Pour Cédric Demangeot – in memoriam
« La rupture
est irréparable. Elle
est lumineuse. Il
faut aimer cette clarté, l’
approfondir. Il
faut aggraver la rupture. »
(Cédric Demangeot)
« Voilà pourquoi je t’envoie un salut impossible, comme quelqu’un qui fait de vains signes d’une rive à l’autre du fleuve tout en sachant qu’il n’y a pas de rives, vraiment, crois-moi, il n’y a que le fleuve, avant nous ne le savions pas, mais il n’y a que le fleuve, je voudrais te le crier: attention, sache qu’il n’y a que le fleuve! maintenant je le sais, quels idiots nous étions, à nous préoccuper tellement des rives quand il n’y a en fait que le fleuve. Mais il est trop tard, à quoi sert-il de te le dire? »
(Antonio Tabucchi)
Tu te souviens du silence, qui n’est pas ce qu’on croit.
Tu te souviens des leurres, des cautères, des métamorphoses.
Tu te souviens de l’oubli fuyant le jour premier, le legs égaré.
Tu te souviens de l’exil, des sentiers et des sources.
Tu te souviens de ce qu’on dérobe à qui pourrait l’entraver.
Tu te souviens de ce qui séduit et dévisse.
Tu te souviens des mots qui encombrent mais façonnent.
Tu te souviens de la marque au front, des otages de la rouille.
Tu te souviens du dieu sauvage.
Tu te souviens de l’aveu, des griefs et des délais.
Tu te souviens de ce qui fut comme de l’éclipse qui t’en sépare.
Tu te souviens de la douleur ni rare ni incomplète.
Tu te souviens des amulettes qui en vain s’amoncellent.
Tu te souviens de la respiration qui frôle et divise.
Tu te souviens de la mêlée qui t’efface.
Tu te souviens de ce que tu ne t’es pas laissé être.
Tu te souviens des créanciers de l’étant, du labyrinthe qu’ils te firent rejoindre.
Tu te souviens de la lenteur qui protège.
Tu te souviens du chemin qui se suffit à lui-même.
Tu te souviens de ce qui creuse et altère.
Tu te souviens des jours, des veilles, des étendues.
Tu te souviens du temps.
(2021)