Les cannelures en spirale, les ellipses de la céramique rose de l’abat-jour projettent sur le plafond et les murs des traits, des ombres, fugaces, tortueux, peut-être or pâle, sûrement égarés.Tu fixes les lourds rideaux pendant aux fenêtres du salon, remarques les embrasures tressées s’achevant en grosses houppes qui les retiennent.Tu ne sais que trop pourquoi l’un des six fauteuils à été repoussé près du canapé, t’inquiètes de voir le morceau de parquet à l’endroit où l’un des pieds du fauteuil a retourné un coin de tapis (sans doute verront-ils qu’il est un peu plus clair car d’habitude caché au lieu d’être soigneusement ciré). Tu te décides enfin, marches à pas de loup sur le tapis cramoisi qui couvre l’escalier de marbre. Sur le palier, au tournant, tu salue la statue en stuc (nymphe? dryade?) qui soulève dans sa paume une autre lampe, à l’abat-jour en forme de lys, peut-être de glaïeul.Tu glisses à côté de la bibliothèque en acajou, du porte-parapluies imitant un vase chinois couvert de dragons.Tu sors sur la pointe de pieds, comme si quelqu’un pouvait t’entendre. Dans la rue déserte, tu te dis, comme tout au long de ces années lentes, entêtantes, que la suite finira par venir, plus tard (ou pas, mais que t’importe?) Chaque chose en TON temps, désormais!
(par – et un peu avec – Andrzej Kuśniewicz)
Archive for avril 2018
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCXLVII): « There is a land where everything is perfect and poisonous »
Posted in élucubrations, journal de bord on 24 avril 2018| Leave a Comment »
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCXLVI): Tangentes (en relisant « Une saison en enfer »)
Posted in élucubrations, journal de bord on 10 avril 2018| Leave a Comment »
Qu’importe, à celui qui eut l’altière impudence de s’éprouver « intact », le désordre buriné des choses, les pitons rabotés de derrière lesquels l’ennemi toujours finit par surgir, les hauts bocages où l’on pénètre à reculons, la respiration égarée, l’effroi des défricheurs, le consentement qui rôde en vain, l’irréparable erreur qui ouvre sur l’horizon sa pleine présence, et sa ruine?
Dans ces quelques feuillets mille fois interrogés, tomber du coup sur ceci: « Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite; je quitte l’Europe. »
Oui, tout quitter, tout délaisser, tout ensevelir, tout dérouter, les cachettes, les ruines, les marges, les trahisons, l’enclos aux fauves, les traversées échevelées, la scène piégeuse des débuts, nous livrant à l’informe prêt à tout accueillir: mains joueuses, matité des peaux, corps accroupis, miroitement sans gestes, voix du presque-rien, lointain qui toujours fera défaut, qu’on porte en soi sans qu’il le sache.
Ça n’en finit pas, ça crisse, ça craque, ça berce, ça émerge où le visible se tend, ça troue les clairières, séduit trêves et séjours, cerne des devins l’aveuglement, la « fameuse gorgée de poison » brouillant sans mesure le surcroît de réalité, ce qu’on défie, ce qu’on recouvre, ce qu’on efface, griffes mêlées aux catins de passage…
Bien sûr qu’il est « à réinventer », l’amour, comme tout le reste, l’entaille à demeure, le refus du bâti, la parole confinée, submergée, venant buter sur le désir inéclairé, mais entêtant, indistinct, ambigu, immense et vide, épine élue et éprouvée, présage au ras des terres, oeil aveugle rampant aux pieds du grand midi…
Ni mûrir, ni meubler, ni combler « la vieillerie poétique », mais faire sien le carcan que dilate la parole, le veuvage qui la lève, la rend irréversible, la remet aux vérités à deux faces, au temps par les mêmes eaux suspendu et profané, qui se déploie, sépare, s’empare des veillées au soir du grand départ, se mêlant à leur effrayant dénuement, à l’icône abîmant ces « vertiges » qu’après lui en vain l’on « fixe ».
Tout précipiter, alors, mais pas ces effets répétés pour obturer l’appel, clore l’attente qui solidifie, ronge et dissout, mais la ferme négation de tous prédicats, « opéra fabuleux », querelle privée avec l’illimité baignant « toutes les fêtes, tous les triomphes, tous les drames », écrits en ces heures d’avant-soir, comme en tremblant, presque furtivement, pour nous déposséder, nous perdre en chemin, nous rendre enfin rugueusement vivants.
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCXLV): N’être que le couteau…
Posted in élucubrations, journal de bord on 6 avril 2018| Leave a Comment »
La poésie (bien que je ne sache toujours pas ce que ce mystérieux vocable recouvre) ne se tient que là où le scandale qui la fait être se mue en parole apte à se faire entendre hors du cul de basse-fosse où on l’enferme, loin des chasses-gardées où s’ébrouent les usurpateurs, l’«à peu près» des médiocres et des faiseurs, leur « art » d’accommoder les restes, de changer de trottoir dès qu’ils la croisent, de s’emmêler les pinceaux en conciliant leurs brouilles, de rafistoler à la tête du client leurs bricolages, l’asphyxie par petits bouts, les dépôts en vrac, la profusion de déchets, l’écart entre un sens à jamais figé et le doute que ses ruses recoupent, poupées gigognes sans poids ni présence, indignes même de l’aumône d’un regard, taillis de mauvaises ronces, « magies » dont on a envie d’entailler les scories, d’esquiver les coups, d’oublier ces fictions prenant, au nom d’une mauvaise cause, pour de la clarté ce qui n’est qu’inepte transparence.
La guérison passe par ce qui fut oublié ou perdu, retrouvailles dribblant la vigilance de l’inventaire dont nul ne se porte garant, fil d’Ariane spoliant le labyrinthe, «machine désirante» nous rappelant qu’en poésie, la terre des commencements n’est plus forcément terre natale, et que c’est fort bien ainsi.
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCXLIV): « on whom my pains / Humanely taken, all, all lost, quite lost » (Will of Stratford).
Posted in élucubrations, journal de bord on 2 avril 2018| 2 Comments »
Tu es enfin arrivé en ces contrées où marchander les fables des fuyards ne rend pas maître de leurs caprices.
Il ne se passera rien, sinon la scène en arrière-plan, le terme vengeur, les noms secrets de l’arrêt, les géants à demi éveillés – ces tartuffes estropiés, ces bêtes rauques.
Le chuchotement sans traces, l’habit en vain revêtu, le guet adossé aux portes cochères, le repos à point sous les gouttières, tous ces lieux faits pour grandir, qui vont et viennent, coulent en toi, devinés à peine qu’on les quitte, qu’en feras-tu?
La voix qui tranche ne vaut pas celle qui trébuche, cinglant de débris en débris – celle que tu rompis, mais se fit tienne aux faîtes de la caverne.
De vraie attente il n’y en a qu’une, celle de l’ordalie déguisée en soufflet aux cheveux de laine, de la douleur apprise dans les vieux livres, blottie dans nos os qu’empale l’ordre nié de ce monde.
(2018)
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCXLIII): Pilori
Posted in élucubrations, journal de bord on 1 avril 2018| Leave a Comment »
Tout est signal, étau, tout se vend:
le silence des lichens, des suies, des paumes,
l’oubli qui met bas, les litanies du Rien,
le versant que les témoins dévalent,
les lambeaux sur le sable, mensonges,
matrices maussades.
Ne sois pas de ces mangeurs de feu qui te disent d’espérer, crache sur leurs bienveillants conseils, affranchis-toi de leurs clauses, morsures, fausses barricades,
états- majors, offres d’emploi, salles des coffres, veuves agioteuses, et du hasard qui trébuche et donne raison au plongeur maligne, aux histoires qui te fuient, à leurs yeux inviolables.
Plus rien à sauver, pas même les fins dont on parle là où l’on plie bagage,
le plomb qui ne veut démordre, le forfait que Charon ne proposa qu’à toi seul,
avec ses tas d’éraflures, de promesses, de mastics scellés, de carnets, de secrets,
de feuilles d’ortie signées (à lire avant qu’il ne fasse trop noir,
avant que ne s’efface le télégramme trop piégeux pour qu’on l’oublie),
de futurs en route vers l’erreur à l’avance démentie,
qui t’éloignent et s’en éloignent.
N’en finissent pas de s’éloigner.