« Je n’ai pas l’intention de passer ma vie à attendre d’être reconnu par les idiots qui dirigent le marché du livre […] J’ai mon mot à dire et je n’ai pas l’intention de transiger sur ma façon de le dire. Je suis persuadé que j’aurai un public. Il y faut seulement du courage et de la persévérance. » (Lettre de Henry Miller à Emil Schnellock, 28 août 1934)
L’attente et l’espoir étant d’implacables ennemis du bonheur et de la paix du dedans, la seule qui vaille, j’ai passé ma vie à écrire avant tout pour moi-même (ce qui est le cas de la plupart des écrivains, qu’ils l’avouent ou non), car je considère qu’écrire pour celles-ci ou contre ceux-là, pour promouvoir telle thèse ou alors la réfuter, s’appesantir sur tel thème ou tel autre, n’est pas mon boulot en tant qu’auteur, alors qu’il l’est tout à fait en tant en tant que citoyen engagé – et tu sais bien que je ne m’en prive pas.
La fameuse reconnaissance (à laquelle je n’accorde pas moins de poids qu’elle n’en a, pas davantage non plus) est petit à petit venue au fur et à mesure que mes écrits sont apparus sur la scène publique au travers de quelques publications dans des revues et, surtout, de mon blog (soit, en gros, depuis 2009); dans la mesure où elle est le fait de gens que j’admire et respecte, elle me suffit largement qualitativement, l’obsession de la quantité n’étant guère mienne, dans ce domaine comme dans d’autres.
Le marché du livre étant ce qu’il est (les choses ayant même sûrement empiré depuis 1934), j’ai dès 1977 pris la décision de m’affranchir des rites et rituels conduisant, pour une minorité d’élus, du manuscrit achevé à la publication par un éditeur du livre qui en découle, refus auquel je me suis fermement tenu jusqu’au jour d’aujourd’hui. En ce qui concerne ces acteurs essentiels dudit marché du livre que sont les éditeurs, je ne les vois guère comme des salauds, ce que ne sont, en dépit de leurs immenses autres défauts, ni les requins trustant prix et gros tirages – toutes choses dont je me moque éperdument – car sachant qu’il y a en leur sein, ici et là, des dénicheurs et défricheurs dignes de ce nom, ni – bien moins encore, et ça fait partie de leurs grands atouts – l’immense majorité des petites maisons d’édition (et quelques moyennes) où l’on trouve à foison enthousiasme, compétence et, surtout, le courage permettant de sortir de l’air du temps ou, mieux encore, de ne pas s’en soumettre, avec à la clé une vraie ligne éditoriale, claire et assumée (ce que je considère comme une qualité), mais qui peut conduire dans pas mal de cas à un catalogue d’oeuvres et d’auteurs pourvu de l’indispensable zest d’éclectisme le rendant ce qu’il pourrait, voir devrait être, à savoir encore meilleur.
Avoir son mot à dire sur tout cela, ne pas transiger sur le contenu et la manière de le faire, demeurent plus que jamais d’impérieux devoirs, mais l’expérience montre que, s’ils continuent d’être un vecteur nécessaire de changements ô combien souhaitables, ils n’en sont, hélas, en rien suffisants, et je ne dirai jamais assez mon scepticisme à court comme à moyen terme à ce sujet.
Ma conception de la littérature, mon écriture et ce qui en découle, font que je n’ai jamais considéré que les multitudes répondront à leur appel (rire franc et appuyé, comme j’aimerais qu’on l’entende!), un public réduit, mais de qualité me satisfaisant amplement et pleinement – que celles et ceux pour qui la quantité compte me pardonnent, moi qui n’oublie pas que « la dynamique réside dans l’esprit de l’écrivain, pas dans la taille de l’audience. » (lettre de Don de Lille à Franzen)
La persévérance et le courage ne m’ont, me semble-t-il, pas manqué non plus, pas pour m’assumer comme histrion, mais pour continuer, envers et contre tout (mais pas contre tous) à faire dans mon coin ce que je me devais à ma façon d’accomplir. La magnifique citation de Miller m’a également aidé à me souvenir, en contrepoint, de l’infâme (il n’y a pas pour moi d’autre mot!) adresse de Bukowski aux « jeunes poètes » et de la réponse que j’y fis il y a presque onze ans de cela: https://andrelbn.wordpress.com/2014/07/01/je-me-souviens-xxxi-mauvais-conseils-2010-2/
Que dire de plus, pour conclure, que ceci, reflet de mon état d’esprit d’aujourd’hui, et de toujours, dont, compte tenu de mon âge, il y a fort peu de chances que je me départisse: https://andrelbn.wordpress.com/2021/02/10/journal-dun-affranchi-cccccclxv/
Gallimard ayant « mangé » Les Éditions de Minuit (qui ont fait ici preuve de peu de résistance), on peut en effet s’interroger sur l’avenir des éditeurs indépendants – sauf si chacun se met – « quoi qu’il en coûte » – à éditer ses propres œuvres ou celles d’amis qu’il aura choisi lors de son propre et solitaire « comité éditorial ».
Mais ceci est une autre histoire (qui pourrait donner lieu à un livre en papier, de préférence) ! 🙂
choisis (bien entendu).