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Archive for décembre 2017

« Ne rien raconter de plus que ce que les mots eux-mêmes racontent. »
(vieux proverbe ouïghour)

On a tout essayé, tout tissé, tout rayé, tout épaissi, tout affûté, tout étiré.
On a cru que tout nous appartenait, de l’ordre à la promesse, du pavot qui rôde au galop des anges, du miel docile aux scrupules des ombres, des chaux ensommeillées au rauque acharnement des formes.
On n’a rien fait de plus, à quoi bon s’acharner? Comme de coutume, seules les bêtes poursuivront leur marche, elles qui connaissent nos noms, nos empreintes, nos lézardes et nos infamies, les guetteurs aux doigts calleux veillant nos amarres, asséchant nos bestiaires et nos égouts, les ténèbres de pacotille assaillant en aveugle de nos voix dégourdies les chairs scellées, méticuleuses…
Puisse le temps de l’oubli nous recevoir jusqu’à ce que tout s’épanche et s’achève: l’obstination des lichens, les cicatrices des détroits, le flottement des adieux, et des cordages derniers la sûre traîtrise.

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L’heure approche où, tous comptes faits, il te faudra coudre les noeuds, éparpiller les leurres, dévider l’écheveau qui finira par tout tirer à pile ou face: la foire aux girouettes, le fumier qu’on embroussaille, la moisson qui te confond, les gargouilles à contre-jour, la parole confiée aux élus, le rachat que guettent masques, congés, terreurs provisoires…
Ce qui te reste de sorts jetés, ce que tu laisses aux tiédeurs, ce qu’en tout lieu tu cherches, la besogne qui avance, la venue proclamée du traître captif qui sut te faire croire à ce qui aboie, rejette, assaille, démêle et clôt, le paysage qui imite la photo fourvoyée, le futur dont tu te souviens comme de l’orgueil écourté, le remède au chevet des terres éparses, l’imparfait carrefour aux effrois pareils aux tiens, le cercle sur le sol fumant et titubant, te dépouillant enfin du secret treizième, à ras de roc, lesté de déserts autour, là où la règle plisse, traverse et fêle la passe griffée qui fait taire les fagots, les mêlées, les recoins, la tache citant ton nom et tes prodiges, le coq noir que braquent allures et signes, la faute dont tu te fis l’esclave…

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                  (Avec nos chères ombres, Rimbaud, Pessoa)

Bientôt nous ne serons plus au monde.
Nous ne gaspillerons plus la longue attente, le geste embusqué sans armes, les haltes qui naguère nous rachetèrent, la trace des tarentules, la mémoire que laboure la Méduse soucieuse, le feu reniant ses règnes, le seuil sans repentir, la tour de guet vêtue de cendre.
Nous écarterons (étrangement mêlés, somnambules) le temps aux certitudes rivées aux coups de rame qui nous étranglent, et le double tranchant des hasards, la saison aveugle, la débâcle fidèle jumelant cadences et lieux dans sa paume balbutiante, et la ruée crue, lissée, qui tremble et s’abîme, remonte vers la lueur en marge, s’en remet aux épines, ne touche les murs d’ocre chaude qu’au sortir du labyrinthe.
Nous irons là où d’Autres sont allés (nos frères perdus, marchant sur l’eau choisie, voulue), où l’air est en partance, le gîte engourdi et la contradiction inassouvie, où les choses devancent les mots qui les dévoilent, les dispersent et les exaucent, les scindent et les multiplient, les égarent et les séparent, où seule la poussière écrit ce qu’elle sait (« et que nous ignorons »).
Nous qui jadis prîmes part au désordre abrupt et sans alternative, qui accourûmes,  forêt en marche s’en remettant aux seules ornières – nous, otages d’un avenir pris dans la nasse d’une impatience aux poings risibles – nous, aveugles témoins des griffures, des entraves et des boucliers – nous, qui fîmes allégeance aux illusions que raccourcirent ces miroirs qui aujourd’hui tant s’en vantent, et s’en étonnent…
Nous qui savons désormais que le réel n’existe pas, mais qu’il dure, semblable à l’adieu monnayé à vil prix, lui qui tout rétrécit, les doigts posés sur la pierre illégitime, l’outrage trop aisément adéquat, l’aulne dru, tendu vers ces fumées, ces mimétismes de pacotille, signes précurseurs du bout de terre bossu, de l’écho des vaux et des veillées, des lunes clouées à la sale voûte, de la mémoire de leurs cendres, de ce couteau qui n’est pas plus à nous qu’à elles, indu, indéfectible, fatigué de lui-même…

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