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Archive for décembre 2014

a m Ariane Molkhou

 

Il n’y a rien à faire, je ne m’y ferai jamais, je chiale toujours comme une madeleine en lisant le magnifique article d’Ariane, écrit le lendemain de la mort de Bob:

   « Gérard Bobillier ou la conscience de l’écart

«Voilà ce qu’il ne faut pas être » disais-tu en parlant de moi, ça commence comme ça entre nous, ça commence par un coup d’épée, de ligne, de langue à qui on ne la fait pas, ça commence par la vérité.
À l’époque, je vais très mal, je m’endors dans la journée, devant Henri Meschonnic je m’endors, devant Jaques Réda je m’endors, tu prends ta fourchette et tu me l’enfonces dans les fesses, tu me dis : « si tu t’endors, tu meurs, si tu meurs, tu pars de chez moi, c’est compris ? ».
J’y comprends rien, je te hurle au visage que je fais ce que je veux, tu hurles encore plus fort, doucement tu hurles, c’est à celui qui existera le plus, c’est puissance contre flammes, c’est mille fois mille cris d’orage, c’est permanent, ne cesse pas, tout ce temps où j’ai travaillé aux éditions Verdier tu n’as cessé de m’aimer.
C’est la confiance. C’est la conscience. C’est l’éveil et l’errance. C’est l’histoire d’un type qui s’appelle Spinoza, la grande usurpation de la philosophie, tu t’arrêtes, me balances des crayons de couleur, c’est violent, c’est pour le coloriage, c’est la vérité, tu sens que je pige pas, je choisis de lire Éthique. Et les nazis qu’est-ce qu’on en fait ? On les flingue.
J’attendais d’aller mieux pour te revoir, je suis allée mieux et puis je me suis dit je vais aller encore mieux que ça, je veux qu’il n’en revienne pas, tu parles, t’en ai jamais revenu. Tu danses ? Tout doucement à l’oreille tu me dis ça, tu danses ? Il est 16 heures, je travaille sur le Zohar, tu me prends dans les bras, j’ai pas le choix, on danse, parfois tu te pinces le nez avec voix de canard et tu réponds au téléphone « Gérard Bobillier n’est pas là, veuillez laisser message, merci », je hurle de rire, je suis tordue, allez maintenant tu pars, arrête de travailler, arrête tu me dis, j’arrêterai pas, c’est moi qui décide, non c’est moi, je te fais face, toi l’immensité d’homme, me laisse pas faire, l’intelligence et l’âme, je résiste, j’ai 20 ans, je te mords. Ariane, il y a Maïmonide au téléphone. Balle au centre.
Dans ce bistrot, tu m’envoies des signes, une sorte de langue inventée par toi pour nous, la kabbale, c’est à mourir de rire, j’en oublie l’alphabet, je pleure, c’est cela que tu appelles l’écart ? je ne sais plus qui je suis, inverse les syllabes, l’ordre des mots je ne sais plus, de quelle langue es-tu ? Suis-je ? Seulement, suis-je ?
Je t’ai connu 6 mois, on s’est vu de temps en temps après et puis j’ai arrêté de te voir, j’avais cette obsession d’aller mieux, pas une obsession, une exigence, devant toi je voulais être, pas moins.
Il y des êtres qui cherchent toute leur vie à devenir eux-mêmes et d’autres qui cherchent à se quitter, je fais partie de la deuxième catégorie me disais-tu, c’était hier, c’était il y a longtemps, c’est le petit bistrot de la rue Saint-Antoine où tu m’offres à déjeuner tous les jours, à la fin tu me dis : prends, c’est pour toi, c’est trop, Bob je peux pas, tu me réponds, fais pas d’histoire, va aux putes.
Je voulais t’en mettre plein les yeux, je voulais que tu saches que j’en étais pas restée là, tu es mort aux soins palliatifs hier à Carcassonne. Tu m’as piqué les fesses, fait bouffer les tripes, arraché la conscience. Je ne t’ai jamais revu. »
(Ariane Molkhou)

 

gb  Gérard Bobillier

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« – King Lear: Dost thou call me foul, boy?
– Fool: All thy other titles thou hast given away; that thou wast born with. »
( King Lear, I, 4)

« Je me contredis? Eh bien, je me contredis. » (Walt Whitman)

La contradiction, oui, qui souvent permet de modifier, de parfaire, de compléter, de corriger, d’amender, qui appelle tout comme elle autorise la marge jalousement préservée empêchant l’adhésion aveugle, faisant que l’on évolue sans rompre, sans virer de bord, sans rien renier ni oublier…
Rien à voir avec ces renégats, ces « apostats » qui ne cessent de brûler avec zèle ce qu’ils avaient ( sans doute mal, et superficiellement) adoré et auxquels l’aumône du mépris serait encore de trop…
 » Maintenant nous disons, bien sûr: On ne veut plus tout ça, la guillotine, les commissaires du peuple. Évidemment, puisqu’on n’a plus de visée communautaire, de visée du meilleur. Maintenant, la doxa dit que tout communiste est un chien. Je crois qu’il faudrait repenser la vieille phrase sartrienne: Tout anticommuniste est un chien, ça a quand même une autre gueule, non? La visée du meilleur ne peut passer que par une sorte de férocité… »
Comme tu as raison, Pierre Michon, qui fus, aux temps de braise – comme tant d’autres que j’aime et dont je respecte la fidélité et la cohérence – du même côté de la barricade que moi, qui plus est dans la même zone, si je puis dire!
Comme vous mentent, vous endorment et vous trompent ceux qui vous susurrent mielleusement qu’on fera l’omelette ( « car il faut la faire, c’est à l’ordre du jour en ces heures terribles », l’admettent-ils à mi-voix), mais sans casser des oeufs, surtout pas!
Eh bien non, il faudra en casser – à un autre rythme, d’une autre façon, certes – car ceux d’en face n’ont rien compris, rien appris et ne céderont que ce qu’on leur aura arraché, comme toujours!

 

 

Lorsqu’on évoque « l’hypothèse communiste« , c’est, bien sûr, à Alain Badiou (dont certaines choses me séparent, mais auquel tant d’autres me lient) qu’avec raison l’on pense, au sens où l’on postule que toutes les formes nouvelles d’organisation, les expérimentations les plus diverses au niveau local, les conséquences, au sens fort, de ce qui mérite que l’on nomme « événement » (à savoir ce qui « advient », mais ne peut être reconnu « qu’après coup, dans la figure de la construction de la vérité à l’origine de laquelle il se trouve »), les luttes dites « minoritaires » (femmes, Noirs, gays, habitants des « quartiers », sans-papiers, chômeurs, intermittents, sans-logis, etc) n’ont de sens QUE si elles sont compatibles avec l’idée que la société pourrait un jour ne pas être organisée sur des bases autoritaires, hiérarchiques et communautaristes (au sens « essentialiste » du mot, bien entendu), ce qui est, à tout le moins, très difficile à envisager en se cantonnant dans l’espace de la « démocratie » telle qu’elle fonctionne aujourd’hui (rappelons aussi que, dans « La comparution », Jean-Christophe Bailly et Jean-Luc Nancy soulignent avec force que l’hypothèse communiste n’est nullement assignée à une norme ou à un contenu pré-établis, mais à la pensée d’un « être ensemble » que « rien de défini ou d’indéfini, advenu ou à venir, ne saurait épuiser.« )
S’il est exact que « la construction de la procédure de vérité, quelle qu’en soit l’échelle, n’est pas pacifique », il n’en est pas moins vrai que celle-ci est « toujours subjectivement réactualisable dans un contexte entièrement différent et que ce n’est que cette résurrection qui la valide comme vérité universelle. » (Badiou: Logique des mondes)
Toute universalité « neuve » n’est pas forcément destruction, celle-ci peut n’apparaître qu’à un niveau restreint, et non pas comme une pétition de principe, ou même (à partir de « L’être et l’événement ») le neuf peut se trouver conçu comme pouvant venir se rajouter, s’agréger à ce qui le précédait, sans nullement le détruire.
La pleine et entière affirmation de l’universalité de la vérité peut désormais aller de pair avec la conception selon laquelle il faut « accepter qu’il y ait de l’indifférence au vrai et qu’il n’y ait aucune raison qu’elle se traduise par l’anéantissement, par la négation ou par l’exclusion », la définition de l’authentique tolérance résidant non pas dans le flou et fuyant « à chacun son opinion, il n’y a pas d’universel du tout », mais bien dans l’idée que « l’universel dans son essence véritable est capable de supporter qu’on lui soit indifférent. » (Badiou)
Impossible – et c’est tant mieux! – de séparer de nos jours (à l’inverse de ce que postule une forme dévoyée de marxisme, dogmatique, mécaniste, sclérosée et réductrice, dans la ligne d’un Clouscard ou d’un Monville, ou alors, à l’opposé, la vision de ceux pour lesquels combattre les différentes discriminations serait prioritaire par rapport à la propre – et plus que jamais essentielle – lutte des classes, divisant ainsi les exploités au plus grand profit des exploiteurs et menant inexorablement à cette « guerre de tous contre tous » dont parle avec raison Žižek) les combats à contenu économique et social de ceux appelés « culturels » ou « sociétaux », pas même de concevoir une éventuelle frontière étanche les séparant et qu’il conviendrait de démolir, alors qu’au contraire, ces mêmes luttes ne cessent d’aller à la rencontre l’une de l’autre, de se mêler, se confronter parfois, se renforcer le plus souvent. « Exploitation » et « aliénation » sont, il est vrai, des procédures de vérité différentes, mais pour en finir une fois pour toutes avec l’abomination qu’elles incarnent, le mot d’ordre est, en ce qui me concerne, bien le même qu’il y a quarante-six ans, et comme toujours: « Une seule solution, la révolution! » (en y intégrant, bien entendu, tout ce qui a changé, évolué, tout ce qu’on a compris et appris, sans, bien entendu, rien renier ni oublier)…

 

 

 Slavoj Žižek

 Judith Butler

Le simple fait qu’une libertaire et féministe comme toi ne pense pas à me biffer d’un trait rageur parce que je tiens Žižek pour l’un des rares vrais héritiers du grand barbu est un soi un énorme progrès…
Mais rassure-toi: si notre controversé Slovène a des intuitions, des fulgurances comme peu d’autres, s’il est plus qu’à son tour à l’origine d’analyses brillantes, décapantes, pertinentes concernant ce pauvre monde éclaté (le nôtre, et il n’y a pas, pour l’heure, d’autre…), je ne suis ABSOLUMENT pas d’accord avec TOUT ce qu’il dit, en particulier pour ce qui est des luttes dites « minoritaires », comme on les appelle fréquemment. Mais je ne conçois pas qu’on le rejette en bloc sans de plus fines approches; c’est comme si je disais, moi: « pitié, non, pas Judith Butler! », ce qu’il ne me viendrai jamais à l’esprit de faire, malgré les différences et divergences, parfois notables, que je peux avoir avec sa pensée…
Je suis sûr, de surcroît, qu’à l’heure des luttes, nous sommes, et serons, toi et moi, ensemble et du même(bon) côté de la barricade. Mais que les choses soient claires: je préférerai toujours quelqu’un qui dit « Je suis, oui, une femme, un(e) Noir(e), un(e) gay, un(e) musulman(e) qui lutte, avec et comme les autres, contre cette abomination égoïste, autiste et mortifère, qui souille, pervertit et détruit à terme tout ce qu’elle touche, faisant, par définition et conviction appel à ce qu’il y a dans l’homme de plus vil et dont le nom est capitalisme » à quelqu’un qui dirait: « Je suis AVANT TOUT femme, Noir(e), gay, musulman(e), participant accessoirement, un peu à la carte et selon MES intérêts, aux luttes anticapitalistes. »
La société patriarcale, le machisme, les violences faites aux femmes (voilées ou non), les inégalités les frappant ne disparaîtront pas AUTOMATIQUEMENT avec le capitalisme (erreur et hérésie que de le penser!), mais ne disparaîtront CERTAINEMENT pas avant son trépas…
Rejetons donc, ensemble, les mortifères approches communautaires (qu’elles soient basées sur l’ethnie, le genre, la couleur de la peau, la religion, les préférences sexuelles, que sais-je d’autre, mais relevant immanquablement du: « NOUS, c’est à dire PAS EUX ») au profit de la SEULE identité par situation et par définition « non-essentialiste », laquelle, par voie de conséquence, n’exclut personne, à savoir l’identité ouvrière!
(vraie lettre, écrite en 2010)

[Nota du 1er août 2014: la plongée dans le cœur des travaux fort intéressants, passionnants même de Christine Delphy et de Sadri Khiari, lesquels pointent vers un horizon en tout point opposé, n’a fait que fortement me renforcer dans mes convictions, car le monstre, ce n’est qu’ensemble qu’on l’abattra, et sans œillères…]

 

 

« On dit d’un fleuve emportant tout qu’il est violent, mais on ne dit jamais rien de la violence des rives qui l’enserrent. »
(Bertold Brecht)

À méditer longuement par les « têtes d’oeuf » des innombrables « think tanks » toutes tendances confondues (enfin, y’en a quand même plus, et un peu plus pires, à droite – mais pas seulement, hélas, loin s’en faut!) qui prolifèrent comme champignons après la pluie, pour notre plus grand malheur, il faut bien le dire…(jamais vu, d’ailleurs – au point que ça ne peut pas être le fruit du hasard – une telle collection de « tronches de premiers de la classe comme c’est pas possible », pour reprendre les termes de notre cher Coluche, avec les résultats que l’on connaît…)

 

 

« Pourquoi devrais-je jouer à l’imbécile de Romain et mourir
De ma propre épée. Tant que je vois des hommes debout et vivant, les blessures
Leur vont plus à eux qu’à moi. »
Qui parle, Macbeth, ou l’un des grands et petits satrapes, en place ou alors apprentis la convoitant, ici, là, et partout? S’agit-il de l’Écosse au Moyen Âge ou de l’Afrique, du Moyen Orient ou de l’Ukraine aujourd’hui? Oui, Shakespeare était vraiment génial, plus encore que je ne le pensais…

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« L’auteur n’est pas mort, mais se poser comme auteur, c’est occuper la place du mort. »
(Giorgio Agamben)

Tout livre digne de ce nom est toujours encore à venir; l’on se doit de vivre le superbe titre de Blanchot comme pléonasme, et comme c’est difficile!

Il y a quelque deux ans de cela, quelqu’un m’a demandé si je connaissais des noms d’écrivains nés la même année que moi (au moins trois…).
Je répondis que c’était facile, qu’il s’agissait de surcroît de gens que, dans des optiques, pour des raisons et de manières différentes, j’aimais beaucoup, et citai (par ordre alphabétique): Tony Duvert, Pierre Michon, Patrick Modiano et Christian Prigent (c’est, on peut le vérifier, rigoureusement exact!)
J’ajoutai que lorsque je serai grand, je voudrais être un peu comme eux. De qui avait posé la question, je n’entendis plus jamais parler…
Conclusion logique: on ne fout la paix qu’aux fous (z’avez remarqué l’homophonie, hein, tous les espoirs me restent permis…)
(automne 2009)

Ah, le « surécrit« …Si je comprenais ce que ce terme à la mode veut dire (ce qui n’est pas tout à fait le cas), je dirais qu’à ce compte-là il s’applique tout à fait à une bonne partie de l’oeuvre de Flaubert! (et de bien d’autres, pour ne pas parler QUE de noms de solide consistance – et il y en a quelques-uns, jusqu’à nos jours, Gracq, Laporte, des Forêts, Combet, Michon, et j’en passe, et pas de meilleurs…) J’ai souvent regretté qu’il n’ait pas vraiment écrit son « livre sur rien« , celui qui tiendrait debout par la seule force du style, car pour moi l’écrivain digne de ce nom vaut essentiellement par la qualité de son écriture, pas moins que le bon boulanger par la qualité de son pain, le bon potier par celle de ses vases et le bon menuisier par celle de son travail du bois (Dame, ai-je dit une bêtise???)
Prétendre que je ne m’intéresse pas du tout, ou très peu, au « sujet« , au « contenu » (oh le vilain mot dans ce contexte!) serait effrontément mentir; s’il y a de bons sentiments, des pensées profondes (et, de préférence, originales), d’intenses quêtes spirituelles, un véritable engagement dans la vie de la cité, j’y suis attentif, sensible souvent, admiratif parfois, j’en qualifierais même les auteurs, dans l’ordre des cas susnommés, de bisounours émérites, d’authentiques philosophes, de mystiques « habités », de fins politiques, en aucun cas – S’IL N’Y AVAIT QUE CELA – de « vrais » écrivains, ah ça non, jamais!
(2012)

Martin Winckler

Il y a un an et demi à peu près, un dialogue (virtuel) fécond, amical et parfois contradictoire avec Marc Zaffran (Martin Winckler) – dont sans doute beaucoup d’entre vous connaissent et apprécient les travaux – à propos d’un article de son cru au titre « provocateur » (Qui a le droit d’écrire?) m’a permis, au fur et à mesure de son déroulement, de faire un peu le point sur une espèce de mien « état des lieux » concernant certains mauvais procès faits à la littérature numérique (livres publiés par des éditions numériques, sites et blogs littéraires), mais portant aussi sur de plus légitimes interrogations (certaines dépassant d’ailleurs le cadre d’un débat sur la littérature en ligne, puisque valant pour « ce qui se publie » en général). J’en transcris aujourd’hui les passages essentiels (entre guillemets les extraits du texte de M.W, en italiques ce qui appartient au débat proprement dit), à la fois parce que ça reste d’une brûlante actualité, d’autre part parce que sur des points des plus importants mes propres conceptions ont pu évoluer, alors que sur d’autres elles se sont trouvées plutôt raffermies depuis (je préciserai lesquels et comment) :

M.W:
« L’écrivain sacralisé, autorisé (aux deux sens du terme) est un pur produit de la pensée la plus bourgeoise. C’est cette sacralisation, entretenue par une partie de la critique (mais aussi par bon nombre d’enseignants, de journalistes et d’intellectuels auto-proclamés, hélas!) qui entretiennent chez le plus grand nombre l’idée que l’écrivain est un être rare.
Or, c’est non seulement faux, mais c’est aussi profondément méprisant pour ceux qui écrivent et ne publient pas ou qui publient mais restent dans l’ombre, ou qui, tout publiés qu’ils soient, ont un autre métier (ce qui est le cas de l’immense majorité) et ne se sentent pas sacrés du tout. »
A.R:
Comment ne pas être d’accord avec ces lignes? Je le suis, pour ma part, à 1000%!
M.W:
« Depuis quelques années, la possibilité de mettre des textes en ligne, sur un blog ou un site, a changé la donne. Un nombre très important de personnes écrivent et donnent à lire ce qu’elles écrivent.
Mais il faut avoir lu et entendu ce que beaucoup (trop) de critiques et d’écrivains estampillés disent de l’écriture en ligne et des blogs. Le mépris et la méfiance à leur égard sont malheureusement très répandus en France, beaucoup plus qu’ailleurs. »
A.R:
Ah, c’est là que le malaise s’installe, car c’est, à mon sens, de la pure démagogie que d’affirmer que toute personne qui donne à lire sa production sur un blog ou sur un site est un écrivain, précisément dans la mesure où cela reviendrait de fait à dire que toute personne qui écrit (n’importe quoi, n’importe où, n’importe comment) aurait nécessairement, comme par définition, le droit de s’auto-intituler « écrivain », et point à la ligne…
Ce n’est, d’ailleurs, absolument pas un problème d’écriture en ligne ou papier, cela n’a rien à voir avec ça, mais bel et bien avec une qualité d’écriture qui n’est mesurable que par le regard d’autrui, ne « vaut » que si elle passe par cet indispensable tamis qu’est l’oeil, la sensibilité, la subjectivité d’autrui, cela pouvant se passer a priori (c’est le rôle de l’éditeur) ou a posteriori (lecteurs d’oeuvres en ligne ou de blogs). Et si cet oeil, ce regard sont ceux d’un éditeur, c’est mille fois mieux – c’est bien à ça que sert, pour nous en tenir au numérique, une maison de l’importance et de la qualité de « Publie.net »…

M.W: « En ce qui me concerne, je pense qu’il y a les écrivants, qui écrivent parce que c’est leur mode de communication, et les écrivains, qui sont reconnus par une communauté de lecteurs (et pas par une élite auto-proclamée). Et les deux catégories sont respectables. »

A.R: Bien sûr que toute personne qui donne à lire est RESPECTABLE, mais depuis quand la respectabilité (notion bourgeoise par excellence, d’ailleurs) serait-elle devenue unité de mesure de la valeur d’une oeuvre? Cette personne, celle-ci ou celui-là, qui met des textes en ligne, peut-elle se dire, ou non, « écrivain(e) »? Je suis comme vous, je n’en sais rien d’entrée de jeu; j’ai, comme vous, comme tout le monde, mes critères, par définition subjectifs, et ils sont tels que je me permets d’affirmer dans l’immense majorité des cas cet effort sérieux, sincère et que je respecte n’aboutit pas à quelque chose qui soit, pour moi, de la « littérature ».
Lorsque Lautréamont disait que « la poésie doit être faite par tous. Non par un. », il ne voulait certainement pas affirmer pour autant dire que nous serions TOUS poètes…
(2010)

C’est sur ce point que j’ai le plus évolué. Non seulement j’ai moi-même maintenant un modeste blog qui, lentement, sereinement, poursuit son bonhomme de chemin, mais je ne considère plus du tout que « se faire éditer » serait « mille fois mieux », loin de là…
(mon propos avait d’ailleurs une portée générale – en ce qui me concerne j’ai toujours considéré qu’écrire et se faire éditer mobilisent des actions, des affects et des jouissances bien différentes, et ce ne sont que celles liées au premier verbe qui l’emportent, et de beaucoup, tous ceux qui me connaissent le savent!)
Le seul avantage (une plus grande visibilité par rapport aux revues, aux journalistes, aux critiques, laquelle vaut, hélas, essentiellement pour les éditions papier) n’est à mon sens en rien compensé par l’éprouvant et souvent humiliant « parcours du combattant » auquel l’on doit de se soumettre pour y arriver ( je dis bien « seul avantage », car mon type de production n’est pas de nature à me rapporter plus qu’une poignée d’euros – et c’est encore une exagération, sinon un doux euphémisme…) Je crois plus que jamais à la nécessité d’être « adoubé » par autrui pour gagner le droit de se dire « écrivain », mais il m’apparaît aujourd’hui que mes seuls lecteurs y suffisent peut-être, d’autant qu’il y a parmi eux – je le sais, j’en connais – un bon nombre qui sont eux même blogueurs, auteurs ou critiques que j’admire et respecte et qui, parfois, me le rendent bien. Et si un jour j’envisageais quand même l’édition, c’est sûrement à la numérique que je penserai prioritairement…Là-dessus je n’ai pas bougé d’un iota, car si je vomis, autant que Martin, « les élites auto-proclamées », j’affirme qu’il en est d’autres, largement respectées par ceux qui lisent et écrivent, et que c’est à celles et ceux qui en font partie que je faisais référence dans le nota de ce jour…
(février 2012)

J’ai à nouveau beaucoup réfléchi ces derniers temps à la question et j’ai à nouveau changé d’avis (il n’y a qu’aux imbéciles que cela n’arrive pas), en revenant de fait à ma conception première…
Ce qui suit ne s’appliquant naturellement à moi-même moins qu’aux autres, je le dis avec une gravité à la mesure de l’ironie qui la sous-tend: celle ou celui qui tient un blog « littéraire » est a priori tout ce qu’on veut, « littérateur », « écrivant », « web-auteur » – « écrivain(e) » pas forcément, loin s’en faut (l’auto-adoubement – dans ce domaine comme dans d’autres – me fait, dans les meilleurs des cas, sourire, dans les pires, m’éloigner), le tamis qu’est le regard d’autrui que j’évoquais dans le dialogue avec M. Winckler ne sachant se limiter à de complices clins d’œil ou même bruyantes approbations de quelques lecteurs dans les commentaires en bas des pages du blog ou sur les réseaux sociaux, mais requérant, du moins à mon sens et en ce qui me concerne, un œil qui me paraisse suffisamment aguerri pour que sa reconnaissance, sa volonté, son désir, sa joie d’adouber vaille pour de vrai, qu’il s’agisse d’un éditeur que je respecte, d’un critique à qui il arriva de me guider, d’un confrère que j’admire…
La littérature, n’en déplaise aux émules contemporains de Mr. de Coubertin pour ce qui est de l’écriture en ligne, ce ne sont pas les Jeux Olympiques, il ne suffit pas de participer, il faut EN ÊTRE, à toute heure, de toutes les façons, par toutes les fibres, et c’est pure démagogie que de dire que cela est par définition et sans autre forme de procès donné à tout un chacun – ce qui est précisément ce que je m’efforçais de dire dans ma dernière réponse à Martin…
(juin 2013)

On parle du « milieu littéraire »; tiens, c’est le même mot utilisé pour une autre profession bien connue, et je trouve de plus en plus qu’il a de franches et troublantes ressemblances, pas besoin de tractions avant 11CV pour cela…
Je ne suis pas peu fier d’avoir, tout au long d’une vie et avec l’appui de quelques « grands témoins« , su, pu et voulu éviter – passant outre le chant de quelques respectables et amicales, voire affectueuses sirènes – tout genre de pénible compromission avec celui-ci…
Et c’est plus que jamais ce que je me dois de faire: resserrer encore le tri et sereinement continuer mon bonhomme de chemin, accueillant avec joie, dans l’amitié et à bras ouverts qui le voudra bien, suivant même de bon gré – pour peu qu’il y ait accord profond et vraie complicité, – celle ou celui qui ouvrirait, à la machette s’il le fallait, une brèche dans les broussailles, un sentier, la voie, peut-être, qui sait? – mais toujours sans rien demander, et à personne
(2011)

« Les sirènes ont une arme plus terrible que leur chant: leur silence. »
(Kafka)
Nous en sommes toujours là…

 Paul Celan

« Hörst du…hörst du? »
Les dates anniversaires du suicide de Celan défilent, dans l’indifférence générale…
Rien d’étonnant à cela, nous vivons à une époque où l’on « fabrique » beaucoup, mais où l’on crée peu, et où Celan se serait senti encore plus étranger qu’en son temps, lui qui invoquait un « langage au nord du futur » et qui avouait crûment:
« Je n’ai jamais été capable d’INVENTER. »
(2011)

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