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Archive for the ‘élucubrations’ Category

Creuse

car 7

Écoutez, moi ça fait cinquante-sept ans que je creuse (à peine trente-sept à vrai dire, car pendant vingts ans j’ai eu l’impression que je ne creusais plus, voire que j’étais « dehors », sans trop savoir d’ailleurs ce que ce vocable voulait dire). Je creusais, disais-je, insouciant et heureux, sachant que j’étais emprisonné, mais que c’était le lot de (presque) tous, je creusais serein sans savoir vraiment pourquoi, sans regarder mes voisins (ou alors pas trop), sans écouter ce qu’ils disaient (ou alors de temps en temps seulement), ce n’est qu’il y a quelques années que mon avocat m’a expliqué qu’en fait je creusais pour me retrouver dehors, où l’on était mieux, en tout cas plus libre de ses mouvements. Il faut que je vous dise que depuis quelque temps on a Internet dans la prison, c’est ainsi que je suis tombé sur un article (signé d’un gars nommé Pierre ou Paul Vinclair, je ne m’en souviens plus très bien) expliquant que la forme dudit trou (qui s’était agrandi au fil des ans) tout comme le matériau dont était faite ma cuiller étaient liés à mon année de naissance, par voie de conséquence à la génération à laquelle j’appartenais, connue pour ses illisibles sentences faites de grands mots creux començant par de risibles majuscules. Cela ne m’a pas découragé, au contraire: comme mon avocat continuait, pour de mystérieuses raisons, à me rendre visite alors que tous mes recours et même mon pourvoi en cassation avaient été rejetés, je lui ai fourni une liste de dix entreprises spécialisées dans le creusement de trous dans les murs en le priant de leur demander de se mettre à mon service. Aucune d’entre elles n’a, bien entendu, donné suite, car (et je le savais) il est formellement interdit de creuser des trous dans les murs des prisons, qui plus est à la demande d’un détenu. N’ayant rien d’autre à faire (rien de mieux en tout cas), j’ai continué à creuser avec acharnement, même en sachant que le dehors est une illusion et que d’y être une plus grande encore, Sisyphe entre les Sisyphes conscient qu’il en sera ainsi jusqu’à ce que l’on termine ce qui jamais ne s’achèvera, la preuve:

L’on creuse pour mettre à jour la beauté qui allège et délie, pas celle que parodient ses naufrages /

pour y retrouver celle qui sait que toute rature est présage /

celle qui ayant trouvé sa place se fait poussée de nuit, giclée de sang, force endiguée, lande brouillée, regard sans rides, parole sans imposture « où il n’y a que des disciples, pas d’esclaves »  / 

celle en qui la pauvre voix de l’oracle se meurt /

celle qui se récuse de faire de la forme un jeu, de la parole qui porte secours cette royauté qui balbutie, étonnée d’avoir tout manqué /

celle qui sait que l’heure de s’en aller est trop proche pour qu’on l’offre à l’Un masturbateur, au retard  désormais son seul lieu /

celle qui couche en joue ce qui mutile ou gaspille, les règles, les tentations, les termes néfastes / 

celle sur laquelle aucun pouvoir n’a de prise, libre de tout dessein, de toute rancune /

celle qui sait que « le passage à l’acte n’est pas une solution imaginaire » /

celle qui arrache le masque du faire du vouloir dont on l’affuble, du vil compagnonnage des essences et  registres, de l’adieu blotti dans la défaite des harangues, du soupçon qui toujours le cache, de l’oubli où tout se mèle et se relève, de la dictée du vide où la mort n’encense que ses langages.

(Brasilia, mai 2024)

  

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aj7

« Out, out, brief candle. / Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets upon the stage, / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. » (Shakespeare)

Avant l’effroi et la souillure, avant le défilé des masques te privant d’éveil et de mémoire, avant la ruelle soudain trop étroite, avant le soupçon qui te fit l’arpenter, avant l’inventaire des nasses, avant cet exil qui n’est ni congé ni désertion, avant ces jeunes siècles gardiens de ce qui taille et éteint, avant le canot des morts et l’heure des dons, que vienne la joie de pressentir que tout ce qui EST n’est pas ni situé, ni déposé, ni cadenassé! 

Quelles parts tordues, quels feux douteux, quels reculs dans l’aigu, quelle parole autre que celle que le possible gouverne, quels noeuds défaits, quelles crues sans fard jetées en pâture à l’Autre, quel mal comme en avant de la promesse jamais faite?

S’éloigner autrement qu’en mots des infamies de ce monde, des vigiles de l’attendu, des maîtres des liens et des amarres, de l’ogre éperdu titubant là où la parole te quittera, des tatouages polis jusqu’à la chute, des vertiges auxquels tu répugnes, des rouages tordus de ce réel qu’il faut, pauvrement, authentifier, du sommeil qui finira par t’avouer ce qu’il cache à tous, du silence complice de l’ombre où tu le sus…

(Brasilia, avril 2024)

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Tout est retard t’élargissant, hasard qui t’appelle au loin, clef qui toujours t’échappe, perte que te cache la fumée des heures englouties, longues à effacer, à n’attendre personne, à fixer la fenêtre où s’oublie le jeu qui tout raccommode, le souvenir du geste qui seul t’appartint…

(2022/2023)

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Presque oublié l’instant où tu crus que plus rien ne t’atteindrait  de l’autre côté du virage conjuré où tu n’aurais pas dû être, tout près du bruit où tout se dérobe, de l’ombre qui te dissipa presque…

Défilèrent alors à vitesse inhumaine plein de choses, c’est n’est qu’après coup que tu choisis celles de ce temps où l’on dormait peu, où l’on ne faisait pas semblant, où tout nous allumait: les virées près du phare, les clefs et les clôtures, le sexe et les chamailleries, les paupières entrouvertes sur le Rien, les trous dans les photos brunies

Puis tout recommença, les jours torves dans l’attente des sortilèges, les mises en scène où l’on se perd, et les parjures, et les éclaboussures, les bons augures et les grandes solitudes – quoi d’autre?

(2022/2023)

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fortaleza

Tout ce bruit derrière toi comme si la dépouille à venir te fit revoir cette vie vécue telle qu’il fallait la vivre, ce trouble que le temps ronge près de toi comme si quelque chose se devait d’arriver pour l’en conjurer, t’en protéger.

Pour l’heure les seules choses auxquelles tu crois, c’est la mémoire entrebâillée, le concert des crapauds et des cigales, l’âcre odeur des feux, les verres de l’eau qu’on dit de vie, la clairière qu’assiège le crépuscule…

(Penser sans bouger, seul dans le silence, prêt à laisser la mélancolie sans présages envahir les repentirs de ce monde)

(2022/2023)

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