« Cette idée de « tabula rasa », certains y crurent, à grand tort pour eux comme pour nous, tant il faudra du temps – vraiment beaucoup – pour mesurer, ici comme ailleurs, les ravages qu’engendra leur illusion, et en guérir. Interrogé dans un contexte semblable, Tabucchi, qui se tint toujours loin de ces errements, répondit: « Je vous répondrai avec une phrase de Pessoa. Quand on lui a demandé ce qui l’influençait, il a répondu: «Tout. Tout m’influence». Moi, je dirais la même chose. Je ne crois pas aux écrivains qui ne sont influencés par rien. » Qui pourrait le croire, en vérité, on se le demande?
On se souvient, par ailleurs, avoir bien vu (il y a un bout de temps déjà) un entrefilet nous annonçant à propos d’un livre pas encore ou depuis peu paru que ce ne sera pas du «déjà-lu déjà-écrit» comme si c’était là la plus remarquable des qualités, digne d’être signalée dès avant qu’on l’ait eu entre les mains. Pauvre Borges, qui savait comme personne qu’on avait déjà presque tout écrit sur les quelques sujets qui comptent pour de vrai, toujours les mêmes, les seuls qui vaillent, et que ce ne sont désormais que les quelques interpolations, déminages, rajouts, inflexions, commentaires, variations et détournements (lesquels forgent et déterminent ce que seraient, tout à la fois, la place, la qualité, la force et la «valeur» d’une oeuvre) qui importent »
Ces lignes écrites en 2016, j’y crois toujours, plus que jamais, même; pour nous en tenir à la poésie française, je plains celui qui, après Rimbaud, Mallarmé, Artaud, Char, Deguy et Prigent, titillerait en intrépide les gouffres et se frotterait bravement à l’inconnu pour en remonter du nouveau, tant je crains qu’il ne saurait que rentrer bredouille…
Dans « Un privé à Tanger », Emmanuel Hocquard le disait bien mieux que je ne saurais le faire (également plus lucidement, crûment et mélancoliquement):« le livre est impossible si ce n’est pour dire cet impossible: toujours une copie (apocryphe) d’un original de dérobant indéfiniment mais dont elle répéterait inlassablement le modèle absent. D’où le sentiment d’une inévitable dépossession liée à l’état de déportation à laquelle son propre livre condamne celui qui écrit ».
Rien à ajouter, Votre Honneur, sinon que celui qui l’a compris a TOUT compris!
Archive for novembre 2019
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCCXLIX): Le « nouveau », tout beau, tout bon?
Posted in élucubrations, journal de bord on 13 novembre 2019| 1 Comment »
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCCXLVIII): « Rien dans les détails, tout dans les yeux », disait-il…
Posted in élucubrations, journal de bord on 8 novembre 2019| Leave a Comment »
Il est temps de tout perdre, tout mettre en pièces, assumer la suie, soudoyer les essaims, racheter les dictées, éveiller les clous, épuiser les cognées, adouber l’écho qu’affûtent nos pas, perdre de vue le veilleur qui regimbe et amasse, se contredit là où avec lui l’on trime, où le ressaut s’acharne, où il n’y aura bientôt rien d’autre que les faux glas, les fables à deux sous, les langues démâtées, les bégaiements du multiple.
Ce qui n’a pas de sens n’a pas davantage de limites – c’est ce qui te fascine, t’a toujours fasciné: le second terme.
Toi qui fis tourner l’attente qui promet et le guet qui renie, qui sus leur faire les poches, choisir tes masques, marcher sur les tessons, pressentir l’omis et l’infime, hasarder acquiescements et panoplies, enjamber les chardons, découper les remparts, trahir les Lointains, louer l’oubli, faire tiens les ravins mouillés, le vent sur le causse, les îles à la dérive, ralentir la traversée qu’ignorent les fauteurs de frontières, délier la rauque injure qui aide à moins mourir – à quoi joues-tu qui tant leur fait peur, dis, à quoi?
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCCXLVII): Fable du tigre et de la tortue
Posted in élucubrations, journal de bord on 6 novembre 2019| Leave a Comment »
Le temps « retrouvé » par Proust n’est surtout pas celui qu’il avait décrété « perdu », ce qui nous habite est sans héritiers, l’adieu qui nous veille, fût-il disséminé sans hâte et à bonne distance, ne fait qu’arpenter cet envers où donner à voir ne suffit pas. En guérir, c’est laisser le Tout venir à soi, se dérobant une fois pour toutes aux illusions du faire.
Combien lentement vieillit celui que rien n’obsède, pas même la menace qui emporte, restreint, détourne ou pétrifie!
Rien n’est moins réaliste que le Réel, ce qui explique pourquoi tant d’oeuvres obéissant à des lois et relevant de modèles sonnent faux, sont « à côté de la plaque », irrémédiablement.
Il n’y a pas de « première fois » sinon celle de la grande discordance qui nous traverse – du manque qui s’étire et dissimule – de la dramaturgie toujours disponible qui rompt avec cette langue dilatée, remisée, qui n’a que faire de nous – de la réplique déshabitée du dedans, mais hors confins – de l’écume docile qui n’existe que dans nos rêves les plus violents – de la cartographie du désir, aux dérives, transfusions et étendues inséparables – du mensonge étiqueté « ici et maintenant », blessure de gens pressés, chant sans épaisseur autour duquel l’on tourne, engourdi, poreux, soumis à ce « rythme des autres » dont parlait Michaux où pleins et vides, ce qu’on érige et ce qu’on contourne se valent et s’enlacent…
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCCXLVI): Comme sur les bords du Rio de la Plata…
Posted in élucubrations, journal de bord on 4 novembre 2019| Leave a Comment »
Plus rien n’aura lieu dans la lumière sans mesure sinon le lierre et les lucarnes, l’heure retouchée qui veille et tord, le hasard cousu sur les prête-noms, la lenteur enjambée, la guérison s’élargissant sans bruit, renversant liens et formes, te retrouvant dans ce qui fend, fait poids, donne et prend, tisse sans jamais s’attarder à ce qu’elle abandonne…
La littérature que tu hais telle qu’elle s’offre aux yeux des autres (au point que dans les moments de colère elle t’apparaît si rabougrie, si tassée que tu la proclames inexistente), c’est celle où il n’y a ni constellations, ni souffles, ni cheminements, ni jointures – que des effets.
Écrire, c’est revoir, pas inventer (Celan le savait déjà).
Quitter le lieu qui craque à mesure qu’on avance, le devoir jamais remis, l’odeur du bois, la roue truquée, les chairs et les cassures – mais pas la nuit, ni la soif, ni la parole, ni les étreintes.
JOURNAL D’UN AFFRANCHI (CCCCCXLV): Mouvement perpétuel
Posted in élucubrations, journal de bord on 3 novembre 2019| Leave a Comment »
Le temps frangé de creux/
Les belles absences troussées/
La légende complice de qui la renverse/
L’arrière-pays balbutiant itinéraires et tintamarres/
Les bêtes et leurs volte-face/
La mesquinerie de ce qui est/
L’éclair qui contourne et tarit/
Le nu promis aux broussailles/
Le repos dans la mer/
La délation captive des plaines à tenir/
Les gestes repus, stagnants, cassés/
Le bleu précis tirant sur le fil qui s’acharne/
Les phases de l’éloignement/
L’épine qui assigne et assaille/
Que te reste-t-il d’autre?