« Ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience. »
(René Char)
Pas plus de traces que de preuves: seule, l’indue gratuité du passage.
Gestes de craie, périples du souffle, dernier promontoire, enfants aplatis, déguisés, dedans l’assèchement qui n’accueille pas.
(Non pas un quelconque but, mais le BOUT: car il ne se peut pas que l’on se soit autant plongés dans la dévastation sans l’atteindre.)
Remonter aux sources de l’exil, au cuivre d’aucune saison, à la fatigue des débuts. Nul déclin. Nous nous retrouverons, compagnons, si sûrs d’avoir gagné, dedans l’entaille du sentier dégauchi, à jamais.
Mais n’est pas gîte qui veut pour qui émerge intouchable du faux sommeil, que déjà dément l’apparence qui en répand les morsures, comme pour se dérober de ses ravages. N’est pas épreuve qui veut, combien vrai son pouvoir de mutilation puisse être. Elle ne sera jamais enceinte de la mer. Et tout finira dans le double sourire aveuglant, lorsque, les yeux perdus dans la blessure de la mémoire, tu apprendras que inhabitée est sa menace, close sa fulguration, là où, offerte au beau milieu de cette escorte de meutes et de feintes, même recommençant, elle s’écroule.
(Le répit, pas l’arrêt. La baleine blanche court toujours.)
Les pigeons n’osaient pas trop s’approcher. Pas de chaisière en vue. Personne. La cigarette éteinte. Tout près de la pelouse, tout entier à ta fixité, en proie à l’intolérable possession.
Car la menace s’éloigne, s’épure, se raréfie, et tu ne réponds pas, ne réponds plus, sinon au silence contigu, aux mots sans limite ni leurre qui, de par la double voix concordante, se sont efforcés à puiser en lui, disséminée au flanc de la course, la souveraine minute qui tout justifie.
(…jusqu’au « oui » murmuré qui scelle le pacte, déjà reconnue dans cette menace, cette hâte, cette gourmandise.)
Les mêmes refus, les mêmes (rares) acceptations, les mêmes sursis, la même clôture.
Innocence de qui s’y reconnaît, façon d’ensemble se taire abolissant toute séparation, folie consentant au mirador ployant sous l’afflux de lueurs, à la moraine avide qui ne dérobe l’issue que pour faire deviner, au fond de la coquille, l’assourdissant bruit autre.
(Réponds, même à côté – mais c’est impossible pour qui ENTOURE.)
« Frère vacillant aux abords des fêtes, irréductible à ses chutes, ne s’affrontant qu’à lui-même, quand reviendras-tu? »
Les deux en un, sans frein, de face, dont rien ne nous détournera, et qui nous portent vers ce pacte que tout effacement renforce.
Intacts, le poids, la durée, leur noyade. Les mains rouges sur les murs, l’enjeu des signes, la fascination les plus ronde (il est parfois amusant d’arpenter l’envers de l’éclaircie…)
(Down the wet streets, all alone, inutterably happy, as she slowly fills our unbroken, yet exhausted memory.)
Encore debout, mais dans l’imposture et les reflets, nous saurons nous taire. Que les repères s’éparpillent. Que s’efface ce temps où, humant les effluves de l’Histoire, nous la voulions désarçonnée et à genoux devant nos poings serrés…
On devient théâtre d’ombres, alors. Vide, replié, lisse. Heureux. Alors seulement. Car si le spectacle est irréel, le spectateur, l’unique spectateur est bien vrai: vrais son noir, son enclos, son émerveillement, son indifférence, que le rideau se lève ou retombe, ouverte de partout, sans rejets et sans attaches.
(Ne plus peupler ta faim de narcoses)
Du labyrinthe comme SITUATION, sans espoir ni désir de voir surgir, au détour des gestes de craie, l’issue.
Obscurité précoce, dérobade travestie – elle qui t’enlace, sans allégeance, sous les arbres nus, comme à jamais. Elle qui te rend sans rebours le plein silence de sa parole, qui t’entraîne, dans cette ville en retard d’une présence, à goûter dans la fumée bleutée, jusqu’à la paix, jusqu’à la lie, l’indéfini de derrière sa buée.
Tu ne prolifères plus, nulle chaleur qui creuse, nul sillage. L’attente aux tempes, les maisons fanées, les grandes voies débusquées se refermant sur les débris des volières, tout est plein. J’ai foi au « long point de suspension ».
Et que les choses suivent leurs cours sans nous, ne bordant rien, n’annonçant rien, jouissant de l’arrêt, du silence en surnombre (« comme on se tue les yeux fermés pour se faire une surprise »)
(Claquemurés dedans cet espace sans entraves, attentifs à l’accident qui seul justifierait cette infinie cohérence.)
Monde entrevu, paradigme disséminé au bout des doigts couverts de pluie et de bagues, des lèvres closes nous devançant, au simulacre de midi, à l’orée des fables où tu exultes …
Je sais qui te ralentira, toi qui accours, rassasié, sous le masque et l’ornière.
Dans la « vraie vie », le premier terme nous est toujours apparu comme de beaucoup plus lourd que le second…
La dissimulation: se cacher en elle, lent rituel complice – depuis que la transparence tue, rendant, comme jamais l’ivoire flétri du jour, à chacun ses feux et ses graines, au monde son unanime assonance, à toi la force d’en redire le tranchant.
(1972)
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