Tant et tant d’années ont passé depuis le temps où l’on pouvait se pencher à cette meurtrière, regarder sans rien voir vers le jardin, dans l’attente de la chose qui devait s’y accomplir, dans la crainte qu’elle ne s’accomplisse…
Y a-t-il un mur trop lisse, là où s’ouvraient deux fenêtres? Y a-t-il une porte dérobée? Une paroi scellée? (minutie? délivrance?)
Car il te faudra revenir, mais pas en arrière: dispersion sans fin, docile ébranlement du cercle.
Délivre-nous des griffes de la fausse ferveur, du sourd fragment à qui une seule nuit a su suffire, du fou égaré en cet avenir envasé, le reniant comme tant de fois, le bafouant sans le posséder!
(Quelque chose qui n’était pas seulement le temps avait rongé et incendié tes traits, ces yeux qui semblaient être devenus aveugles ou voir très loin, au-delà de la chose obscène qui corrompt et diffame…)
Lai, offrande, dauphins à mi-saut, escalade du lierre sur les murs où t’attend le royaume de chaque nuit, retendu en ses chairs humées, ses parcours irréfléchis, enfin insinuant de l’insurveillé dans tes constellations de signes.
L’ ancre et le remède, si tu pouvais les distinguer tu ne sentirais plus ce monde bouger en toi, n’auras pas à le pétrir comme vile argile, enfin délivrée de l’Histoire, de ses brouillards, ses murmures.
Pantins qui s’insoumettent et prient, lavent les échos, purgent les actes de leur noir noyau… Que t’importe, à toi qui n’as rien cherché d’une même couleur est le sable, toutes les cendres…
(Ce que tu hais, comme naguère, comme toujours: l’heure mutilée, bégaiement perdu dans les fourrés, dédale rétréci, cage des égarés, leurre des lisières, mauvais champignon de ce présent que tu étouffes de ta patience.)
(Jaillir au devant des traces – non servilement.)
Contre les esthètes de l’étant, le droit à cette pénombre que rien n’assujettit, force toujours déprise de ce qu’elle nie.
(Feux marins qui mordent et dessèchent, gouvernement des masques par lequel tu te savais l’égal de celui qui est, par don, de surcroît.)
(Rien ne vaut la rencontre, tout précède son dévoilement.)
Il t’arrive de ne plus voir ce qui t’entoure, les êtres, les murs, les meubles, quand tu vas quelque part tu te demandes après coup à quoi ressemblait ce lieu, quelles en étaient les couleurs, comme si tu étais aveugle, mais cela ne concerne jamais les visages, les mains, les ombres.
(Écrire: fardeau pressenti, vol où giclent les parts mutinées de ta force)
(Se souvenir de tout, pour couper la route au seul qui vaille, lui qui ne s’offre pas, mais t’accompagne, tel l’ogre de l’ensorcelé)
L’oeuvre: retouche, pressentiment, qui amortit plutôt qu’elle n’obture la trouée de l’enfance, son renvoi, son trépas.
(Ce qui s’efface ne t’atteint plus: ce qu’il faut retenir, c’est presque rien, ces dés avides de permanence)
(Tu le sais maintenant: plus personne ne peut te chasser de toi-même)
Bris des signes pour dire et, et ce faisant, les faire taire. Les choses se souviennent de nous, bien plus que cette parole mercenaire que tant voulurent captive, et qui, pour notre malheur, et le leur, y parvinrent.
Cesse de grommeler, de supplier qu’on te renvoie, de te pencher sur ces tumeurs qui perdent pied en feignant de croire qu’il y a trop de mots, et pas assez de choses.
Réfugié dans ce no man’s land, ce cul-de-basse-fosse – ni artiste, ni rentier, ni orfèvre, ni savant au fauteuil sombre, ni lumpen, ni putain: à peine un hybride, un croisé, un clone décalé, voguant sur cette mer indifférente ou ennemie, comme la bouteille messagère de l’autre naufrage…
(1999)
[…] « Pauvre miracle qui bégaie, rassure, congédie, puis retrouve la ruelle inviolée où l’on ne passait à l’acte que dans l’entre-deux, le rauque prodige où ce qu’on devint et ce qui fut se confondent, les astuces de l’enfance depuis peu quittée au bord de ce vrai à quoi tu appris à consentir, mais que tu ne casas jamais dans la mémoire : les courants ras et les filets jetés et les visages surgis des embrasures, les rides entrevus à la face des eaux et les derniers labours, le double imprécis, claquemuré en ses fièvres, l’été où le temps dénoué vit sa vie comme elle vient, le hasard et ses preuves fardées, la lame qui n’en finit pas de rendre justice à ce qu’elle lacère, les acolytes, les démaillages, la rouille empesée, l’écart de toute part mordu, le masque qui accroît et offusque, les saillies fourvoyées à la tombée du jour, les raccords et les louanges, les chiffres et les parodies. » (L’adolescence est corde d’or) « L’enfance jamais raturée, ce furent aussi ces reines insaisissables, blanches et définitives, qui surent échapper à tes marques, rafler des dictées du Rien les foulées immobiles, les coursiers raturés, les termes ultimes du prodige. » (Enfances) « Tant et tant d’années ont passé depuis le temps où l’on pouvait se pencher à cette meurtrière, regarder sans rien voir vers le jardin, dans l’attente de la chose qui devait s’y accomplir, dans la crainte qu’elle ne s’accomplisse. […] Lai, offrande, dauphins à mi-saut, escalade du lierre sur les murs où t’attend le royaume de chaque nuit, retendu en ses chairs humées, ses parcours irréfléchis, enfin insinuant de l’insurveillé dans tes constellations de signes… » « Ô fuites pliées à ton aune, lentement, puisque toute chose n’est que de qui sait en jouer. » (Le leurre) […]