
(Avec nos chères ombres, Rimbaud, Pessoa)
Bientôt nous ne serons plus au monde.
Nous ne gaspillerons plus la longue attente, le geste embusqué sans armes, les haltes qui naguère nous rachetèrent, la trace des tarentules, la mémoire que laboure la Méduse soucieuse, le feu reniant ses règnes, le seuil sans repentir, la tour de guet vêtue de cendre.
Nous écarterons (étrangement mêlés, somnambules) le temps aux certitudes rivées aux coups de rame qui nous étranglent, et le double tranchant des hasards, la saison aveugle, la débâcle fidèle jumelant cadences et lieux dans sa paume balbutiante, et la ruée crue, lissée, qui tremble et s’abîme, remonte vers la lueur en marge, s’en remet aux épines, ne touche les murs d’ocre chaude qu’au sortir du labyrinthe.
Nous irons là où d’Autres sont allés (nos frères perdus, marchant sur l’eau choisie, voulue), où l’air est en partance, le gîte engourdi et la contradiction inassouvie, où les choses devancent les mots qui les dévoilent, les dispersent et les exaucent, les scindent et les multiplient, les égarent et les séparent, où seule la poussière écrit ce qu’elle sait (« et que nous ignorons »).
Nous qui jadis prîmes part au désordre abrupt et sans alternative, qui accourûmes, forêt en marche s’en remettant aux seules ornières – nous, otages d’un avenir pris dans la nasse d’une impatience aux poings risibles – nous, aveugles témoins des griffures, des entraves et des boucliers – nous, qui fîmes allégeance aux illusions que raccourcirent ces miroirs qui aujourd’hui tant s’en vantent, et s’en étonnent…
Nous qui savons désormais que le réel n’existe pas, mais qu’il dure, semblable à l’adieu monnayé à vil prix, lui qui tout rétrécit, les doigts posés sur la pierre illégitime, l’outrage trop aisément adéquat, l’aulne dru, tendu vers ces fumées, ces mimétismes de pacotille, signes précurseurs du bout de terre bossu, de l’écho des vaux et des veillées, des lunes clouées à la sale voûte, de la mémoire de leurs cendres, de ce couteau qui n’est pas plus à nous qu’à elles, indu, indéfectible, fatigué de lui-même…
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