Confirmation – pour qui le savait ou s’en doutait – que le livre est toujours encore à venir, réveil d’un compréhensible égarement pour les autres, ouvrage essentiel (mot quelque peu usé, galvaudé comme tant d’autres en ces temps détestables qu’on a du mal à accepter comme étant nôtres, mais qui donne ici sa pleine mesure), ouvrage inaugural, abrupt, sinueux, insinuant, subversif pour de vrai dans ses silences, ses feintes, ses lenteurs, ses errances, les ruses de ses attraits, de ses creusements, de ses glissades vers la disparition, l’absence, ce neutre, enfin, en qui Blanchot voit la substance et l’accomplissement de l’oeuvre, ce vers quoi toute entière elle tend, qu’elle sous-tend de même toute entière, nous levant là où souverainement ou obscurément s’affirme « ce jeu insensé d’écrire« , erreur à toujours commettre, insaisissable point de fuite, voie d’excès, interminable affirmation, en écriture comme ailleurs, de cette vérité jamais assez assénée que c’est la transgression de l’interdit (et non sa par ailleurs impraticable suppression) qui est, dans et pour l’oeuvre, torsion, infraction, effacement, faim d’orées, effroi des avènements , car « si le livre pouvait pour une première fois vraiment débuter, il aurait pour une dernière fois depuis longtemps pris fin« , lieu d’où, le sachant, le désirant et détachés de tous mâts, l’on s’en irait vers le chant des Sirènes, temps sans frein où se retourner vers Eurydice vaut l’impossible sans cesse réalisé, « la disparition même qui s’accomplit en cette parole » (pour nous comme pour tous seule à être), comme nous l’apprit le plus clairvoyant et argentin des aveugles à propos de ce que l’on nomme, pauvrement, « réalité », à savoir « ce simulacre qui existe grâce à nous, qui suit nos mouvements, gesticule et s’en va, mais à la recherche duquel il suffit d’aller pour aussitôt le retrouver« .
Maurice BLANCHOT: Le livre à venir (Gallimard Folio Idées)
Bien peu de fois je me suis senti, tout au long d’une lecture, aussi infiniment proche (alors que nous ne sommes ni du même sexe, ni de la même langue – mais quel admirable rendu en mots français que celui de Anne Picard! -, ni de la même réalité) de qui vint à moi au travers de ces pages tendues, âpres, désespérées souvent, tout à la fois atelier, antidote, cabinet noir, miroir de la douleur, de la séparation, de l’abandon, du tourment comme du retranchement définitif de celle qui me fit comprendre comme peu (dont beaucoup de femmes, Virginia Woolf, Sylvia Plath, Danielle Collobert, Nelly Arcan, et j’en passe) à quel point -c’est l’une des dernières lignes, à la toute dernière page – « écrire, c’est donner un sens à la souffrance« .
Alexandra PIZARNIK: Journaux 1959-1971 (José Corti)
Jakuta ALIKAVAZOVIC: La blonde et le bunker (Éditions de l’Olivier)
Il y a ce qui a disparu et que l’on cherche.
Il y a l’amour fou, toujours aussi fou sous de friables apparences.
Il y a ce que l’on trouve, pesant ô combien moins que la faim des quêtes.
Il y a l’art, son éclat qui de rien ne console, son effacement que rien ne rachète.
Il y a la dérisoire passion d’amasser en dissimulant, de collectionner en un mot, qui tient du fétichisme, de la folie – et de l’amour aussi, quoi qu’on en ait.
Il y a les secrets, subtilement offerts à qui ne s’y attache, mais (presque) jusqu’au bout opaques pour qui en vit en les guettant.
Il y a la langue superbe de Jakuta, les double-fonds, les chausse-trappes, les faux, les pièges, les trompe-l’oeil.
Il y a la mort aussi (surtout?), mais pas de fin – et puis, quelle importance? (car, de toute façon, « le crime sera presque parfait: tel est pris qui croyait prendre« )
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