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Archive for janvier 2016

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De retour là où jadis tu te tins te maudissant d’y être, penser contre ceux qui font croire en ce qui s’avoue prodige, lest, devoir ou gage, foulées inabouties allant du Réel vain au fiel de la parole.

Fumées accoucheuses, ombres nouées glissant entre dénis et preuves, épuisant jusqu’au qui t’aide à ériger l’ébauche levant au plein silence.

Tien deuil, ni bâti ni deviné, qui submerge, retend, déjoue les pièges du Lieu, ce que ton geste présume, ses contre-feux, ses apanages, ses loyautés empoignables déchirant d’un seul coup l’image et l’illusion, l’abandon harassé par le roc sourd, la lanière qui délivre, les ruses karstiques du continu…
(Paris, le 31 janvier 2016)

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« Dis-moi quels sont les livres qui t’emballent, te scrutent, te lèvent, t’assaillent, te déboulonnent, te veillent, te déchirent, t’accroissent – et je te dirai qui tu es. »
Je l’ai toujours pensé, je le pense plus que jamais, sûr de n’avoir nullement à rougir de ceux qui m’accompagnent dans mon périple brésilien: « Soleil gasoil » de Sébastien Ménard, « L’élargissement du poème » de Jean-Christophe Bailly, « Crash-test » de Claro, « Extraterritorialité (essai sur la littérature et la révolution du langage) » de George Steiner, « Danube » de Claudio Magris et « Les longs silences » de Cécile Portier.

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« Un temps long avait passé, aussi peu racontable que l’oubli. Vous le savez: n’existe que ce qu’on dit. Ni vous ni moi ni personne n’existons sans réciter notre existence; même au quotidien; il faut se raconter pour naître; même une chose il faut la relater pour qu’elle ait lieu. »
(Michel Serres)

Et cela est vrai de tous les écrivains, TOUS, sans exception, qu’ils en soient conscients ou non, qu’ils l’admettent et l’acceptent ou non, que ce soit par des voies obliques et détournées ou en le revendiquant ouvertement, c’est ce qu’ils  font, tous, et ne font QUE cela, même et surtout lorsqu’ils semblent s’accomplir dans l’ailleurs et parler d’autre chose…

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Lorsque chez toi l’espoir de temps dignes d’êtres vécus s’en est allé, raclé jusqu’à l’os, rongé jusqu’à la moelle, c’est auprès de ces êtres âpres, drus, clairs et joyeux que sont les « sans-terre » brésiliens que tu le retrouves,  eux dont tu te sens aussi proche que de ton sang,  eux qui le raniment à chaque instant, le portent, en vivent, te le font revivre…

« Si tu n’espères pas l’inespéré, tu ne le trouveras pas. » (Héraclite)
(Brasilia, janvier 2016)

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Souffle bu à même ta peau, je me penche  vers la houle concave, frémissement à peine, à l’angle de la pièce rouge les chiens veillent, cils agrippés aux pointes durcies, les cuisses déferlent, tu goûtes au fruit dès longtemps entêté, je t’accomplis avec les gestes qui m’effacent, ta paume s’égare dans la lumière stridente, la chance à chaque secousse tient sa vengeance, tu plies maintenant, guerrière, dispersion, ciguë, je crie du fond du buisson humide, les visages sans traits se lacèrent, je te devine, bordée, rumeur, te porte, te dissimule, te remplis, envol tremblé, désordre des fissures, je te prends comme jamais, me joue de tes dons, de tes feintes, j’ai gagné, l’aube fume, inlassable, je m’incurve dans la torpeur neuve, je suis seul, intouchable, te revis, te suis, t’épelle…
Et puis sous l’horizon recomposé j’avance, dans l’intimité sans soumission du jour où je te perds j’avance, poignard à la hanche vers toi comme vers l’odeur salée j’avance, vers la défaite devinée j’avance, me jouant de tes visages furtifs j’avance, sans compter, sans oublier j’avance, traînée d’écumes et de poursuites j’avance – pour qu’après, bien après, tu reviennes me noyer et renouer le pacte

(Paris, juin 1975)

De ma fenêtre je vois le lac éclaté en pépites d’or fondu, le jet d’eau dans le lointain, entends la discrète rumeur de cette ville sobre, minutieuse, méticuleuse, terriblement propre et proprement terrible…
J’ai compris en te relisant que ce qui nous rapproche, ce sont aussi nos abyssales différences, qu’avec toi ce qui peut-être sera ne se devra nullement de ressembler à ce dont il nous arriva de  rêver: le silence, la pénombre, l’étrange, sereine douleur faisant fi des mensonges, des attitudes, des langages convenus, des cruautés du temps, des inanités de l’attente…
Ami, certainement, frère non, tu me sais loyal, la parole donnée ne se peut tordre ni enfreindre, être ton frère est promesse que je ne suis pas sûr de tenir; jamais je ne mettrai une épée entre nous, mais respecterai sans un mot celle qu’il te plaira peut-être de déposer entre nos corps pour que l’étreinte soit autre chose que ce qu’elle ne sait, parfois, que trop pauvrement être.
Je suis signe d’Air, vent qui gronde, rompt, s’insinue, devine, caresse et s’en va, alors amis pour le temps qui nous reste ou alors brève et alanguie mesure de nos limites, que ne soit que ce qui se doit d’être, car ce qui nous fut donné en partage est inlassable, indéfroissable – notre bonus, notre superbe surcroît.
Je crois au destin, mais j’aime « l’ignorance de l’avenir », le premier l’emportant presque toujours sur le second. C’est pourquoi je laisse à Tabucchi le soin de conclure (c’est – le croiras-tu? – la fin d’une lettre écrite par une cartomancienne):
« Un jour, peut-être, lirez-vous ce message. Ou pas. Puisque tout sera déjà consommé, cela n’aura, quoi qu’il en soit, plus d’importance. Car si la vie pouvait être autre qu’elle ne fut, elle en viendrait à effacer le temps, la succession des causes et des effets qui sont sa trame même, et cela ne se peut. Et mes cartes ne peuvent changer ce qui, se devant d’être, a déjà eu lieu. « .
Je t’embrasse comme je voudrais que ce baiser me revienne, puisqu’en cette heure je suis tel que je t’imagine.
(Genève, 2011)

« Tout, j’ai tout recueilli de toi: miettes, fragments, poussière, traces, suppositions, accents restés dans la voix d’autrui, quelques grains de sable, un coquillage, ton passé imaginé par moi, notre futur supposé, ce que j’aurais voulu de toi, ce que tu m’avais promis, mes rêves d’enfant, la passion que j’ai éprouvée pour mon père quand j’étais petite, certains refrains niais de mon enfance, un coquelicot au bord d’une route poussièreuse. [*] On ne peut pas trahir comme ça, en coupant le fil. Sans même que je sache où repose ton corps. Tu t’es remis à ton Minos, que tu croyais avoir dupé, mais qui à la fin t’a englouti. C’est comme cela que j’ai déchiffré des épitaphes dans tous les cimetières possibles, en quête de ton nom aimé, sur lequel au moins je pourrais te pleurer. Tu m’as trahie deux fois, et la seconde, c’est en me cachant ton corps. [*] Moi je t’ai fait sortir d’un labyrinthe, et toi tu m’y as fait entrer sans qu’il y ait pour moi d’issue, pas même ultime. Car ma vie est passée, et tout m’échappe sans la possibilité d’un lien qui me rattache à moi-même et au cosmos. Je suis là, la brise me caresse les cheveux et je chancelle dans la nuit, parce que j’ai perdu le fil, celui que je t’avais donné, Thésée. »
(Antonio Tabuccchi: Lettre au vent)

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zombies

Pour que les mots cessent de devoir postuler une mémoire partagée, c’est d’alliés « substantiels » que nous avons besoin et vous ne pouvez sûrement pas imaginer à quel point je souhaiterais que vous, et quelques autres de même portée et déploiement, fassiez partie des miens…J’imagine que les raisons de mon choix blesseraient votre modestie, je n’en parlerai pas aujourd’hui, sauf de cette admiration complice que distance et différence nourrissent et attisent, de cette proximité sans limites et sans leurres que seule la lecture au sens vrai et fort du mot sait et doit induire…Je vis au Brésil, loin de tout, je vous laisse dans la pénombre de ce que cette voix a de plus dense et énigmatique, j’aimerais que vous l’écoutiez, que vous vous laissiez porter par cette écoute, que vous m’aidiez à ce qu’elle soit un jour par d’autres entendue, artisans ou catalyseurs d’un passage à l’acte d’autant plus essentiel qu’indéfiniment différé, passeurs en vous-mêmes ou m’amenant vers d’autres – comme surent autrefois l’être au plan littéraire et personnel l’aveugle clairvoyant de Buenos Aires et le géant bourru de l’Île-sur-Sorgue (pour ne citer que ceux-là…) – encore que pas même eux ne soient, en ce temps désormais incommensurable,  parvenus à me faire sortir de ce que je croyais être mon devoir de silence…
« Mon secret est tel que les mots le dissimulent sans vous le porter – énigme en soi et des genèses, non de ses haïssables sources »: vaut-elle toujours ou doit-elle s’effacer à l’entame du lent crépuscule où librement j’entre? Soyez ceux que je pense que vous êtes, et je le saurai…
(Brasilia, juillet 2006)

[Nota de janvier 2016: ce stupide et vain appel fut lancé il y presque dix ans depuis les mêmes lieux que je hante en ce moment. Sa naïveté me fait sourire, sa façon de quémander sans même s’en rendre compte m’emplit de honte, seule ma volonté de TOUT assumer de ce que furent mes vies, TOUTES mes vies, me fait le ressusciter maintenant – peut-être comme vaccin et repoussoir. Je n’ai jamais su si celles et ceux auxquels il s’adressait étaient bien qui je pensais qu’ils étaient, car il n’y eut (à quelques rares, mais indélébiles exceptions près) pas de réponse, en tout cas de VRAIE réponse…
Que dire alors de ces recommencements, « sans ressemblance ni répétition » les mêmes? Qu’il n’y a que la vergogne qui s’en soit allée, remplacée par le demi-sourire en coin de celui qui a depuis compris beaucoup de choses – trop, sans doute!
« Un fantôme ne meurt jamais, il reste toujours à venir et à revenir. »(Derrida)
(Brasilia, printemps 2016)

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L’entassement me perpétue. J’ordonne les surfaces, renverse les noyaux. L’impatience croît, déjoue les noeuds, étouffe les voies, file vers ces mers sans clôture, que je sais vraies
(1969)

Voix d’enfant, jardin à l’abandon, joie d’oublier – qui nous y trouvera? La rumeur et l’aveu, peuvent-ils comprendre que tu songes à les confondre en une seule et même ombre?
Une enquête, oui, sur la dégradation du réel, sa reconquête: rassembler, compléter la mosaïque, le visage au miroir entrevu, trop proche déjà de qui rend son reflet, le convoite malgré tout…
Tu nous précèdes avec tes mots, appâts mués en gains, ce qui fut dévorant ce qui est… Que nous est-il resté – et à toi? Rien que des voix qui ne se peuvent dompter, démêler, celle-ci, cette autre, implorant, voici mon histoire, et tu leur demande, avec le même entêtement qu’elles mettent à t’écarteler: quelle est la vôtre, donc, quelle est la mienne?
Que tu ais voulu intervenir dans l’Histoire, c’est cela qui n’a pas de sens. Elle ne s’est point arrêtée, elle persévère, tu le sais, comme le soleil du loch, lumière stricte, sans poussière, froide et familière de l’ombre, qui soudain modèle la vallée, miroir sous l’eau qu’aucun pont n’enjamba, aucun chiffre, ni fiel, ni fable…
C’est l’heure: tu ne détourne pas l’obscur, ne franchis pas le seuil, le convive de pierre ne vient pas te chercher, pas un fief de l’énigme n’est rendu. C’est de toi que tu t’arraches, à peine éraillé par le souvenir, tel cet appel qu’on ne lance qu’une fois, jusqu’à ce qu’un autre le redécouvre, le reprenne, et t’en défasse…
(1975)

La chapelle Brancacci, le soir, juste avant les ombres qui t’envelopperont en descendant de San Miniato. Toutes choses qui resteront sans qu’on ait besoin de les mettre en mots…
(1977)

Pensez à m’oublier maintenant.
J’en arrive, tout comme lui,
À mon centre,
À mon algèbre et à ma clef,
À mon miroir, à ma demeure.
(par et avec Borges, 1984)

Je me demande qui se rappelle encore que la baleine blanche court toujours
(1991)

Il n’y aura plus de minutes, ni d’heures, de jours, de nuits.
Plus de saisons.
C’est ce que tu voulais : qu’il ne reste rien.
Plus de décor, plus de coulisses.
Rien.
(2001)

Diable, Cortazar l’avait bien dit, en ces termes même, ou peu s’en faut (un mot de changé, ou plusieurs, et on met tout sur le compte des failles de la mémoire, alors que c’est souvent un acte inconsciemment délibéré…). Il nous faudra donc identifier les analogies, en découvrir les raisons, les points de fuite, les failles, les apprêts, trancher les gorges, acquiescer aux paires, le tout s’insinuant, s’écoulant, se fuyant, se perdant, se frôlant, le Nombre d’or et les puces de Clignancourt, le jazz et les mystères d’Eleusis, le Golem et la lutte des classes, la pan-sexualité et la gnose…
(2005)

Il t’arrive de ne plus voir ce qui t’entoure, les êtres, les murs, les meubles, quand tu vas quelque part tu te demandes après coup à quoi ressemblait ce lieu, et les couleurs, comme si tu étais aveugle, mais cela ne concerne jamais les visages, les mains, les ombres…
(2006)

« Illusion que de croire qu’en fuyant le destin d’autrui l’on bernera le sien. »
Aux fossoyeurs toujours encore défaits de ce qui se nomme « poésie » (que l’on sache ce que cela veut dire, ou non, ce qui est mon cas…) – IN MEMORIAM…
(2009)

Ce matin j’ai eu (je ne sais pas trop pourquoi, ou alors je ne le sais que trop) envie d’écouter un vieux disque des Doors, peut-être le plus beau, moins pour la perfection de l’ensemble ou pour la voix de Morrison que pour ce qu’il avait à me dire:
« This is the end, beautiful friend,
This is the end, my only friend, the end.
I cannot set you free,
So you’ll never follow me. »
Puis je me suis mis à relire mes vies, depuis le tout début, car je savais que tout s’y trouvait, les vraies réponses, les motivations, les hésitations, les aspirations, les fantasmes, les refus, ce que vous auriez pu faire vôtre dans ce qui est ma réalité, puis ce que vous ne le pourrez ou ne le voudrez peut-être jamais…
J’aurais aussi pu entamer une de ces fausses autocritiques dans ce pur style stalinien que j’abhorre, avouer que je suis un être vil et méprisable, une hyène dactylographe, odieux dans mes vérités (tout comme je l’aurais été si j’avais menti…), lamentable dans mon souci de clarté (tout comme je l’aurais été en me cantonnant dans un bien commode flou artistique…), recru dans mes certitudes et mon confort…J’aurais pu, mais je ne l’ai pas fait, non seulement parce que ce n’est pas vrai, mais surtout parce qu’il s’agit (même s’il n’y avait vraiment pas d’autre solution) de ne pas maculer ce qui pourrait encore ne pas l’être…
Je n’ai jamais voulu contrôler quoi que ce soit, rien voulu imposer, rien eu dans l’idée de perversement manipuler…Sans que cela en arrive à apaiser la blessure de l’incompréhension, effacer le moment où tout a basculé, restent l’ombre portée qui donne du sens à ce qui en viendrait encore à pouvoir rassembler, puis la certitude que désormais ce qui doit être sera, comme il se doit, comme toujours – comprenne qui voudra…
(2010)

[Nota de février 2014: ces lignes furent écrites à la veille d’un départ; alors que s’en profile un autre, je me rends compte qu’elles ne sauraient être ni meilleures, ni, surtout, autres…]

[Nota de janvier 2016: « plus rien ne sera comme avant »: phrase stupide, car rien n’est jamais « comme avant ». Le cercle est en fait spirale. Le Retour du même en tout point même, qu’il soit éternel ou passager, n’est qu’illusion – la pire de toutes, peut-être. Il nous faut encore et toujours avancer, en sachant vers quoi, et l’acceptant.]

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