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aj7

« Out, out, brief candle. / Life’s but a walking shadow, a poor player / That struts and frets upon the stage, / And then is heard no more. It is a tale / Told by an idiot, full of sound and fury, / Signifying nothing. » (Shakespeare)

Avant l’effroi et la souillure, avant le défilé des masques te privant d’éveil et de mémoire, avant la ruelle soudain trop étroite, avant le soupçon qui te fit l’arpenter, avant l’inventaire des nasses, avant cet exil qui n’est ni congé ni désertion, avant ces jeunes siècles gardiens de ce qui taille et éteint, avant le canot des morts et l’heure des dons, que vienne la joie de pressentir que tout ce qui EST n’est pas ni situé, ni déposé, ni cadenassé! 

Quelles parts tordues, quels feux douteux, quels reculs dans l’aigu, quelle parole autre que celle que le possible gouverne, quels noeuds défaits, quelles crues sans fard jetées en pâture à l’Autre, quel mal comme en avant de la promesse jamais faite?

S’éloigner autrement qu’en mots des infamies de ce monde, des vigiles de l’attendu, des maîtres des liens et des amarres, de l’ogre éperdu titubant là où la parole te quittera, des tatouages polis jusqu’à la chute, des vertiges auxquels tu répugnes, des rouages tordus de ce réel qu’il faut, pauvrement, authentifier, du sommeil qui finira par t’avouer ce qu’il cache à tous, du silence complice de l’ombre où tu le sus…

(Brasilia, avril 2024)

contact

« Quand je suis revenu en France après ces deux voyages, il y a deux choses que j’ai mieux comprises. D’un côté mon engagement personnel et intellectuel dans la lutte pour le socialisme [*] De l’autre que mon travail d’écrivain suivrait l’orientation que lui imprime ma manière d’être, et même s’il lui arrivait à un moment donné de refléter cet engagement, je le ferais pour les mêmes raisons de liberté esthétique qui me conduisent actuellement à écrire un roman qui se passe pratiquement hors du temps et de l’espace historique. Au risque de décevoir les catéchistes et les partisans de l’art au service des masses, je continue à être ce cronope qui écrit pour son plaisir ou sa souffrance personnelle, sans la moindre concession, sans obligations latino-américaines ou socialistes comprises comme a priori programmatiques »
  (Julio Cortazar)

Soleil à jamais premier, soleil brut en ses trêves et ravages, soleil comme défénestré d’où nul instant ne s’échappe, que nul voeu ne libère, que nul ajout ne contamine, mal naquois rejoint en l’aguichant, le dépouillant des bâillons aveugles, cible où l’oeil oscille, en vain contigu de ce qu’il dissout et dénonce…

Tiens les tours de passe-passe, les tricheries de l’oracle, l’or méticuleux des traîtres, l’oubli extorqué au jumeau emboîté à tes failles, le désir déchu avant l’heure, sans ébauches, sans débris, sans embûches ni gratitudes…

Oublie ces enjôleurs avec leurs complots et hiérarchies, ces dissidents sans saveur ni risque, ces hérétiques érigeant sans le savoir la réfutation de la foi nouvelle…

Ton île est énigme, illisible expiation avec laquelle tu vins à te confondre, jetée rare accordée aux fins et aux soucis que l’outil méconnait en tâtonnant, érgot tenace comme l’enfantement complice de sa charge de possibles, nuit mal cimentée que tu remontes en te gaussant des temps titubant sur tes traces, te traversant sans juger ni capturer, disloquant tes parcelles, tes linceuls, tes cassures…

Sache que rien n’est plus ancien que ce qu’en traçant tu quittes.

  (Brasilia, avril 2024)

art 1

Depuis un bout de temps déjà, j’ai constaté que je lisais de moins en moins de nouveautés
littéraires (en ne me référant qu’aux « vraies » lectures, celles allant en continu de l’éventuelle
préface à la possible postface) au point que pendant les 2-3 dernières années le « de moins en
moins » s’est mué en « presque plus du tout ». Par contre je relis fréquemment les autrices et
auteurs que me « parlent », celles et ceux dont je me sens proche littérairement parlant
(parfois « pas que ») ou alors dont les présupposées et la pratique se situent très loin, voire
aux antipodes des miens, mais avec la production desquelles et desquels un dialogue fécond
peut s’instaurer, celles et ceux, enfin, qui – en me limitant au domaine français et aux vivants
– me font me précipiter en librairie dès l’annonce de la parution de leur dernier ouvrage que
j’aime feuilleter paisiblement avant d’éventuellement en faire l’acquisition (pour peu qu’il ne
comporte pas plus de 180 pages, taux généreusement accru par rapport à l’habituel qui en
limite le nombre à 150). Leurs noms, je n’en fais pas mystère; la liste ci-dessous n’étant pas
exhaustive, une quantité raisonnable d’oublis apparaît comme malheureusement inévitable
s’agissant d’un ex- (boulimique) lecteur, de même que je confesse sans qu’il faille me torturer
quelques absences totalement délibérées et assumées…
La voici (par ordre strictement alphabétique afin d’éviter tout soupçon de vouloir
« hiérarchiser » la chose): Jakuta Alikavazovic – Jacques Ancet – Philippe Annocque –
Patrick Autréaux – Lucie Azéma – Jean-Christophe Bailly – Andréas Becker – Bruce Bégout –
Pierre Bergounioux – Arno Bertina – Laurent Binet – Marie-Claude Blais – Xavier Boissel –
David Bosc – Stéphane Bouquet – Daniel Bourrion – Antoine Bréa – Mathieu Brosseau –
Nicole Caligaris -Manuel Candré – Jean-Philippe Cazier – Pierre Cendors – Sorj Chalendon –
Éric Chevillard – Claro – Philippe Claudel – Frédérique Clémençon – Fabien Clouette –
Sylvain Coher – Claude-Louis Combet – Marie Cosnay – Antonin Crenn – Jacques Darras –
Julia Deck – Pierre Demarty – Sébastien Doubinsky – Pierre Ducrozet – Pierre Escot –
Christophe Esnault – Jerôme Ferrari – Frédéric Fiolof – Laurent Gaudé – Hélène Gaudy –
Virginie Gautier – Philippe de la Genardière – Patrick Gibourg – Marc Graciano – Fred
Griot – Laurent Grisel – Célia Houdart – Sabine Huynh – Anne-Sylvie Homassel/Salzman –
Régis Jauffret – Christine Jeanney – Philippe de Jonkheere – Jean-Yves Le Jouannais –
Maylis de Kérangal – Lola Lafon – Marie-Hélène Lafon – Michèle Lesbre – Luvan – Quentin
Leclerc – Gérard Macé – Marielle Macé – Arnaud Maïsetti – Laurent Mauvignier – Pierre
Ménard – Sébastien Ménard – Juliette Mézenc – Natacha Michel – Pierre Michon – Céline
Minard – Patrick Modiano – Denis Montebello – Éric Pessan – Claude Ponti – Cécile Portier
– Lucien Raphmaj – Jacques Réda – Nicolas Richard – Guillaume Richez – Jean Rolin –
Olivier Rolin – Sébastien Rongier – Olivia Rosenthal – Jacques Roubaud – Mathilde Roux –
Lionel Ruffin – Camille Ruiz – Dominique Sampiero – Lou Sarabadzic – Anne Savelli –
Eugène Savitzkaya – Joachim Séné – Pierre Senges – Jacques Serena – Anne Serre – Didier da
Silva – Lucie Taïeb – Pacôme Thiellement – Tiphaine Touzeil – Stéphane Vanderhaeghe –
Fred Vargas – Laura Vasquez – Romain Verger – Marc Verlynde – Thomas Vinau – Benoît
Vincent – Pierre Vinclair – Guillaume Vissac – Antoine Volodine – Eric Vuillard – Antoine
Wauters.
J’imagine que d’aucuns regarderont peut-être qui n’y est pas plutôt que de se pencher sur qui
s’y trouve, mais qu’y puis-je?

C’est sans m’interrompre une seule seconde que l’ai lu ce traité de bien respirer à l’usage des jeunes et moins jeunes générations, aussi modeste dans ses dimensions physiques que riche, dense et intense pour ce qui est de son contenu. Sans du tout négliger ou minimiser ses autres dimensions (l’écologique, l’éthique, l’historique), je me suis particulièrement intéressé à la dimension proprement politique (au sens le plus noble du mot) de l’ouvrage, le traversant de part en part et conférant vigueur et cohérence à l’ensemble.

Pour ce faire, je suis parti d’une âpre citation de Henri Michaux (« Respirer, c’est déjà être consentant. D’autres concessions suivront, toutes emmanchées l’une dans l’autre. ») dans laquelle certains ont vu l’expression d’une acceptation désespérée de ce qui EST, alors que d’autres (dont je suis) y ont plutôt perçu un constat énoncé par quelqu’un violemment indigné et farouchement révolté par ce qu’il constate. C’est précisément en ce sens que « Respire » m’est d’emblée apparu comme l’antidote à ce venin, l’alternative permettant d’entrevoir un chemin évitant les concessions dont parle le poète. En effet, puisque la naissance nous jette dans un monde déjà vicié, dans un espace et un temps que l’on n’a pas choisi, il apparait à l’évidence que dans les premiers temps (en fait jusqu’à l’éveil – ou non – de la conscience aux réalités du monde qui nous entoure), la respiration n’est qu’un élément relevant de l’anatomie et de la biologie, de la conservation instinctive de l’intégrité physique, un simple MOYEN d’assurer notre survie. Plus tard, lors du difficile apprentissage du métier de vivre, certains (le plus grand nombre à vrai dire) continueront à enfiler les concessions comme on enfile un masque à gaz en milieu irrespirable, se préoccupant bien davantage de constamment améliorer la qualité dudit masque que de se poser la question de savoir à qui et à quoi est dû le surgissement de cet environnement hostile, alors que d’autres, alertés par la pollution généralisée (de l’air, de l’eau, du sol et des esprits), finissent par comprendre que vivre et respirer authentiquement, librement, pleinement implique qu’on se soit au préalable débarrassés de cette machine à tromper, manipuler et broyer, de ce système aliénant, égoïste et proprement mortifère qui a pour nom « capitalisme » – condition sans nul doute nécessaire, mais certainement pas suffisante si l’on oublie les différentes dominations (certaines antérieures à celui-ci) surtout si l’on néglige (délibérément ou non) le sort des êtres biffés, exclus, empêchés, étouffés symboliquement ou concrètement, qu’il s’agisse des femmes, ou alors des personnes refusant les normes hétérosexuelles, ou encore de celles et ceux discriminés, méprisés et brimés en raison de leur couleur, de leur culture, de leur religion ici, de leur refus des vérités révélées ailleurs, jusqu’à toucher – cas extrême – les plus lucides et sensibles parmi les dominants, à l’instar de Fritz Angst, rejeton de la haute bourgeoisie zurichoise plus connu sous le nom de Fritz Zorn, auteur de « Mars », l’un des plus terribles écrits qu’il m’a été donné de lire, décrivant avec une clinique froideur comment le refus d’être et, surtout, de devenir ce que sa famille voulait qu’il soit l’a transformé en ennemi de lui-même fabriquant pour s’affranchir de ce déchirement le cancer du poumon qui l’emporta à 32 ans. L’on comprend mieux dès lors non seulement pourquoi, mais aussi comment « Respire » m’a aidé à réaliser que respiration et révolution ne font qu’un, que RESPIRER au sens vrai ne relève pas d’une simple situation ou ontologie, que la respiration authentique n’est ni un objet ni un concept, mais un ACTE qui ne dépend que de nous et n’est en rien détaché des fins qu’il se propose, à savoir l’émancipation de toutes et de tous, partout et toujours levant à l’avènement de cette « demeure pour le souffle » qu’évoqua un autre poète que j’aime.                                                                                              

mk 15

Tout est retard t’élargissant, hasard qui t’appelle au loin, clef qui toujours t’échappe, perte que te cache la fumée des heures englouties, longues à effacer, à n’attendre personne, à fixer la fenêtre où s’oublie le jeu qui tout raccommode, le souvenir du geste qui seul t’appartint…

(2022/2023)