« Où va-t-il ? Nulle part. Il est immobile à sa façon, têtu, tenace, tout entier travaillé par des voix qu’il tente d’entendre deux fois, la première dans leur surgissement, la seconde dans leurs échos. »
(« Opération respiration », « Le Clavier Cannibale » du 9 mars 2016)
« Les écrivains – m’as-tu dit une fois – il ne faut pas les rencontrer, il faut les lire. » C’est bien ce que j’avais fait depuis toujours en ce qui te concerne, te suivant à la trace dès les tout débuts, et jusqu’au long poème dont j’avais impudemment annoncé à l’avance la venue (tant il reflète ce qu’est l’ADN même de ton écriture) et que tu offris à l’Ogre comme pour montrer, une fois de plus et à tous, à quel point tu n’avais peur de rien, et surtout pas des mots…
Moi, c’est à la manière de remplir et apprivoiser l’espace physique comme celui de la parole que je reconnais la vraie présence – et la tienne le fut (ô combien!), là où hasard et volonté nous ont fait nous rencontrer, le plus souvent (quoi de plus normal pour qui lit/écrit?) dans les librairies que nous aimons.
« Le Clavier » – comme nous sommes nombreux à l’appeler familièrement – m’accompagne depuis si longtemps, lui aussi, que je fus à peine étonné en me rendant compte que je savais ce qui allait arriver, le pourquoi de cet éloignement, de ce congé que tu dis provisoire et qu’on espère tel, de l’annonce de cette raréfaction qui me fait déjà sentir à quel point il me manquera – tant il est, pour moi comme pour tant d’autres, point de feu, bivouac où il n’y a pas de place pour les assis, miroir rarement terni des joies, des dégoûts, des admirations, des refus, des coups de coeur et de tête de leur « proprio » (et que si souvent je reconnus comme étant également miens), boussole surgissant, non pas pour montrer le chemin, mais pour aider chacun à trouver et suivre le sien, souvent escarpé, parfois semé d’embûches, mais parsemé de ces clairières où resplendissent les voix de ceux qui se battirent et copulèrent avec cette langue irréductible à ce qui n’est pas elle, mais sachant, en quelques instants de grâce, se plier à la mesure de leur démesure et de leur douleur…
Et que dire de ceux (j’en fais partie) à qui l’âge ôta souvent l’envie et/ou le courage de plonger « au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau » et à qui « Le Clavier » ouvrit (à sa façon parfois rêche, bourrue, coupante même, mais sans désemparer) des horizons que son absence amoindrira sans nul doute.
Je sais à quel point tu prises peu la nostalgie, cette « putain du souvenir », comme l’appelait Lezama Lima (que je soupçonne pourtant d’avoir entretenu avec elle les mêmes coupables et ambiguës relations qu’il m’a semblé entrevoir, ici et là chez toi, quoi que tu en dises…)
Il n’en va pas de même pour moi; alors, à l’heure où je pressens que ta nef part voguer sur des mers inconnues de tous, et surtout de toi, je voudrais que tu saches que les pensées de beaucoup (dont je suis) t’accompagnent!
Que dame Fortune – à laquelle je crois toujours s’agissant de ceux (et ils ne sont pas légion, je te prie de me croire!) que j’admire et respecte, mais que depuis belle lurette je ne révère plus pour moi-même – te lève là où il te faut aller pour que, par ton entremise, « la mémoire soit de tous et l’oubli de personne »…
« Le recul, c’est aussi la réaction de l’arme suite au tir effectué, histoire de vous rappeler qu’il n’y a pas que la cible de fragile. Tout reste à fourbir. »
(« Opération respiration », « Le Clavier Cannibale » du 9 mars 2016)
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