À toi qui me fis connaître cet autre, issu de tes rêves, qui « fut un homme qui déambula dans des rues qui me sont familières, qui sut ce que savent les hommes, qui connut le goût de la mort, qui fut ensuite un couteau, puis le souvenir d’un couteau, et qui demain ne sera plus qu’oubli, l’habituel oubli. » (Jorge Luis Borges: Juan Muraña)
C’est la mémoire que tu maudis, ses mensonges dévoyés, ses voeux raccourcis, ses instances statufiés, et les ogres marqués par la corne, les veilles lavant le clan des morts, les dieux disséminés au vent fléchi, les foulées t’éloignant des seuils et des fins, des voies et des signes, la moelle des temps s’achevant en défaite, les épousailles frôlées par l’événement qui te tisse et t’érige.
« Mon récit sera fidèle à la réalité, ou du moins, au souvenir que je garde de cette réalité, ce qui revient au même » (Jorge Luis Borges)
Nommer l’infime, la lumière cousue sur l’embûche, le regard titubant qui nous mit en chemin, le secret dont chacun peut se saisir, les failles et les maraudes, les sources remontées jusqu’au vouloir de l’effacement, le nom amputé se mouvant souverain dans l’entaille que l’opuscule qui toujours nous accompagne couve et éclaire.
Ne rien nommer, renier, encenser ou pourfendre, tourné que nous sommes vers l’ourdisseur de tigres et de miroirs, et le poids de ce Rien dont le dit est l’immanence, et la traque où se déploie l’épreuve du monde, ses marges ébouriffées, ses combles offerts, les estuaires où la mort vient nous piéger, nous démâter, nous déposer où le réel nous desserre.
« …mais aucune de ces impressions fugitives, qui peut-être furent autres, n’a d’importance. Ce qui importe c’est d’avoir senti que notre plan, dont nous avons souri plus d’une fois, existait réellement et secrètement, et que c’était l’univers tout entier et nous-mêmes. Sans grand espoir, j’ai cherché ma vie durant à retrouver la saveur de cette nuit-là; j’ai cru parfois y parvenir à travers la musique, l’amour, la mémoire incertaine, mais elle ne m’a jamais été rendue, si ce n’est un matin, en rêve. » (Jorge Luis Borges)
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