C’est sans m’interrompre une seule seconde que l’ai lu ce traité de bien respirer à l’usage des jeunes et moins jeunes générations, aussi modeste dans ses dimensions physiques que riche, dense et intense pour ce qui est de son contenu. Sans du tout négliger ou minimiser ses autres dimensions (l’écologique, l’éthique, l’historique), je me suis particulièrement intéressé à la dimension proprement politique (au sens le plus noble du mot) de l’ouvrage, le traversant de part en part et conférant vigueur et cohérence à l’ensemble.
Pour ce faire, je suis parti d’une âpre citation de Henri Michaux (« Respirer, c’est déjà être consentant. D’autres concessions suivront, toutes emmanchées l’une dans l’autre. ») dans laquelle certains ont vu l’expression d’une acceptation désespérée de ce qui EST, alors que d’autres (dont je suis) y ont plutôt perçu un constat énoncé par quelqu’un violemment indigné et farouchement révolté par ce qu’il constate. C’est précisément en ce sens que « Respire » m’est d’emblée apparu comme l’antidote à ce venin, l’alternative permettant d’entrevoir un chemin évitant les concessions dont parle le poète. En effet, puisque la naissance nous jette dans un monde déjà vicié, dans un espace et un temps que l’on n’a pas choisi, il apparait à l’évidence que dans les premiers temps (en fait jusqu’à l’éveil – ou non – de la conscience aux réalités du monde qui nous entoure), la respiration n’est qu’un élément relevant de l’anatomie et de la biologie, de la conservation instinctive de l’intégrité physique, un simple MOYEN d’assurer notre survie. Plus tard, lors du difficile apprentissage du métier de vivre, certains (le plus grand nombre à vrai dire) continueront à enfiler les concessions comme on enfile un masque à gaz en milieu irrespirable, se préoccupant bien davantage de constamment améliorer la qualité dudit masque que de se poser la question de savoir à qui et à quoi est dû le surgissement de cet environnement hostile, alors que d’autres, alertés par la pollution généralisée (de l’air, de l’eau, du sol et des esprits), finissent par comprendre que vivre et respirer authentiquement, librement, pleinement implique qu’on se soit au préalable débarrassés de cette machine à tromper, manipuler et broyer, de ce système aliénant, égoïste et proprement mortifère qui a pour nom « capitalisme » – condition sans nul doute nécessaire, mais certainement pas suffisante si l’on oublie les différentes dominations (certaines antérieures à celui-ci) surtout si l’on néglige (délibérément ou non) le sort des êtres biffés, exclus, empêchés, étouffés symboliquement ou concrètement, qu’il s’agisse des femmes, ou alors des personnes refusant les normes hétérosexuelles, ou encore de celles et ceux discriminés, méprisés et brimés en raison de leur couleur, de leur culture, de leur religion ici, de leur refus des vérités révélées ailleurs, jusqu’à toucher – cas extrême – les plus lucides et sensibles parmi les dominants, à l’instar de Fritz Angst, rejeton de la haute bourgeoisie zurichoise plus connu sous le nom de Fritz Zorn, auteur de « Mars », l’un des plus terribles écrits qu’il m’a été donné de lire, décrivant avec une clinique froideur comment le refus d’être et, surtout, de devenir ce que sa famille voulait qu’il soit l’a transformé en ennemi de lui-même fabriquant pour s’affranchir de ce déchirement le cancer du poumon qui l’emporta à 32 ans. L’on comprend mieux dès lors non seulement pourquoi, mais aussi comment « Respire » m’a aidé à réaliser que respiration et révolution ne font qu’un, que RESPIRER au sens vrai ne relève pas d’une simple situation ou ontologie, que la respiration authentique n’est ni un objet ni un concept, mais un ACTE qui ne dépend que de nous et n’est en rien détaché des fins qu’il se propose, à savoir l’émancipation de toutes et de tous, partout et toujours levant à l’avènement de cette « demeure pour le souffle » qu’évoqua un autre poète que j’aime.