« Si je devais arrêter d’écrire, c’est comme si je n’avais plus rien, comme si je détruisais un pont que je n’ai pas encore traversé. »
(César Aira)
L’écriture qu’il t’arrive de faire tienne, c’est celle à jamais perdue dans le baume et l’étonnement, le pur regard irréductible à qui te défie et te limite, où tout se perd et s’entremêle, se brouille et se résorbe, la dispersion et l’issue, le partage et la rapine, la forme qui s’ébauche, portant sans qu’elle-même le sache le grain, le hasard et la parure, le miroitement sans repères, le présage moquant la règle, la ville muette, l’espace décharné du dire, sans hiérarchies ni sommations, sans chahuts ni préséances, sans traques ni vestiges, le regard baissé hors de soi, la visée assurée, cernée par les teintes fauves, le flou des décors, le refus de l’infime, les défroques du passage. C’est celle qui ne demande pas son chemin, ne s’ébat pas dans l’ombre de la permanence, mais ne perçoit pas non plus ce qui en elle continue comme résignation, humiliation, malédiction. C’est celle qui vient buter sur nous, portée par le défricheur de solitudes, qui arpente et disperse, mesure et oriente, affronte à découvert le retard de l’appel, le létal, le latent, les feintes du funambule, le théâtre des marges, l’attente accroupie, le bivouac dévasté. C’est celle qui sait lâcher prise, resserrer la cadre, briser l’indistinct, étreindre l’embûche, restituer ce qui, encore devant nous, se récuse à l’abolition de l’Autre, mais assume l’impossibilité à montrer, la survie réduite en icône, la venue des rides (lieux désertés, pitons morbides), ce qui, au fait de tous secrets, se dérobe, digère et blanchit, ferme l’horizon vétuste, la faim vierge de présences, l’ailleurs qui dessèche, la voix désaffectée, la sentinelle mise à l’écart, le parasite fait d’entames et d’oublis, la mise à distance, fauteuse de frontières entre deux effacements, qui va, vient, rebondit et retrouve sa place parmi les vertiges du fragment qui te referme et t’abolit comme s’il n’y avait plus rien à écrire, ni la métaphore se dérobant devant sa vérité, ni l’origine nomade dilapidée dans la durée des graines…