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Archive for novembre 2017

Rien ne se passe, rien ne nous appartient, ni la marche, ni le pain, ni le lit, ni la cruche.

Le fleuve caché court comme le silence, lui qui ne sait ni ne doute, lui qui jouit de la lenteur des choses, des semailles, des abris, des clefs que l’on fatigue, lui qui démêle le pourquoi du comment, traque la louange, terrasse ses ruines.

Les cigales savent combien on est seuls, arrachés à qui bouge en nous, qu’on démantèle, qui nous cingle le visage : la perte tournée au levant, les faveurs qu’on s’épargne, les veines du bois, les chasses vacantes, les dettes des formes, l’instant prodigue comme de l’aboi le partage, du désordre les joyaux inégaux, de l’enfilade des couloirs les toits décapités.

Le meurtre aligné, accompli, précis comme la poussière, comme l’araignée profuse aux faîtes du jour, qui l’a vécu, et à quoi bon? Pour quelle étroite mesure et pour quels legs nos plaies et nos courroux, l’absence qui pend à nos cous l’issue aveuglante?

Pour ce qui est des Autres, seuls les écrits qui désobéissent au temps et surent nous foudroyer nous accompagneront à l’heure du Grand Trek. Il y en eut peu, fort peu: les Imployables.

(2017)

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  Giorgio Agamben

« Ce que le visage expose et révèle: ni quelque chose qui peut être formulé, ni << un secret destiné à rester pour toujours incommunicable >> (Giorgio Agamben)

Toujours tu y es, dépouillant du visage hostile l’adieu qu’on tait, la douleur enjambée au tréfonds du ravin qui la refuse, l’assombrit, l’enfouit, la pétrifie et la guérit, entraînée vers le versant ultime par où glisse le fragment que tu saura peut-être retenir.

  Adonis

« Tous ces morts, où les enterrer sinon dans le langage? » (Adonis)

Il n’y eut pas d’erreur, tout arriva soudainement, la rancune ravaudée de chaux, la peau que musellent les eaux taries, la mort apprise au dernier pas, reflétée sous les arches, n’attendant que le signal qui rien ne garde de ce qu’il tait et oublie.

  Ezra Pound

« Quand je vois le paradis, je sais le reconnaître. » (Ezra Pound)

Un jour de plus au creux apaisé, délaissé par les choses, délivré du poids des routes et des rumeurs, des avatars dociles courant vers la demeure sans plaies ni menaces, éveillée dans la hâte de l’accueil, dressée dans la quiétude du Retour.

  Walter Benjamin

« On pourrait dire qu’il s’absente en écrivant. » (Walter Benjamin à propos de Robert Walser)

Midi sauvage, midi abdiqué sous les grandes ombres, se prolongeant dans le souffle seul dès la naissance, dans la faute qui se suffit à elle-même, dans la blessure usée qui s’écoule, anéantit spectres et orties – interminable.

  Maurice Blanchot

« L’oeuvre écrite produit l’écrivain et atteste son existence, mais, une fois faite, elle ne témoigne que de sa dissolution, de sa disparition, de sa défection et, pour le dire brutalement, de sa mort qui, par ailleurs, n’est jamais définitive. » (Maurice Blanchot)

Nuits aux couteaux tournant dans la chair des mendiants, dissimulant de l’heure les vigies endormies, le jet trahi qui s’épuise, fait douter, tourne le dos au guetteur indélébile, messager des rancoeurs, allant, par les rues adultères, vers la tombe pétrie de mots, et les fumées qui la façonnent.

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William Gass

« Fuite hors du langage protecteur. » (William Gass)

Langue couveuse de désordre, choisie pour ces lacunes qui résistent, morcellent, cachent pour préserver, s’arrachent au fard attendrissant, échangent rôles et oublis, sondent les témoins noyés, les récits du sacrifice, les désastres qui s’étendent pour que tout soit encore possible.

Franz Kafka

« Bondir hors du rang des assassins. » (Franz Kafka)

On ne guérit de rien.
Ni des tracés en vain aplanis, ni des terriers aux allures de conquête, ni du clinquant des faux voisinages, ni des nuits de jadis, ni des monstres, des schismes et des mesures, ni de l’offrande soudainement lisible, du souvenir devenu sourd, rabiboché avec le Malin à l’heure même où le surcroît de tout fait irruption…

Giorgio Agamben

« Allez vers le seuil! » (Giorgio Agamben)

Présage de toujours connu, exaction première, mise en scène des dépouilles, beau piège adossé aux grimaces de l’illusionniste rompu à tes méandres, refus à la fois de partager et de prendre ses distances, feinte qui te défigure, « flèche qui invente la cible » à force de t’aveugler, de te nouer au multiple, de te cerner sans te concerner, d’effacer les dés chiffrés, mais entrevus, t’abandonnant à la visitation, non pas de l’Autre, mais du « tout autre ».

Jorge Luis Borges

« La littérature est un art qui sait prophétiser le temps où elle sera devenue muette, et incarner ce qui est sa vertu, s’éprendre de sa propre dissolution et courtiser sa fin. » (Jorge Luis Borges)

Nulle lettre exorbitée, nulle foi jurée, nulle traînée, nulle promptitude ni assouvissement, nul miroir ni grand vent, nul vertige ni halètement, mais la soif et le sel te disloquant à tâtons, l’improbable embouchure à laquelle la parole ne sera jamais semblable, l’ultime résidence où il te faudra avec elle en découdre.

Robert Walser

« Tu es capable de vivre sans que personne ne se souvienne, même de loin, que tu existes. » (Robert Walser)

Ce lieu désert, cette raideur, ces loques, l’apparence vide de tous partages, qui requiert, ressasse et délaisse, soucieuse, non pas du méridien de tes règnes, mais du sec éblouissement, de ces créances fidèles désobéissant au déluge, le dépouillant de l’éloge dont ce qui te nia se fit le porte-parole discret, en suspens, comme hors du monde.

Lautréamont

« Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire. » (Lautréamont)

Tien l’essor premier, la source rase, le malaise du séjour, la momie corsetée qui sait et déplie sans rien dire, tiens les déchets qui l’annoncent, les rendez-vous dans la grange aux levains, les retards secrets et leurs allures, tienne l’adoption qui ne se peut achever, tienne la cible qui médit des batailles à venir, tien l’écart à préserver, par-delà venins et soucis, de l’infortune à le veiller ensemble.

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« Un homme qui écrit n’est jamais seul. » (Valéry), mais on sait bien que « d’une manière ou d’une autre, il n’est plus lui-même, il n’est déjà plus personne. » (Blanchot)

Ce fut, depuis le tout début (lecture tordue, butée, émerveillée des « Vies minuscules »), la montée vers ta langue, soyeuse et canaille, instruite et drue, soeur tacite, veille féroce, abri nu, cache têtue, promesse clandestine, passage des rescapés, pierre levée, tiers exclu, dépouille sans héritage, parole qui entasse, passe aux aveux et mime la ruine, les traces oubliées sur le linceul, l’étincelle qui relève, les aubes dépareillées où l’on touche au port, la pénombre ouvrant sur les tains ébréchés, les temps qu’ils viennent clore, les faux-plafonds plus beaux que les vrais, le trompe-l’oeil gagnant du Réel, faisant douter de son pouvoir de corrompre.

Et puis tes mots, fantômes ne se suffisant jamais à eux-mêmes, écorces qui égarent, débris de l’instant, mouchards repoussés sur la scène où tout se passe comme si le mensonge qui nous séduit en eux et nous y lie se fait trouer et rabattre, fouiller parfois, lapider jusqu’à écarter la tentation à qui l’on ne doit pas d’explication, se résigner aux réponses, se charger des survies, serrer le cercle où ordonner comme surpasser ne veulent plus rien dire, lui qui fait aimer dans l’écriture la distance où elle se tient mal, où elle ne sait pas où elle va, où l’on se demande qui paiera pour le crime perpétré derrière le louche rideau qu’elle écarte, et le fumier à reprendre, l’idole qu’il lui faut soulager, le revenant dont elle ignore la répugnance, le cortège rentré à sa niche, le nulle-part qui n’est pas l’ailleurs, ni les généalogies qu’il cache, la clairière idolâtre qu’il se plaît à vitupérer, l’obstacle défait pour faire place aux manants, aux trimards, aux taulards nommés par-delà blessures et savoirs, et leurs morts inégales, l’ombre sur le rebord d’avant le grand saut que seul « l’oeil blanc bleu » sut voir, le doigt levé sur la faribole des choses, tisons, charniers, mottes broyées, tourbières où le secret racle sa gorge, où l’on ne joue pas à faire semblant, où se tient sans bouger la bête aux mille fracas, ce dont elle fait obscur commerce : l’Histoire, ses lames, ses leurres, ses avilissements, l’aigu du désir sculpté pour qu’on s’y vautre ou pour qu’on oublie ces heures qui le mordent ou l’effacent, le secouent ou l’épargnent, ce quelque chose qui chemine lentement sur les rives du fleuve insensé que les morts seuls traversent, là où toute lettre se retrouve enfin volée, elle qui, comme à jamais, sépare le dit du dire, le signe de l’ornement, l’amas à pétrir du lit des sables.

[texte écrit fin juillet 2017 pour les 72 ans de mon presque jumeau par l’âge – mon aîné de six mois, en fait -, jamais mis en ligne, puis repris et accru aujourd’hui à l’occasion de la récente parution (mieux vaut tard que jamais!) du « Cahier de l’Herne » qui lui est consacré]

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