de la vierge » évoquer la souillure à venir, présage où le voleur d’image, bien qu’innocent, finit par se perdre, se défaire enfin du son, puisqu’il n’y a que le silence qui aille à cette lumière gelée, morcelée, comme en trop, à cette malfaçon en vain déclinée, à l’élan rabougri, étouffé, voué à l’obscène, aux crissements du sens, aux lourds dénis, aux mises à mort de la distance, trace prélevée sur un réel d’où le « monde » a comme disparu, sauf la chute entrevue, mais contre laquelle l’on ne peut rien…
Combien plus sec, plus pauvre, plus pesant apparaît à côté le « Blow up » d’Antonioni (qui s’en inspire pourtant) lequel se contente de montrer le crime caché, s’affranchissant par là-même du subtil défi hors duquel il n’y a pas de récit qui vaille…
Quelle est cette perte qui ne t’abrite en ses estuaires et ses débordements que pour mieux te piéger, te démâter, t’enrober, t’assourdir, durée muée en corps mort (poids, renvoi, dédale fidèle), promiscuité engourdissant tous secrets (fors celui de Polichinelle): déchirures, bouche-trous, esclaves sans maître forgeant l’« aveu scellé de sa vaine puissance » (Jabès) qui s’acharne à situer, débusquer, faire en tes domaines du porte à porte, frôler de tes pantins la marche docile…