« – celui de ce vieux conte une histoire qu’on se répète sans vraiment la connaitre -«
Connaîtra-t-on jamais les histoires qu’on raconte, qu’on se raconte, les sentiers tordus, les biais, les rencontre vraies et celles qu’on s’invente, ce qu’on a perdu, ou pas, puisque inlassablement ça revient dans ce qui est, et les lunes, et les coïts, et les déserts, et les combats où l’on finit vaincu, tout en sachant que la défaite n’est qu’un mot, une invention, un retard, comme la mort que tu m’aidas à repousser un peu, et bien davantage la peur qu’elle ne revienne.
« Ce qu’on ferait alors ces nuits-là – seuls nos corps en portent les traces. »
Les traces finissent par s’en aller, pas ce que furent les nuits, et moi dedans, cherchant, comme si l’autre ne l’avait pas déjà trouvé, et le lieu dit, et la formule qui l’efface…
« On voulait vérifier que tout était vrai – tout était là – vraiment là. »
Est-ce que ce qui est « là », qu’on voit, qu’on sent, qu’on palpe, qu’on déglutit, qu’on imagine un instant pouvoir faire sien est bien réel? Pourra-t-il un jour cesser d’être aussi fuyant, ambigu, multiple et incertain que nos désirs et nos peurs le perçoivent? Savoir répondre à ces questions, c’est consentir, à nos dépens, de s’abîmer dans la « santé essentielle », ne plus avoir à la quêter ou à l’écrire. Heureux, et malheureux, tout à la fois, ceux à qui cela arriva – c’est ce que je me dis, en priant que ça ne me tombe jamais dessus…
« Rien n’est certain. »
Oui, rien, en effet – sinon la certitude que ta sentence est vraie.
« on a déjà écrit des histoires comme ça
pas la peine de la ramener
on a déjà écrit des histoires comme ça«
Oui, on a déjà tout écrit, et rien encore, puisque tout fond sans trêve, s’enchaîne, se dresse, serpente, arrache, raille, maudit et continue, ni tout à fait nouveau, ni vraiment répété.
Oui, on a déjà tout écrit, mais pas souvent comme ça, pas souvent comme toi, au moins depuis que l’amputé de Marseille, à l’agonie, murmurait qu’il lui fallait, dès le lendemain, remonter à bord pour d’autres départs; moi, en tout cas, je n’en avais pas lu depuis fort longtemps, de ces mots dont on a envie de dire, comme l’Arthur: « c’est aussi simple qu’une phrase musicale ».
« – nous cherchons un moment il existe ce moment -«
Ce moment, il n’existe que parce que nous l’appelons, de toutes nos forces nous le voulons, lui que nous ne cherchons que pour qu’il existe.
» Alentour
tout continue
et tourne. »
Alentour, et en nous, c’est ce qui fait encore durer, et pouvoir, et clamer, et pourfendre – tout en devinant que, quoi qu’on fasse, qu’on oublie, qu’on rejette ou érige, il n’y a rien à faire, car c’est elle, « la musique savante » qui « manque à notre désir », et y manquera, à tout jamais…
« (nous avons toujours attendu)
(nous avons toujours répété les mêmes
histoires)
(nous avons toujours continué)«
C’est comme si j’avais quelque part attendu que tu le dises pour que ma vie et mes histoires – pour insensées qu’elles aient pu être – se trouvent enfin confirmées, confortées, justifiées, ratifiées…
« – sur nos voix un soir tard qu’on s’imaginait poète -«
Nous étions trois à nous l’imaginer ensemble, en cet hiver ’70, François, Thierry et moi, nous nous l’imaginions exactement comme tes mots, sobres et précis tels le refus de l’oubli, me l’ont rendu, un soir tard aussi, juste à l’heure où je croyais ne plus pouvoir me l’imaginer – et qui était, plus que jamais, là, et bien là!
« À un moment précis
peut-être
plus rien
ne presse
plus rien
ne coûte
plus rien
on est là. »
Ce moment dont tu parles, qui n’est plus dans le temps, mais plutôt un lieu, j’y suis. Qu’on ne me demande pas comment je le sais – je le sais, c’est tout.
« <<C’était un soir – et les pluies l’automne
s’écroulaient ocres et lents.>> »
Rien à ajouter, rien à retrancher à ces enchaînements de mots qui – lorsqu’ils nous frappent, nous pénètrent, nous veillent, nous vrillent – refont de nous, l’espace d’un instant dilaté à la mesure du monde, ceux que nous n’aurions jamais dû cesser d’être.
« puis – les choses qu’on appelle choses reprennent. »
Oui, elle reprennent toujours, les choses, elles finissent par nous narguer, même, du haut de leur permanence, de leur prescience, de leur indifférence; les mots, ah les mots, eux, c’est autre chose…
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